Voix du temps – Voix du tango

Yo habré muerto y seguirás
orillando nuestra vida.
Buenos Aires no te olvida,
tango que fuiste y serás.*

BorgesAlguien le dice al tango 

*Je serai mort, tu resteras
Coulant au bord de notre vie.
Pour Buenos Aires pas d’oubli,
Tango tu fus et tu seras.

Carlos Gardel

Cuesta abajo

Si arrastré por este mundo
la vergüenza de haber sido
y el dolor de ya no ser,
bajo el ala del sombrero,
cuántas veces, embozada,
una lágrima asomada
yo no pude contener.
.
Si vagué por los caminos
como un paria que el destino

se empeñó en deshacer.
Si fui flojo, si fui ciego,
sólo quiero que comprendan
el valor que representa
el coraje de querer.

.Era para mí la vida entera
como un sol de primavera,
mi esperanza y mi pasión.
Sabía que en el mundo no cabía
toda la humilde alegría
de mi pobre corazón.
.
Ahora, cuesta abajo en mi rodada
las ilusiones pasadas
ya no las puedo arrancar.
Sueño, con el pasado que añoro,
el tiempo viejo que lloro
y que nunca volverá.
.
Por seguir tras de su huella
yo bebí incansablemente
en mi copa de dolor.
Pero nadie comprendía
que si todo yo lo daba,
en cada vuelta dejaba
pedazos de corazón.
.
Ahora triste en la pendiente,
solitario y ya vencido,
yo me quiero confesar.
Si aquella boca mentía,
el amor que me ofrecía,
por aquellos ojos brujos
yo habría dado siempre más.
Alfredo Le Pera & Carlos Gardel
.
.
‘Cuesta Abajo’
.
Inès Cuello  La Grela Quinteto de Tango
.

Pente descendante

Si j’ai traîné par le monde
la honte d’avoir été
et la douleur de ne plus être,
sous le rebord de mon chapeau
combien de fois, cachée,
une larme a roulé
que je n’ai pu retenir.
.
Si j’ai erré par les chemins
comme un paria que le destin
s’acharnait à détruire
Si j’ai été lâche, et aveugle,
comprenez seulement
la valeur que représente
le courage d’aimer.
.
Elle, elle était pour moi toute la vie
comme un soleil printanier,
mon espérance et ma passion.
Je savais que le monde ne ferait pas place
à l’humble bonheur
de mon pauvre cœur.
.
Maintenant, sur la pente descendante
les illusions passées
je ne puis les rejeter.
Je rêve, avec le passé que je pleure
le temps passé que je regrette
et qui jamais ne reviendra.
.
Pour suivre ses traces
j’ai bu inlassablement
la coupe de ma douleur.
Mais personne n’a compris
que si j’avais tout donné
à chaque fois j’y laissais
un morceau de mon cœur
.
Désormais triste sur la pente descendante
solitaire et déjà vaincu,
je voudrais confesser
que si jamais cette bouche m’a menti
en m’offrant son amour,
pour ces yeux ensorcelants
j’aurais donné toujours plus
.

Vent de grâce

Ce billet sera republié automatiquement le 5 décembre 2257

Wolfgang Amadeus Mozart 27 janvier 1756 – 5 décembre 1791

5 décembre 1791 — 5 décembre 2024

233 ans plus tard :
le vent, plus suave que jamais…
la grâce, toujours au coin du pupitre !

‘Soave sia il vento’

Terzettino entre Fiordiligi, Dorabella et Don Alfonso
extrait de Così fan tutte’

Soave sia il vento
Tranquilla sia l’onda
Ed ogni elemento
Benigno risponda
Ai nostri desir

Suave soit le vent,
Tranquille soit l’onde,
Puissent tous les éléments
Favorablement répondre
À nos désirs.

Samantha Clarke (Fiordiligi)
Anna Dowsley
(Dorabella)
Shaun Brown
(Don Alfonso)

Zoe Zeniodi dirige le ‘Queensland Symphony Orchestra’

Le désespoir d’un Roi

Giuseppe Verdi (1813-1901)

Philippe II d’Espagne est au comble du désespoir. Trahi et humilié. Il vient de trouver une correspondance secrète entre son fils Don Carlos et son épouse Elisabeth de Valois qui ne laisse aucun doute sur la profondeur de leurs sentiments réciproques.

Rongé par la jalousie il doute que sa jeune épouse française ait eu un jour quelque sentiment pour le vieux monarque qu’il est. Persuadé qu’elle ne l’a jamais aimé, il ronge son malheur dans la solitude de son bureau.

Giuseppe Verdi, au quatrième acte de son grand opéra à la française, Don Carlo – écrit à partir de la pièce éponyme de Schiller –, confie à la noble autorité d’une voix de basse le désespoir du Roi, qu’il introduit par un profond préambule dramatique au violoncelle.

Un des plus émouvants monologues masculins des scènes d’opéra !

« Ella giammai m’amò… »

Michele Pertusi (Basse)

Direction : Juraj Valčuha
Teatro SAN CARLO de Naples

Acte IV – Scène 1

Philippe II – Roi d’Espagne

Elle ne m’a jamais aimé !
Non, son cœur m’est fermé,
elle n’a aucun amour pour moi !

Je la revois encore, toisant en silence mes cheveux blancs,
le jour qu’elle arriva de France.
Non, elle n’a aucun amour pour moi !

Où suis-je ?
Ces flambeaux sont consumés…
L’aurore blanchit ma fenêtre. Voici déjà le jour !
Je vois ma vie lentement s’écouler.
Le sommeil, ô Dieu, a fui ma paupière épuisée !

Je ne pourrai dormir dans mon manteau royal, qu’à mon dernier instant,
alors je dormirai seul sous les voûtes noires des caveaux de l’Escurial !

Si la couronne royale me donnait le pouvoir de lire au fond des cœurs
où Dieu seul peut tout voir !

Quand le prince dort, le traître veille ; la couronne perd le Roi et l’époux son honneur !

Je ne pourrai dormir dans mon manteau royal…

Ah ! Si la royauté nous donnait le pouvoir de lire au fond des cœurs !

Elle ne m’a jamais aimé ! non !
Son cœur m’est fermé, elle ne m’a jamais aimé !

Fulgurances – XXX – Louanges

Barbara Strozzi (Venise 1619 – Padoue 1677)

 

 

O Maria, quam pulchra es,
quam suavis, quam decora.
 
Tegit terram sicut nebula,
lumen ortum indeficiens,
flamma ignis, Arca federis,
inter spinas ortum lilium,
tronum [S]ion in Altissimis
in columna nubis positum.
 
O Maria…
 
Ante sæcula creata
girum cœli circuivit sola,
profundum abissi penetravit.
Et in fluctibus maris ambulavit,
omnium corda virtute calcavit,
et in hereditate Domini morata est.
 
Tegit terram…
O Maria…
 
Alleluia.
Ô Marie, que tu es belle,
que tu es douce, que tu es avenante.
 
Elle enveloppe la terre tel un nuage,
une lumière s’élève infaillible,
une flamme, un feu, l’Arche d’Alliance,
un lys poussé parmi les épines,
le trône de Sion placé au plus haut
dans une colonne de nuée.
 
Ô Marie…
 
Avant la création des siècles,
elle a parcouru les confins du ciel,
et a pénétré les profondeurs de l’abîme.
Elle a marché sur les flots de la mer,
foulé avec vertu le cœur de tous,
et persévéré dans l’héritage du Seigneur.
 
Elle enveloppe la terre…
Ô Maria…
 
Alléluia.

*Petit commentaire sur Perles d’Orphée

 

Musiques à l’ombre – 17 – Bonheur !

J-S. Bach 1685-1750

Weichet nur, betrübte Schatten (Dissipez-vous, ombres lugubres !)

Tout droit sortie d’une cantate de Jean-Sébastien Bach, on s’attendrait à ce que pareille injonction soit chantée par la voix unifiée et profonde d’un choeur nombreux et enthousiaste, et pourtant… C’est à une seule voix de soprano, juvénile et fraîche, que le Cantor a confié cet appel déterminé au bonheur.

Ni sa modestie, ni son inspiration profane, n’entament la beauté de cette cantate BWV 202, l’une des plus populaires du Maître, écrite pour soprano soliste avec hautbois, cordes et continuo.
Comme le texte l’indique, elle a été écrite pour la célébration d’un mariage. Et si son style a laissé penser aux historiens qu’elle fut composée dans les années 1717-1723, lorsque Bach était à Cöthen, les recherches récentes la situeraient plutôt à une période plus ancienne, quand notre jeune compositeur était employé comme organiste à Weimar.

Le chef d’orchestre américain, directeur musical du Boston Baroque, Martin Pearlman, résume si justement l’atmosphère heureuse de cette cantate qu’il serait dommage, avant de se laisser aller au plaisir de la musique,  de ne pas lui donner un instant la parole :

La cantate s’ouvre au milieu d’« ombres sombres, de givre et de vents », tandis que des arpèges ascendants des cordes créent une atmosphère brumeuse et que le hautbois et la soprano solos tissent un contrepoint tortueux et harmoniquement changeant.
Alors que l’atmosphère s’éclaircit et que le monde renaît, la cantate se tourne vers des pensées de printemps et d’amour, et la musique devient plus simple et plus dansante.
L’œuvre se termine par une véritable danse, une joyeuse gavotte, dans laquelle la soprano ne chante que dans la section médiane, où elle orne l’air de la danse :
« Dans le contentement, puissiez-vous voir mille jours lumineux de bonheur. »

Cantate BWV 202 
Weichet nur, betrübte Schatten
Dissipez-vous, ombres lugubres

Netherlands Bach Society
Sayuri Yamagata, violon & direction
Julia Doyle, soprano

1.       Aria

Weichet nur, betrübte Schatten,
Dissipez-vous, ombres lugubres,
Frost und Winde, geht zur Ruh!
Gel et vent, reposez-vous !
Florens Lust
Le plaisir de Flora
Will der Brust
Accordera à nos cœurs
Nichts als frohes Glück verstatten,
Rien d’autre qu’un joyeux bonheur,
Denn sie träget Blumen zu.
Car elle arrive en portant des fleurs.

2.       Récitatif

Die Welt wird wieder neu,
Le monde redevient nouveau encore,
Auf Bergen und in Gründen
Sur les collines et dans les vallées
Will sich die Anmut doppelt schön verbinden,
Le charme se joindra avec une beauté double,
Der Tag ist von der Kälte frei.
Le jour est libéré de toute fraîcheur. 

3.        Aria

Phoebus eilt mit schnellen Pferden
Phébus se hâte avec ses chevaux rapides
Durch die neugeborne Welt.
À travers le monde nouveau-né.
Ja, weil sie ihm wohlgefällt,
Oui, puisque ceci le charme tant,
Will er selbst ein Buhler werden.
Il veut lui-même devenir un amant.

4.        Récitatif

Drum sucht auch Amor sein Vergnügen,
Donc Amour cherche aussi son plaisir,
Wenn Purpur in den Wiesen lacht,
Quand la pourpre rit dans les prairies,
Wenn Florens Pracht sich herrlich macht,
Quand la splendeur de Flora devient glorieuse,
Und wenn in seinem Reich,
Et quand dans son royaume
Den schönen Blumen gleich,
Comme les fleurs magnifiques
Auch Herzen feurig siegen.
Les cœurs sont aussi victorieux dans leur ardeur.

5.        Aria

 Wenn die Frühlingslüfte streichen
Quand la brise du printemps passe
Und durch bunte Felder wehn,
Et souffle à travers les prairies colorées,
Pflegt auch Amor auszuschleichen,
Amour souvent a aussi l’habitude de s’esquiver,
Um nach seinem Schmuck zu sehn,
Pour voir ce qui est sa gloire
Welcher, glaubt man, dieser ist,
Et cela, on le sait, c’est
Dass ein Herz das andre küsst.
Qu’un cœur en embrasse un autre. 

6.        Récitatif

Und dieses ist das Glücke,
Et c’est le bonheur,
Dass durch ein hohes Gunstgeschicke
Quand grâce à un sort très favorable
Zwei Seelen einen Schmuck erlanget,
Deux âmes obtiennent un tel trésor,
An dem viel Heil und Segen pranget.
Qui resplendit de prospérité et de bénédiction.

7.        Aria

 Sich üben im Lieben,
S’exercer à l’amour,
In Scherzen sich herzen
Plaisanter tendrement,
Ist besser als Florens vergängliche Lust.
Est meilleur que les plaisirs qui se fanent de Flora.
Hier quellen die Wellen,
Ici les vagues coulent,
Hier lachen und wachen
Ici rient et veillent
Die siegenden Palmen auf Lippen und Brust.
Les palmes de la victoire sur les lèvres et les seins

8.        Récitatif

So sei das Band der keuschen Liebe,
Puisse le lien d’un chaste amour,
Verlobte Zwei,
Couple de fiancés,
Vom Unbestand des Wechsels frei!
Être libre de l’inconstance du changement !
Kein jäher Fall
Qu’aucun accident soudain
Noch Donnerknall
Ni de coup de tonnerre
Erschrecke die verliebten Triebe!
Ne troublent vos désirs amoureux !

9.        Aria (Gavotte)

 Sehet in Zufriedenheit
Voyez dans le contentement
Tausend helle Wohlfahrtstage,
Un millier de jours brillants et heureux,
Dass bald bei der Folgezeit
Pour que bientôt dans l’avenir
Eure Liebe Blumen trage!
Votre amour puisse porter un fruit !

Textes : Bach Cantatas Website

« C » comme France

Oh ! ma France ! ô ma délaissée !
J’ai traversé Les Ponts-de-Cé.

Derrière le plus simple arrondi, incomplet certes, d’une seule lettre de l’alphabet on peut parfois trouver un émouvant poème, chargé de messages, de son siècle ou d’un autre plus lointain, poissé du sang séché des braves, qu’un inoubliable poète mu par son espérance composa un jour outragé sur les bords libres de la Loire :

« C »

Qu’un musicien à la sensibilité exacerbée se fasse complice du poète, qu’il revête sa poésie d’un habit de mélodie…
Qu’un ténor, d’une douce et ondulante inflexion, unisse ces deux voix…
Et nos âmes oublieuses franchissant les ponts de notre Loire, traverseront aussi les combats douloureux de notre histoire et les souffrances de nos ainés.

Quand les vers sont d’Aragon et la musique de Poulenc, les drames que pudiquement ils racontent paraissent plus émouvants encore.
Quand Hugues Cuénod les chante, une larme pourrait bien nous échapper… de nos temps lointains venue.

C

J’ai traversé Les Ponts-de-Cé
C’est là que tout a commencé

Une chanson des temps passés
Parle d’un chevalier blessé,

D’une rose sur la chaussée
Et d’un corsage délacé,

Du château d’un duc insensé
Et des cygnes dans les fossés,

De la prairie où vient danser
Une éternelle fiancée,

Et, j’ai bu comme un lait glacé
Le long lai des gloires faussées.

La Loire emporte mes pensées
Avec les voitures versées,

Et les armes désamorcées,
Et les larmes mal effacées,

Oh ! ma France ! ô ma délaissée !
J’ai traversé Les Ponts-de-Cé.

Louis Aragon 1897-1982

 

in Les Yeux d’Elsa – 1942

‘Les bienfaits de la Lune’

S’il vous plaît, Monsieur Baudelaire
Un peu de Fleurs du mal
Quelque chose à fumer
S’il vous plaît, Monsieur Baudelaire
Ça peut pas faire de mal
C’est du rêve imprimé.

Serge Reggiani – chanson ‘Monsieur Baudelaire’ 

Serge Reggiani dit Baudelaire :

‘Les bienfaits de la Lune’
– Petit poème en prose XXXVII –

La Lune, qui est le caprice même, regarda par la fenêtre pendant que tu dormais dans ton berceau, et se dit : « Cette enfant me plaît. »

Et elle descendit moelleusement son escalier de nuages et passa sans bruit à travers les vitres. Puis elle s’étendit sur toi avec la tendresse souple d’une mère, et elle déposa ses couleurs sur ta face. Tes prunelles en sont restées vertes, et tes joues extraordinairement pâles. C’est en contemplant cette visiteuse que tes yeux se sont si bizarrement agrandis ; et elle t’a si tendrement serrée à la gorge que tu en as gardé pour toujours l’envie de pleurer.

Cependant, dans l’expansion de sa joie, la Lune remplissait toute la chambre comme une atmosphère phosphorique, comme un poison lumineux ; et toute cette lumière vivante pensait et disait : « Tu subiras éternellement l’influence de mon baiser. Tu seras belle à ma manière. Tu aimeras ce que j’aime et ce qui m’aime : l’eau, les nuages, le silence et la nuit ; la mer immense et verte ; l’eau informe et multiforme ; le lieu où tu ne seras pas ; l’amant que tu ne connaîtras pas ; les fleurs monstrueuses ; les parfums qui font délirer ; les chats qui se pâment sur les pianos et qui gémissent comme les femmes, d’une voix rauque et douce !

« Et tu seras aimée de mes amants, courtisée par mes courtisans. Tu seras la reine des hommes aux yeux verts dont j’ai serré aussi la gorge dans mes caresses nocturnes ; de ceux-là qui aiment la mer, la mer immense, tumultueuse et verte, l’eau informe et multiforme, le lieu où ils ne sont pas, la femme qu’ils ne connaissent pas, les fleurs sinistres qui ressemblent aux encensoirs d’une religion inconnue, les parfums qui troublent la volonté, et les animaux sauvages et voluptueux qui sont les emblèmes de leur folie. »

Et c’est pour cela, maudite chère enfant gâtée, que je suis maintenant couché à tes pieds, cherchant dans toute ta personne le reflet de la redoutable Divinité, de la fatidique marraine, de la nourrice empoisonneuse de tous les lunatiques.

Charles Baudelaire 1821-1867

 

Le Spleen de Paris – 1869

Fulgurances – XI – Le temps des lilas

Ernest Chausson 1855-1899

Ruby Hugues (soprano)

accompagnée par le BBC Symphony Orchestra
sous la direction de Pascal Rophé  

« Le temps des lilas »
extrait du ‘Poème de l’amour et de la mer’

Le temps des lilas et le temps des roses
Ne reviendra plus à ce printemps ci ;
Le temps des lilas et le temps des roses
Est passé, le temps des œillets aussi.

Le vent a changé, les cieux sont moroses,
Et nous n’irons plus courir, et cueillir
Les lilas en fleur et les belles roses ;
Le printemps est triste et ne peut fleurir.

Oh ! joyeux et doux printemps de l’année
Qui vins, l’an passé, nous ensoleiller,
Notre fleur d’amour est si bien fanée,
Las ! que ton baiser ne peut l’éveiller !

Et toi, que fais-tu ? pas de fleurs écloses,
Point de gai soleil ni d’ombrages frais ;
Le temps des lilas et le temps des roses
Avec notre amour est mort à jamais.

Maurice Bouchor

‘Agitata da due venti’*

* Secouée par deux vents contraires

Tempête métaphorique du drame lyrique Griselda. Conjonction des vents violents et opposés du dilemme qui ballottent jusqu’au désespoir la pauvre Costanza, jeune fille partagée entre son devoir d’obéissance à Gualtiero, roi de Thessalie, qui l’a choisie pour future épouse, et son attachement à Roberto dont elle est éprise.
Agitation du coeur. En beauté !

Antonio Vivaldi 1678-1741

Quel feu d’artifice vocal composerait aujourd’hui le prolifique Vivaldi pour illustrer la force tempêtueuse des vents contraires qui bousculent dangereusement une nation ?
Encore faudrait-il pour chanter son désarroi jusqu’à le rendre beau et triomphant que pareille nation fût dotée de la belle énergie et de l’insigne talent de Julia Lezhneva

Dans le doute… et puisque le grand compositeur n’a pas annoncé son retour, prendre avant le pire le plaisir qui nous est offert, ici et maintenant !

Agitata da due venti,
freme l’onda in mar turbato
e ‘l nocchiero spaventato
già s’aspetta a naufragar.
.
Dal dovere da l’amore
combattuto questo core
non resiste e par che ceda
e incominci a desperar.
Secouée par deux vents
la vague tremble dans la mer perturbée
et le timonier, effrayé,
s’attend à faire naufrage.
.
Entre le devoir et l’amour
ce cœur combat
il ne résiste pas et paraît céder
et commence à désespérer…

Cherubikon

Si le dégoût du monde conférait à lui seul la sainteté, je ne vois pas comment je pourrais éviter la canonisation.

Emile Cioran – De l’inconvénient d’être né1973

L’âme qui n’a pas appris à mépriser les choses insignifiantes et les soucis quotidiens de la vie ne pourra admirer ce qui est céleste.

Saint Jean Chrysostome

‘Hymne des Chérubins’ 

 Grigory Lvovsky (1830-1894)

Choeur du Monastère de Sretensky 

Nous qui représentons mystiquement les chérubins,
et qui chantons à la Trinité l’hymne trois fois saint qui donne la vie,
écartons les soucis terrestres
pour recevoir le roi de tous,
escorté invisiblement par les cohortes angéliques.
Alleluia ! 

Le mauvais temps du coeur !

Il pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur la ville…

‘Stormy Weather’

Je ne sais pas pourquoi il n’y a pas de soleil dans le ciel
Sale temps
Puisque mon homme et moi sommes séparés
Il pleut tout le temps
La vie est nue, sombre et malheureuse partout
Sale temps
Je ne peux juste pas me ressaisir,
Je suis tout le temps fatiguée
Si fatiguée tout le temps
Quand il est parti, le blues est entré en moi et s’est installé
S’il ne revient pas, la vieille chaise à bascule aura ma peau
Tout ce que je fais, c’est prier le Seigneur d’en haut qu’il me laisse marcher une fois de plus au soleil.
Je ne peux pas continuer, j’ai perdu tout ce que j’avais
Sale temps
Depuis que mon homme et moi sommes séparés,
La pluie ne cesse de tomber

Don’t know why there’s no sun up in the sky
Stormy weather
Since my man and I ain’t together,
Keeps rainin’ all the time
Life is bare, gloom and mis’ry everywhere
Stormy weather
Just can’t get my poorself together,
I’m weary all the time
So weary all the time
When he went away the blues walked in and met me.
If he stays away old rockin’ chair will get me.
All I do is pray the Lord above will let me walk in the sun once more.
Can’t go on, ev’ry thing I had is gone
Stormy weather
Since my man and I ain’t together,
Keeps rainin’ all the time

Manon inoubliable

Manon, Manon Lescaut !
N’aurions-nous lu qu’un seul livre, qu’un seul roman, qu’une seule histoire tragique de passion amoureuse, n’aurions-nous vu et entendu qu’un seul opéra, de Massenet ou de Puccini, n’aurions-nous assisté qu’à une unique pièce de théâtre, de Marivaux, de Marcel Aymé ou autre Jean-Paul Sartre, n’aurions-nous visionné qu’un seul film, de Jean Delannoy ou peut-être de Clouzot, n’aurions-nous applaudi debout qu’une seule ballerine mourant en scène, chaussons aux pieds, sous les tendres caresses de son malheureux amant, nous aurions très probablement, d’une manière ou d’une autre, traversé quelques pages, sauvées des flammes, de l’oeuvre mythique de ce cher Abbé Prévost.

Pascal Dagnan-BouveretL’enterrement de Manon Lescaut

Pourrions-nous oublier ces tristes héros, Manon et Des Grieux – aussi jeunes que nous l’étions nous-mêmes jadis les découvrant – dont nous devions alors doctement analyser les comportements et qui faisaient couler plus de sueur sur nos fronts contraints à l’érudition que d’encre sur nos copies ou de larmes dans nos yeux pétillants d’insouciance ?

Manon, énigmatique Manon, sensuelle et fourbe, innocente et manipulatrice, ange et catin, qui n’est jamais aussi vivante dans nos souvenirs qu’à l’ultime instant de son tragique destin.

— Chante Manon, « seule, perdue, abandonnée », depuis ce lointain désert, la désespérance de ton dernier souffle ! Puccini lui-même a composé ta musique.

Asmik Grigorian (soprano)
« Sola, perduta, abbandonata »
Air final de l’opéra de Puccini « Manon Lescaut »

Maintenant, tout mon horrible passé ressurgit,
et il repose vivant devant mon regard.
Ah, il est taché de sang !
Ah, tout est fini !
Asile de paix, maintenant j’invoque la tombe.
Non, je ne veux pas mourir !
Amour, aide-moi ! Non !

— Danse Manon, avec ton compagnon d’infortune, les derniers sursauts de votre impossible amour ! Kenneth MacMillan a chorégraphié vos pas ; Jules Massenet avait mis le drame en musique.

Le Chevalier Des Grieux se confie ; l’Abbé Prévost ouvre les guillemets :

« Pardonnez, si j’achève en peu de mots un récit qui me tue. Je vous raconte un malheur qui n’eut jamais d’exemple. Toute ma vie est destinée à le pleurer. Mais, quoique je le porte sans cesse dans ma mémoire, mon âme semble reculer d’horreur, chaque fois que j’entreprends de l’exprimer.
Nous avions passé tranquillement une partie de la nuit. Je croyais ma chère maîtresse endormie et je n’osais pousser le moindre souffle, dans la crainte de troubler son sommeil. Je m’aperçus dès le point du jour, en touchant ses mains, qu’elle les avait froides et tremblantes. Je les approchai de mon sein, pour les échauffer. Elle sentit ce mouvement, et, faisant un effort pour saisir les miennes, elle me dit, d’une voix faible, qu’elle se croyait à sa dernière heure. Je ne pris d’abord ce discours que pour un langage ordinaire dans l’infortune, et je n’y répondis que par les tendres consolations de l’amour. Mais, ses soupirs fréquents, son silence à mes interrogations, le serrement de ses mains, dans lesquelles elle continuait de tenir les miennes me firent connaître que la fin de ses malheurs approchait. N’exigez point de moi que je vous décrive mes sentiments, ni que je vous rapporte ses dernières expressions. Je la perdis ; je reçus d’elle des marques d’amour, au moment même qu’elle expirait. C’est tout ce que j’ai la force de vous apprendre de ce fatal et déplorable événement. »  

♥♥♥

Elle viendra – 13 – Suicidio !

SuicidioIn questi fieri momentiTu sol mi resti

Amour, passion, pouvoir, complot, trahison, mensonge, dissimulation… Et, apothéose de la tragédie humaine, la mort, violente de préférence, pour que l’opéra demeure l’Opéra.
Et si le crime fait largement florès, autant sur les scènes baroques que dans les livrets romantiques, le suicide n’y est pas en reste qui comptabilise (suicides et tentatives) 122 actes du genre sur 337 opéras recensés (source Rough Guide to Opera – 2007).

Toujours intacte notre émotion devant ce drame humain que la voix de soprano, plus que toute autre, imprime profondément dans nos coeurs : inoubliable Didon que Purcell laisse mourir en scène ; merveilleuse Norma s’offrant souveraine, en compagnie de Pollione, aux flammes du bûcher allumé par Bellini ; Isolde, encore, dans un dernier souffle énamouré (Dans le torrent déferlant, / dans le son retentissant, / dans le souffle du monde / me noyer, / sombrer inconsciente / bonheur suprême !), se laissant magnifiquement emporter par « la mort d’amour » sur le cadavre encore chaud de Tristan à qui Wagner vient d’ôter la vie…!

Mais Gilda…! Mais Cassandre…! Mais Juliette…!

… Et La Gioconda !

Les femmes naissent et meurent dans un soprano qui paraît indestructible. Leur voix est un règne. Leur voix est un soleil qui ne meurt pas.

Pascal Quignard – La leçon de musique, Paris, Hachette littérature, 1998

Que l’on soit ou pas aficionado de l’art lyrique, c’est Maria Callas, soprano iconique, que son oreille se prépare aussitôt à entendre lorsqu’est évoqué « Suicidio », le célèbre air qui termine en apothéose vocale l’opéra de Amilcare Ponchielli, « La Gioconda ».

Imaginerait-on ce grand air de soprano dramatique confié à une mezzo-soprano, fût-elle l’incomparable cantatrice Brigitte Fassbaender à qui le répertoire allemand de Bach à Mahler doit tant de merveilleuses interprétations ?

N’imaginons plus ! Écoutons-la lancer son tragique appel au suicide : « Suicidio » !
Tout ici est pâte humaine, souple et chaude, chair sensuelle, peau frissonnante, implorant la lame libératrice.

Quatrième et dernier acte : 

 Pour La Gioconda, jeune chanteuse des rues, le drame atteint au paroxysme : sa mère a disparu et Enzo, l'amour de sa vie, lui préfère une autre femme, Laura. Pour amadouer le maléfique espion Barnaba afin qu'il ne porte atteinte ni à la vie de sa mère aveugle, ni à la liberté du jeune couple, Gioconda, noble et généreuse, a promis de se donner à lui. Elle est au comble de ses souffrances quand le sinistre personnage réclame l'exécution de sa promesse. Une dague n'est pas loin de sa main délicate ; elle la plante dans sa propre poitrine avant d'entendre l'infâme Barnaba lui avouer qu'il a fait noyer la pauvre vieille femme.
GIOCONDA
SuicidioIn questi fieri momentiTu sol mi restiE il cor mi tentiUltima voceDel mio destinoUltima croceDel mio cammino
.
E un dì leggiadroVolava l’orePerdei la madrePerdei l’amorePerdei l’amoreVinsi l’infausta
.
Gelosa febbreOr piombo esaustaOr piombo esaustaFra le tenebreFra le tenebre
.
Tocco alla metàDomando al cieloDomando al cieloDi dormir quietaDi dormir quietaDentro l’ave
.
Domando al cieloDi dormir quietaDentro l’aveDentro l’aveDomando al cieloDi dormir quietaDentro l’ave

¤ ¤ ¤

Maria Callas
La Gioconda – « Suicidio »
version 1959

.GIOCONDA
.
Suicide ! En ces
moments terribles,
tu es tout ce qui me reste
et tentes mon cœur,
ultime voix
de mon destin,
ultime croix
de mon chemin.
Autrefois, les heures

S’écoulaient avec insouciance…
J’ai perdu ma mère,
J’ai perdu mon amour,
J’ai vaincu la sinistre
Fièvre de la jalousie !
Maintenant, épuisée,
 je m’enfonce dans les ténèbres !
Je touche au but…
Je demande au Ciel
de me laisser dormir sereinement
dans mon tombeau.
.

Tendre duo

La scène d’opéra si propice aux lâches trahisons, crimes odieux et autres suicides, peut aussi parfois, et même avec le plus grand bonheur, offrir sourire et bons sentiments.

Laissons traîner un oeil indiscret et surtout une oreille dans cette chambre d’hôtel viennois où sont réunies les deux soeurs Waldner, Arabella l’aînée et Zdenka la cadette.
Elles préparent la rencontre d’Arabella avec son futur fiancé. Si Zdenka est déguisée en garçon, c’est tout simplement parce que les parents à la limite de la ruine ne pourront doter, et encore, que l’une des deux filles.

Nous sommes au premier acte de « Arabella », comédie lyrique de Richard Strauss, composée en 1932 sur un livret que ne put achever Hugo von Hofmannstal, décédé quelques années auparavant.

Arabella  =  Anja Harteros (soprano)
Zdenka  =  Hanna-Elisabeth Müller (soprano)

Peut-on rêver plus charmant duo ?

ARABELLA

[…]
aber der Richtige – wenns einen gibt für mich auf dieser Welt –
der wird auf einmal dastehen, da vor mir
und wird mich anschaun und ich ihn
und keine Zweifel werden sein und keine Fragen
und selig werd ich sein und ihm gehorsam wie ein Kind.

ZDENKA (nach einer kleinen Pause, sie liebevoll ansehend.)

Ich weiß nicht wie du bist, ich weiß nicht ob du Recht hast –
dazu hab ich dich viel zu lieb! Ich will nur daß du glücklich wirst –
mit einem ders verdient! und helfen will ich dir dazu.
So hat ja die Prophetin es gesehn:
sie ganz im Licht und ich hinab ins Dunkel.
Sie ist so schön und lieb, – ich werde gehn
und noch im Gehn werd ich dich segnen, meine Schwester.

ARABELLA für sich und zugleich mit Zdenka.

Der Richtige, wenns einen gibt für mich,
der wird mich anschaun und ich ihn
und keine Zweifel werden sein und keine Fragen,
und selig werd ich sein und ihm gehorsam wie ein Kind!

◊ ◊ ◊

ARABELLA

Mais l’homme dont je rêve, s’il y en a un pour moi
sur cette terre,
se présentera soudain devant moi ;
il voudra me regarder et je le regarderai ;
et il n’y aura plus de doutes ni de questions ;
et à la fin je serai bénie, rendue docile comme une petite fille !

ZDENKA (Après une petite pause, en la regardant tendrement)

Je ne lis pas dans ton cœur ; Je ne sais pas si tu as raison.
C’est pour ça que tu sais, je t’aime trop ! Je veux juste
que tu sois heureuse avec un homme digne de toi !
Et je veux vous aider dans
cette voie !
Ah, comme la diseuse de bonne aventure a bien compris cela !

Toi sous le soleil éclatant ;… et moi… là-bas, dans le noir !
Toi si belle et gentille ! Je vais m’éloigner

et à chaque pas, j’aurai envie de te bénir, ma chère Sœur !

ARABELLA (Pour elle-même et en même temps que Zdenka.)

Mais l’homme dont je rêve, s’il y en a un pour moi
sur cette terre,
se présentera soudain devant moi ;
il voudra me regarder et je le regarderai ;
et il n’y aura plus de doutes ni de questions ;
et à la fin je serai bénie, rendue docile comme une
petite fille !

Hauteur de voix, voix des Hauteurs

La voix touchante de la foi naïve résonne à mon oreille.

Gustav Mahler en 1892

C’est par ces mots que Mahler, fraichement converti au catholicisme, évoque la foi nouvelle qui l’anime et qui l’encourage à espérer qu’elle l’aidera à sortir par le haut des nombreux tourments de son existence.
Ainsi choisit-il de reprendre, pour le quatrième et avant dernier mouvement de sa puissante Symphonie N°2 – « Résurrection » (Auferstehung) -, un des lieder « Urlicht » (Lumière originelle) du recueil « Des Knaben Wunderhorn » (Le cor enchanté de l’enfant), composé quelques années auparavant.

Mahler souhaitait que cette pause spirituelle au milieu de la symphonie, précédant la ferveur du final décliné en éloge musical de la vie triomphante, évoquât, à travers le timbre d’une voix de contralto, le chant d’un enfant imaginant en toute naïveté son arrivée au paradis.
Sur la partition il avait indiqué :

Sehr feierlich aber schlicht. Choral mässig
Très solennel mais modeste. En forme de choral modéré

Lumière Originelle

O petite rose rouge,
L’homme est accablé d’une si grande souffrance !
L’homme est accablé d’une si grande peine !
Comme je préférerais être au Paradis !
J’allais sur un large chemin
quand un ange survint, qui voulait m’en chasser.
Ah non ! je ne me laisserai pas chasser !
Je suis venu de Dieu et sens retourner à Dieu !
Le bienaimé Dieu allumera pour moi une petite lumière,
qui m’éclairera jusque dans la vie éternelle.

Petra Lang (mezzo-soprano) chante « Urlicht »
Extrait de l’enregistrement de la Symphonie N°2 en Ut mineur de Gustav Mahler
Philharmonie de Berlin le 26/03/2005

Staatskapelle de Berlin
Direction Pierre Boulez

Urlicht

O Röschen rot,
Der Mensch liegt in grösster Not,
Der Mensch liegt in grösster Pein,
Je lieber möcht ich im Himmel sein.
Da kam ich auf einen breiten Weg,
Da kam ein Engellein und wollt mich abweisen,
Ach nein ich liess mich nicht abweisen.
Ich bin von Gott und will wieder zu Gott,
Der liebe Gott wird mir ein Lichtchen geben,
Wird leuchten mir bis an das ewig selig Leben.

YouTube offre l’embarras du choix à toutes celles et ceux qui souhaiteraient découvrir une version de qualité de cette œuvre gigantesque… aussi pour sa longueur (1h30). Ils, elles y trouveront évidemment la version intégrale d’où est extraite la vidéo précédente. Les versions d’anthologie, en audio parfois, ne manquent évidemment pas.

La découverte réserve cependant d’excellentes surprises (je n’ignore pas la part de subjectivité de toute appréciation). Celle-ci, inconnue en tous points de votre serviteur, a exercé sur lui une séduction particulière…

Andrew Manze, Dirigent
Katharina Konradi, Sopran
Marianne Beate Kielland, Alt
Collegium Vocale Hannover
Capella St. Crucis Hannover
Johannes-Brahms-Chor Hannover
Junges Vokalensemble Hannover
NDR Radiophilharmonie