« Éteindre la lumière, chaque nuit… »

Chaque poème de Roberto Juarroz est une surprenante cristallisation verbale : le langage réduit à une goutte de lumière.

Octavio Paz (cité par Gil Pressnitzer)

Un poème sauve un jour.
Plusieurs poèmes pourront-ils sauver la vie entière ?
Ou suffit-il d’un seul ?

Roberto Juarroz (Treizième poésie verticale)

Éteindre la lumière, chaque nuit,
est comme un rite d’initiation :
s’ouvrir au corps de l’ombre,
revenir au cycle d’un apprentissage toujours remis :
se rappeler que toute lumière
est une enclave transitoire.

Dans l’ombre, par exemple,
les noms qui nous servent dans la lumière n’ont plus cours.
Il faut les remplacer un à un.
Et plus tard effacer tous les noms.
Et même finir par changer tout le langage
et articuler le langage de l’ombre.

Éteindre la lumière, chaque nuit,
rend notre identité honteuse,
broie son grain de moutarde
dans l’implacable mortier de l’ombre.

Comment éteindre chaque chose ?
Comment éteindre chaque homme ?
Comment éteindre ?

Éteindre la lumière, chaque nuit,
nous fait palper les parois de toutes les tombes.
Notre main ne réussit alors
qu’à s’agripper à une autre main.
Ou, si elle est seule,
elle revient au geste implorant
de raviver l’aumône de la lumière.

Roberto Juarroz (Argentine) 1925-1995

 

« Quinzième poésie verticale »

  Traduction Jacques Ancet

Et tout est dit !

Oui, de toi nous avons entendu :
Le vrai silence est au bout des mots
Mais les mots justes ne naissent
Qu’au sein du silence
De même
La vraie voie se continue par la voix
Mais la juste voix ne surgit
qu’au cœur de la voie.

François Cheng – Qui dira notre nuit

Le vase donne une forme au vide, et la musique au silence.

Georges Braque

Stephanie Jones (guitare)
Sound of Silence (Simon & Garfunkel)

Bouquet d’automne

Je me suis appuyée à la beauté du monde
Et j’ai tenu l’odeur des saisons dans mes mains.

Anna de Noailles (‘L’offrande à la Nature’)

Entre les doigts virtuoses – ô combien ! – de cette gracieuse et formidable jeune guitariste australienne, Stephanie Jones, un bouquet de senteurs sonores, baptisé ‘Cielo Abierto‘ (Ciel Ouvert), par son compositeur, le guitariste argentin contemporain Quique Sinesi.

Les parfums du monde s’y donnent un vibrant rendez-vous : remugles des anciens bordels des quais du Rio de la Plata où rivalisaient jadis les danseurs de tango chers à Borges, effluences syncopées des vapeurs de fumée et d’alcool tout droit venues du Blue Note ou du Village Vanguard, senteurs d’amande ou de vanille des partitions vieillies de nos  maîtres anciens…