Flâner entre le rêve et le poème… Ouvrir la cage aux arpèges… Se noyer dans un mot… S'évaporer dans les ciels d'un tableau… Prendre plaisir ou parfois en souffrir… Sentir et ressentir… Et puis le dire – S'enivrer de beauté pour se forcer à croire !
Il n’est pas particulièrement nécessaire d’avoir joué au jeu vidéo post-apocalyptique « The Last of Us » (2013), sur la playstation du petit-fils de son voisin, ou d’avoir passé des nuits à regarder la série du même nom sur une chaine de vidéos en ligne, pour apprécier, ô combien, le thème musical principal de l’œuvre.
Surtout si son interprétation est l’occasion d’une fusion d’instruments et de talents, dialogue entre la guitare classique de l’immense virtuose paraguayenne Berta Rojas et le ronroco (instrument à cordes traditionnel des Andes) du compositeur argentin de ladite musique, Gustavo Santaolalla*.
La musique, lieu magique où convergent les rêves partagés.
*Gustavo Santaolalla a écrit de nombreuses musiques mémorables dont beaucoup pour le cinéma telles, par exemple, que les bandes originales de « Le secret de Brokeback Mountain », de Ang Lee, ou de « Babel », d’Alejandro González Iñárritu, pour lesquelles il a reçu par deux fois l’Oscar de la catégorie, en 2006 et 2007.
Rompant avec les conventions artistiques de l’époque, les quatre-vingts estampes des ‘Caprices‘ (Los Caprichos) que Goya publie en 1799, veulent autant poser une critique acerbe des vices, superstitions et autres travers de la société espagnole du temps, que vilipender les abus de la « monarchie éclairée » qui gouverne alors L’Espagne.
Le peintre accompagne parfois certaines de ces gravures acerbes d’un commentaire ou d’une réflexion. Ainsi, le cauchemardesque Caprice 43, objet de ce billet, qui montre un homme (Goya lui-même ?) endormi sur son bureau, environné de toutes sortes de créatures terrifiantes, porte-t-il cette légende de la main de l’artiste :
« El sueño de la razón produce monstruos »
Belle opportunité offerte au spectateur d’aiguiser sa réflexion philosophique : la raison doit demeurer en éveil afin de nous garder des méfaits de nos instincts et de nos pulsions, mais trop de raison ne conduit-il pas à museler l’imagination et l’intuition si propice à l’acte de création ?
* * *
Mario Castelnuovo-Tedesco 1891-1968
A la fin de sa vie, le très prolifique compositeur italien, Mario Castelnuovo-Tedesco, écrit pour la guitare, ’24 Caprices’ librement inspirés de gravures de Goya choisies parmi les 80 planches du Maître espagnol. Pas vraiment une description musicale de chaque estampe sélectionnée, mais une recréation plus ou moins fantasmée de l’idée suggérée par l’image.
Un des points culminants de l’écriture pour guitare du compositeur.
Le jeune et talentueux virtuose Ty Zhang joue le ‘Caprice N°18‘ (inspiré du « Capricchio » N°43de Goya)
Miniatures musicales enchantées entre ombre et lumière, les « Valses poeticos » (1895) de Granados sont autant de pages d’un journal intime élégamment écrites au piano.
Confidences, humeurs et sentiments exprimés avec délicatesse et un brin de virtuosité contenue, qui ne laisse rien ignorer de l’influence des grands musiciens romantiques tels que Chopin, Schumann ou Grieg.
Universelle beauté d’une musique où la danse devient prétexte à une expression profondément personnelle et poétique. Élégance du salon, profondeur de l’émotion, dans un voile de délicatesse espagnole.
« Valses poeticos »
Maite Aguirre – piano
Introducción : Vivace molto : Introduction brillante et virtuose qui donne le ton général du propos. Arpèges chatoyants sur une mélodie ascendante, à la manière d'un prélude romantique.
Vals 1 : Melodioso : Première valse, douce, empreinte de lyrisme. Une mélodie printanière glisse avec grâce sur l'ivoire du clavier.
Vals 2 : Tempo de Vals noble : Solennelle et majestueuse, cette valse possède une élégance intemporelle, rappelant parfois les valses de Chopin.
Vals 3 : Tempo de Vals romántico : Valse lente empreinte d'une expressivité plus intense qui trouve parfaitement dans la richesse de ses modulations harmoniques le caractère mélancolique qu'annonce son intitulé.
Vals 4 : Tempo de Vals rítmico : Plus enjouée et entraînante, cette valse contraste avec les précédentes par son dynamisme et son caractère plus affirmé. Une invitation à la danse... Vals 5 : Tempo de Vals sentimental : Une des valses les plus touchantes de la suite, caractérisée par un allegretto tendrement mélancolique et une grande intériorité... rêveuse. Vals 6 : Vals mariposa : Littéralement "Valse papillon". Pièce légère, aérienne et pleine de fantaisie. De délicats ornements sont offerts à la libre interprétation du pianiste pour évoquer le vol gracieux d'un papillon. Vals 7 : Vals casi fantasia : Cette valse vive se distingue par sa liberté formelle et son caractère improvisé, avec des changements d'humeur et des expressions plus virtuoses. Une sorte de fantaisie miniature.
Coda : Presto : La coda, enchaînée à la suite de la fantaisie, reprend quelques thèmes des valses précédentes, les transformant et les développant dans un finale brillant et virtuose, concluant l'œuvre avec panache.
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Bien que compositeur majeur dans le renouveau de la musique espagnole du XIXème siècle, Granados, trop attaché à son piano, n’aura jamais écrit pour l’instrument emblématique de son pays, la guitare.
Les siècles suivants n’auront en revanche pas été avares de guitaristes arrangeurs et transcripteurs pour leur instrument de l’œuvre du Maître. Avec bonheur souvent, ainsi qu’en témoigne cette très séduisante version pour trois guitares :
La sensualité, c’est la mobilisation maximale des sens : on observe l’autre intensément et on écoute ses moindres bruits.
Milan Kundera – L’insoutenable légèreté de l’être
Qu’est la volupté elle même, sinon un moment d’attention passionnée du corps ?
Marguerite Yourcenar – Mémoires d’Hadrien
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Natalia Lipnitskaya (guitare)
« Rondeña »
Regino Sáinz de la Maza (compositeur) 1896-1981*
Scène d’amour à la guitare : Avec une intensité maîtrisée, les émotions provoquées par la caresse amoureuse experte de Natalia Lipnitskaya emportent les deux partenaires, guitariste et guitare, dans les fluctuations, tantôt douces, tantôt explosives, d’un accouplement passionné qui ne trouvera sa conclusion qu’après une courte reprise de souffle, dans la volupté du spasme final.
Volupté ! Sensualité ! Extase !
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Regino Sáinz de la Maza 1896-1981
* Figure majeure de la guitare classique du XXème siècle, Regino Sáinz de la Maza (1896-1981), n’aura pas reçu dans le monde la juste reconnaissance de son immense talent de virtuose et de compositeur que son pays, l’Espagne, lui aura accordée. Éminent professeur au Conservatoire Royal de Musique de Madrid, il fut le dédicataire et le créateur en 1940 du célèbre « Concierto de Aranjuez » de Joaquín Rodrigo. Les initiés n’ont pas hésité à le comparer aux grands maîtres Segovia, Sor et Tárrega. Sa puissante contribution au développement de la guitare, aura permis à l'instrument de gagner sa place de soliste de premier rang.
Ecole Shah Abbas 1568-1629 : Partage du thé et des fruits
Pour retrouver au hasard d’un accord de guitare le coeur énamouré d’Hafez ou l’âme inspirée de Rûmi…
Pour imaginer une autre Perse d’un autre temps, quand la poésie, le chant et tous les arts, façonnant par leur richesse et leur diversité l’identité culturelle de l’Iran, représentaient la puissance et la grandeur de son empire…
Pour l’histoire de Maryam (« Jâné Màryàm » se traduit par ‘la vie de Maryam’) et la tendre chanson d’amour aux accents bibliques du répertoire traditionnel iranien qui la raconte…
Pour la très belle transcription pour la guitare qu’en a réalisée la grande artiste iranienne Lily Afshar, emportée par la maladie en 2023…
Pour l’interprétation sensuelle qu’en a donnée Zoe Barnett récemment dans la Salle des Mosaïques du Museo agli Eremitanide Padoue…
Et pour caresser avec suavité, en pensée, pieds nus sur les froids carreaux des mosaïques antiques, les délices de nos siècles enfuis…
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Jâné Màryàm en version symphonique avec choeur et voix
Ma fleur rouge et blanche, quand viens-tu ? Mon petit pétale, quand viens-tu ? Tu as dit que tu viendrais quand les fleurs fleuriraient Toutes les fleurs du monde s’épanouissent, quand viens-tu ? Ma Maryam, ouvre les yeux, dis mon nom C’est l’aube et le soleil s’est levé Il est temps d’aller aux champs ô douce Maryam Ma Maryam, ouvre les yeux, dis mon nom Sortons de la maison, prenons la route Épaule contre épaule, comme au bon vieux temps ô belle Maryam C’est encore le matin et je suis éveillé J’aimerais pouvoir dormir et te voir dans mes rêves Des bourgeons de tristesse ont poussé dans mon cœur Comment le cœur peut-il faire face à cette douleur ? Oh douce Maryam maintenant c’est l’heure de la récolte, Viens, ne me quitte pas, tu es mienne Allons au travail, récoltons le blé Maintenant il est temps de récolter, viens, ne me quitte pas, tu es mienne Allons travailler, viens, viens belle Maryam, douce Maryam
Ceux-là disaient avoir vu certains soirs son ombre maigre et désarticulée, en cornes et en sabots, glisser le long des murs de l’opéra. D’autres affirmaient qu’après avoir trucidé des femmes séduites il emprisonnait leurs âmes geignantes dans son violon. Qui était-ce sinon le diable… ou peut-être son plus fidèle messager, le « Violoniste du Diable », l’énigmatique virtuose Niccolò Paganini ?
Seul, évidemment, un pacte conclu avec le maître des enfers pouvait conférer à ce petit homme fragile cette exceptionnelle virtuosité digitale et cette mémoire capable de lui rendre instantanément disponibles les partitions les plus complexes, dont certaines, naturellement, ne devaient leur existence qu’à son génie diabolique.
Paganini à la guitare
Mais pour le diable, point de limite, point d’exclusive ! Son messager musicien, mandoliniste doué dès son jeune âge, maitrisait tout autant la guitare que le violon. Et si le violon exposait l’artiste à la lumière, la guitare demeurait son amour caché, réservé à ses loisirs et à ses amis.
C’est en hommage au génie du Paganini guitariste, sans pour autant oublier le compositeur des monumentaux « 24 Caprices pour violon » que Mario Castelnuovo Tedesco composa en 1935 le ‘Capriccio Diabolico’, opus 85, pour guitare seule.
Andrés Segovia, l’immense guitariste que l’on sait, qui lui avait suggéré l’idée de cette composition, en était le dédicataire.
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Après une introduction plutôt pompeuse, arpèges et octaves dans un style ‘paganinien‘, exposant les thèmes à venir, l’oeuvre les développe en alternant passages de virtuosité et moments plus lyriques, ‘cantabile‘. Rien ne manque à l’évocation du Maître du XIXème, ni la force, ni l’expressivité… ni la technique. Les références sonores aux compositions du célèbre violoniste apparaissent en chemin, ainsi la citation de la « Grande sonate pour guitare et violon » ou celle de la très emblématique « Campanella » qui conclut la pièce.
Le diable danse sur les cordes du guitariste virtuose polonais
Soy un latido en la tierra, tal vez un pájaro, un alma. tal vez un pájaro, un alma Soy fantasia constante, la voz, el eco y la tarde, la voz, el eco y la tarde. A donde grillos y estrellas se vuelven una ilusión. Soy un ayer y un mañana, sólo un perfume en el aire, pañuelo alegre en la zamba terron agreste es mi carne Y un triste arrullo de urpila agita mi corazón. Y en las alas de una nube mi corazón alza vuelo Y en la flor de una esperanza baila un malambo de fuego, baila un malambo de fuego. Cuando en mis párpados arden las rubias trenzas del Sol, hachando el monte del tiempo desgajo rima y poesía tiernas plegarias que anidan en alas algún silencio, en alas algún silencio. Tierra desde el sentimiento por donde va mi ilusión. Y en las alas de una nube mi corazón alza vuelo Y en la flor de una esperanza baila un malambo de fuego, baila un malambo de fuego. Cuando en mis párpados arden las rubias trenzas del Sol. Soy un latido en la tierra, tal vez un pájaro, un alma tal vez un pájaro, un alma.
Je suis une pulsation dans la terre peut-être un oiseau, une âme peut-être un oiseau, une âme. Je suis un mythe persistant, la voix, l’écho et le soir, la voix, l’écho et le soir. Où les grillons et les étoiles deviennent une illusion. Je suis un hier et un demain, juste un parfum dans l’air, un mouchoir joyeux dans la zamba* une motte sauvage, c’est ma chair Et une triste berceuse d’oisillon fait vibrer mon cœur. Et sur les ailes d’un nuage mon cœur s’envole Et dans la fleur d’un espoir danse un malambo*de feu, danse un malambo de feu. Quand sur mes paupières brûlent les tresses blondes du soleil,
en taillant dans la montagne du temps je déchire la rime et la poésie de tendres prières qui se nichent sur les ailes du silence, sur les ailes du silence. Terre de mon désir terre de mes illusions. Et sur les ailes d’un nuage Mon cœur s’envole Et dans la fleur d’une espérance danse un malambo de feu, danse un malambo de feu. Quand sur mes paupières brûlent les tresses blondes du soleil. Je suis une pulsation dans la terre peut-être un oiseau, une âme peut-être un oiseau, une âme.
*Bate coxa : lutte dansée brésilienne plus ou moins dérivée de la Capoeira, consistant à déstabiliser l’adversaire par des coups de pieds portés aux mollets et aux cuisses.
Kikuidataki est le nom du plus petit oiseau du Japon et du plus petit colibri du monde. L’écriture indigène est « King Birds ».Kikuidataki se caractérise par sa crête jaune. Je me suis efforcé de capturer et d’imiter ses mouvements à travers des effets sonores et coloristiques. Pour représenter l’impression japonaise, la mélodie principale a été inspirée et basée sur la mélodie japonaise « Itsuki no komuriuta » (Berceuse d’Itsuki).
Marek Pasieczny (guitariste, compositeur polonais né en 1980)
Il n’y a pas si longtemps, sous les doigts de la belle guitariste Stephanie Jones, glissait sur ces pages le chant mélancolique du cacatoès noir.
Écoutons aujourd’hui depuis un autre bout du monde le vol virtuose du Kikuidataki, et demandons-nous, pour le seul plaisir de la question, qui, de l’oiseau, ici posé sur sa branche au Pays du Soleil Levant, ou du musicien, guitare au vent, est le plus habile…
Mateusz Kowalski interprète Le Vol du Kikuidataki (composition de Marek Pasienczny)
Tout animal a des idées puisqu’il a des sens, il combine même ces idées jusqu’à un certain point, et l’homme ne diffère de la bête que du plus au moins.
Jean-Jacques Rousseau – Discours sur l’origine de l’inégalité, 1754
Clabaudeur assommant, capable même d’imiter ses congénères, le cacatoès noir de la pointe nord du Queensland australien est pourtant le seul animal à jouer d’un instrument de musique : percussionniste avisé, il frappe en rythmes choisis les troncs d’arbre avec des bouts de branches de différentes longueurs – variant ainsi les sonorités – pour créer la « mélodie » qui séduira sa belle.
Mais, pour peu qu’il manque de virtuosité, il restera solitaire… et mélancolique.
Une fée, n’en doutons pas, fera chanter sa guitare pour le consoler.
« The Black Cockatoo Flying Alone » (Le cacatoès noir vole en solitaire)
Compositeur : Richard Charlton Guitare : Stephanie Jones
Fallait-il, comme le prétendait jadis mon père, que Dieu fût de bonne humeur lorsqu’il créa l’Italie.
Tenez, par exemple : Sur la route de Gallipoli une Tarentule ou pire, une Veuve noire, vous a mordu. Le poison rend vos chances de survie bien ténues… Mais rien n’est vraiment perdu : Engagez-vous jusqu’à la transe dans une danse rituelle effrénée, la « tarentelle », et peut-être réussirez-vous, en exorcisant ainsi la mélancolie qui vous envahit, à convaincre, par la séduction, le mortel insecte de vous épargner.
Ah ! Vous ne savez pas danser… Eh bien, prenez une guitare canadienne, choisissez un compositeur autrichien et, en virtuose russe jouez la « pizzica » qu’il a écrite…
Si vous parvenez à imiter le modèle, l’araignée me l’a juré, vous n’aurez vraiment plus rien à craindre !
Vera Danilina interprète – quel mot serait plus juste ? -, « Tarentella » de Johan Kasper Mertz
(guitariste et compositeur autrichien – 1806-1856)
L’amour s’en va comme cette eau courante
L’amour s’en va
Comme la vie est lente
Et comme l’Espérance est violente
Arthur Rimbaud – Le pont Mirabeau
C’est à pas lents et mesurés qu’il nous faut traverser les saisons de nos souvenirs pour ne surtout pas les déranger. – Au rythme tendrement nostalgique du poème de Barbara Auzou :
Pourquoi le son des cloches semble-t-il plus alerte au jour levant et plus lourd à la nuit tombante ? J’aime cette heure froide et légère du matin, lorsque l’homme dort encore et que s’éveille la terre. L’air est plein de frissons mystérieux que ne connaissent point les attardés du lit. On aspire, on boit la vie qui renaît, la vie matérielle du monde, la vie qui parcourt les astres et dont le secret est notre immense tourment.
Guy de Maupassant – Sur l’eau
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Drew Henderson joue
« Campanas del alba »
de Eduardo Sainz de la Maza (1903-1982)
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Qu’il serait doux le son des cloches s’il n’y avait parmi les hommes tant de mal !
Bertolt Brecht – La résistible ascension d’Arturo Ui