L’herbe écoute (15) – Papillons / X

Dans notre France en bascule entre XIXème et XXème siècles, les courants musicaux passent et se métamorphosent, les sensibilités mutent, l’esthétique des formes se renouvelle, se modernise. Demeurent les thématiques et les symboles : Amour, Beauté, Mort. Ne les dit-on pas éternels ? Nul donc ne s’étonnerait de retrouver encore, insouciant philosophe, notre papillon virevoltant autour du piano de Debussy ou butinant un Si bémol sur une portée de Gabriel Fauré.

Une fleur déclare au papillon son amour et lui confie ses tourments. Qui se ressemble s’assemble, mais…

Et nous nous ressemblons, et l’on dit que nous sommes
Fleurs tous deux !

Cette petite pièce est commandée à Fauré par son éditeur qui souhaitait qu’elle fût brillante, virtuose, difficile mais lyrique. Fauré s’exécuta, la pièce fut enregistrée au catalogue en septembre 1884. Mais le compositeur et l’éditeur ne pouvant s’accorder sur le titre, l’œuvrette resta dans un tiroir. Ce n’est qu’en 1898 que Gabriel Fauré en permit la publication sous le titre « Papillon ».

Le musicologue Jean-Michel Nectoux rapporte que Fauré accompagna son approbation de cette phrase à destination de l’éditeur : « Papillon ou mouche à m…, mettez ce que vous voulez ! » 

D’aucuns auraient peut-être choisi « Vol du bourdon », non sans préciser – rigueur musico-entomologique oblige – « à la française ».  Comparaison n’est pas raison, mais…

Le court poème « Les papillons », extrait de « La comédie de la mort », recueil publié en 1838 par Théophile Gauthier, aura reçu les faveurs musicales d’Ernest Chausson et de Claude Debussy. La « Mélodie Française » pouvait-elle être mieux servie ?

Maintenant assis…

On entre dans la poésie de Marie Uguay comme on marche sur une plage du Québec en novembre, la beauté du décor figée dans une saison à venir ou révolue selon l’œil qui l’observe.

Sébastien Veilleux – ‘Marie Uguay : L’immortelle‘ (30/08/2021)
in ‘Les libraires’ (revue littéraire québécoise)

Maintenant nous sommes assis

maintenant nous sommes assis à la grande terrasse
où paraît le soir et les voix parlent un langage inconnu
de plus en plus s’efface la limite entre le ciel et la terre
et surgissent du miroir de vigoureuses étoiles
calmes et filantes

plus loin un long mur blanc
et sa corolle de fenêtres noires

ton visage a la douceur de qui pense à autre chose
ton front se pose sur mon front
des portes claquent des pas surgissent dans l’écho
un sable léger court sur l’asphalte
comme une légère fontaine suffocante

en cette heure tardive et gisante
les banlieues sont des braises d’orange

tu ne finis pas tes phrases
comme s’il fallait comprendre de l’œil
la solitude du verbe
tu es assis au bord du lit
et parfois un grand éclair de chaleur
découvre les toits et ton corps

Marie Uguay 1955-1981

 

 

 

 

 

Marie Uguay est une poétesse québécoise emportée très tôt, à l'âge de 26 ans, par un cancer des os. Elle n'aura eu que le temps de publier deux recueils - 'Signe et rumeur' (1976) et 'L’outre-vie' (1979) ; le troisième, 'Autoportraits' (1982), ne sera publié qu'à titre posthume.

Pour en savoir plus sur cette attachante poétesse montréalaise, lire le bel article que lui a consacré le 30/08/2021 Sébastien Veilleux dans la revue littéraire québécoise 'Les libraires': 

                     'Marie Uguay : L’immortelle'   

 

Après un rêve

Le réveil commence comme un autre rêve.  – Paul Valéry

Quand, sur une mélodie de Gabriel Fauré, Marie-Claude Chappuis chante le sien, cet autre rêve qui commence c’est le nôtre.

Splendeurs divines entendues : la mélodie française au firmament !

Malcolm Martineau est au piano.

Après un rêve

Dans un sommeil que charmait ton image
je rêvais le bonheur ardent mirage.
Tes yeux étaient plus doux, ta voix pure et sonore,
tu rayonnais comme un ciel éclairé par l’aurore ;

tu m’appelais et je quittais la terre
pour m’enfuir avec toi vers la lumière,
les cieux pour nous entr’ouvraient leurs nues
splendeurs inconnues, lueurs divines entrevues ;

Hélas ! hélas, triste réveil des songes,
je t’appelle, ô nuit, rends-moi tes mensonges,
reviens, reviens radieuse,
reviens, ô nuit mystérieuse !

Romain Bussine (1870)

Les eaux de mon été -8/ Au bord de l’eau…

WhistlerVariations en violet et vert (Musée d’Orsay)

On cogne près de l’âtre, avec un tisonnier, on viole dans la nuit étoilée, on assassine les soirs de pleine lune, et l’aube complice éclaire la fuite du coupable de la nuit… Et pourtant !…

Au coin du feu, sous les étoiles, au clair de lune, dès potron-minet … Il y a des expressions circonstancielles, comme celles-ci, qui, me semble-t-il, se refusent à introduire toute évocation violente ou dramatique ; et qui, a contrario, appellent spontanément à leur suite les images douces et paisibles des bonheurs simples.

Ainsi, qui, après au bord de l’eau, attend-il l’image de ce poisson mort rejeté par les flots ? la plainte désespérée du pêcheur devant son lac devenu infécond ? ou le rappel de la terrible noyade de cette innocente enfant ?

Au bord de l’eau demande au temps une courte pause, un instant de paix loin des tracas du monde, pour, comme dit le poète, « sentir l’amour, devant tout ce qui passe, ne point passer ».

Au bord de l’eau

S’asseoir tous deux au bord d’un flot qui passe,
Le voir passer ;
Tous deux, s’il glisse un nuage en l’espace,
Le voir glisser ;
À l’horizon, s’il fume un toit de chaume,
Le voir fumer ;
Aux alentours si quelque fleur embaume,
S’en embaumer ;
[…]
Entendre au pied du saule où l’eau murmure
L’eau murmurer ;
Ne pas sentir, tant que ce rêve dure,
Le temps durer ;
Mais n’apportant de passion profonde
Qu’à s’adorer,
Sans nul souci des querelles du monde,
Les ignorer ;
Et seuls, tous deux devant tout ce qui lasse,
Sans se lasser,
Sentir l’amour, devant tout ce qui passe,
Ne point passer !
.
Sully Prudhomme
.
.
Au bord de l’eau ! Cette expression, pour ma part, ne peut pas ne pas évoquer, tel un réflexe pavlovien, le souvenir heureux de cette chanson heureuse que chante Jean Gabin dans le célèbre film de Julien Duvivier, « La belle équipe » (1936).
.
Une bande de copains au chômage gagne à la loterie nationale et décide d’ouvrir une guinguette en banlieue parisienne, à Nogent, au bord de l’eau. L’équilibre de leur amitié ne résistera pas aux coups du destin et la rivalité amoureuse qui oppose les deux derniers compagnons de l’équipe donnera le coup de grâce à la joyeuse aventure.
.
Mais, seuls les bons souvenirs résistent à l’usure du temps. Et mon plaisir est toujours à son comble chaque fois que le hasard m’invite à l’inauguration de cette guinguette populaire pour partager la franche joie collective qui irradie ce beau dimanche ensoleillé… au bord de l’eau.
.
♫ ♫ ♫ Quand on s’promène au bord de l’eau… ♫ ♫ ♫
 
 

Lumière du chœur : le Cantique de Jean Racine*

Croire ou ne pas croire ? Là n’est pas la question !

Mais se laisser porter, léger, vers des cieux — habités ou non — par la douceur extatique d’un chœur qui implore, voilà l’occasion d’un rare moment d’éternité qu’aucune question ne saurait venir troubler. Fauré ne disait-il pas lui-même de son Requiem, écrit vingt ans après ce cantique, qu’il l’avait « composé pour rien… juste pour le plaisir » ?…

L’homme désire l’éternité mais il ne peut avoir que son ersatz : l’instant de l’extase.

Milan Kundera (« Les Testaments trahis »)

Orchestre et chœur de Paris – Direction Paavo Järvi – Salle PLEYEL Paris

Verbe égal au Très-Haut, notre unique espérance,
Jour éternel de la terre et des cieux,
De la paisible nuit nous rompons le silence :
Divin sauveur, jette sur nous les yeux.
Répands sur nous le feu de ta grâce puissante ;
Que tout l’enfer fuie au son de ta voix ;
Dissipe ce sommeil d’une âme languissante
Qui la conduit à l’oubli de tes lois !
O Christ! sois favorable à ce peuple fidèle,
Pour te bénir maintenant assemblé ;
Reçois les chants qu’il offre à ta gloire immortelle,
Et de tes dons qu’il retourne comblé.

Gabriel Fauré 1845-1924

Gabriel Fauré est à peine âgé de 19 ans et encore élève de l’école de musique religieuse Niedermeyer quand il compose le « Cantique de Jean Racine » qui vaudra au futur Maître un Premier Prix de composition, couronnant dix années d’études.

Quelques siècles auparavant, au XVIIème siècle, Jean Racine avait trouvé le loisir, entre Phèdre et Andromaque, de traduire une hymne en latin de Saint Ambroise (IVème siècle), « Consors paterni luminis » (Toi qui partages la Lumière du Père).

C’est cette traduction, très « janséniste », que Fauré a mise en musique pour chœur mixte à 4 voix et orgue.

L’orgue cède sa place à l’orchestre, et la lumière du chœur d’éblouir plus loin encore au-delà de l’autel.

*Ce billet est la réplique revisitée d’un article publié le 26/12/2012 sur le blog alors balbutiant, « Perles d’Orphée » : « Cantique de Jean Racine »  — A cette époque, la très regrettée Salle PLEYEL accueillait encore cette forme de musique, pour le bonheur de beaucoup, frappés depuis d’une inextinguible nostalgie.