Flâner entre le rêve et le poème… Ouvrir la cage aux arpèges… Se noyer dans un mot… S'évaporer dans les ciels d'un tableau… Prendre plaisir ou parfois en souffrir… Sentir et ressentir… Et puis le dire – S'enivrer de beauté pour se forcer à croire !
Même au fond du Tartare, au séjour des supplices, Le luth a suspendu le cours de la justice : Cerbère au triple mufle a cessé d’aboyer *
Sylvius Leopold Weiss
1687 – 1750
Chaconne en Sol mineur
Klaudyna Żołnierek (luth baroque)
Le malheureux Orphée, en sa douleur cruelle, Cherche les lieux déserts, et sur son luth fidèle, Eurydice, c’est toi, toi seule, ses amours, Qu’il veut chanter, de l’aube à la chute du jour. *
Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles !
Voltaire – Candide – (Pangloss)
Si l’on cherchait un hymne aux temps heureux que nous vivons, aussi beau que judicieux et représentatif des réalités du moment, aucun choix ne conviendrait mieux que la splendide aria extraite de la cantate profane de Jean-Sébastien Bach, BWV 208 « Was mir behagt, ist nur die muntre Jagd » (Mon seul plaisir est la joie de la chasse).
Merci à tous les sages qui gouvernent le monde !
Ellen McAteer (soprano)
Schafe können sicher weiden Wo ein guter Hirte wacht.
Wo Regenten wohl regieren Kann man Ruh’ und Friede spüren Und was Länder glücklich macht.
∼
Les moutons peuvent paître en toute sécurité là où un bon berger veille sur eux.
Là où les souverains gouvernent avec sagesse, on peut goûter paix et tranquillité, et c’est ce qui rend un pays heureux.
Georges Brassens, ce grand monsieur bien sympathique, un peu bourru, œil profond, moustache épaisse et guitare grivoise, qui jadis – il n’y a pas si longtemps – parlait et écrivait notre langue comme un académicien un tantinet encanaillé, aurait-il capturé tous les papillons qui pendant des siècles avaient choisi d’égayer les partitions des musiciens français ?
Il est vrai qu’aujourd’hui le vol à la mode est le vol à mains armées, et que la balle de kalachnikov sonne plus fort que l’éternuement d’un papillon.
C’est pourtant aux français, parmi tous les compositeurs européens des siècles précédents, de la période baroque jusqu’au début de la modernité en passant par l’ère romantique, que le papillon doit sa part musicale la plus riche. Tant de leurs œuvres ont mis le bel insecte à l’honneur : arias d’opéras, musiques de ballet, chansons populaires, pièces instrumentales diverses et, – merveilles de la « Mélodie Française » -, romances suaves destinées à accompagner les poèmes que sa grâce et sa symbolique auront inspirés.
Papillon français… et baroque
Papillon français… et romantique
Papillon français… moderne et impressionniste
André Campra 1660-1744 « Chanson du papillon » (extrait des « Fêtes Vénitiennes » – opéra-ballet) Kaja Eidé Noréna(soprano)
Charmant papillon dont l'aile d'or passe Dans l'espace Comme une fleur!
Que ne puis-je, sur ta trace, M'envoler avec toi comme une sœur!
Charmant papillon dont l'aile d'or passe Dans l'espace Comme une fleur! Je voudrais voler avec toi Comme une sœur!
C'est à peine si tu te poses, Sur la feuille tendre des roses, Dans l'espace que tu parcours, Ah! Que tes bons jours sont courts!
Charmant papillon dont l'aile d'or passe Dans l'espace Comme une fleur! Je voudrais voler avec toi Comme une sœur!
∑
François Couperin 1668-1733 « Les papillons » (Pièces pour clavecin – 1er livre – 2ème ordre) Gustav Leonhardt (clavecin)
∑
Jean-Philippe Rameau 1683-1764 « Papillon inconstant » (« Les Indes Galantes » / 1735 – extrait) Melissa Petit (soprano) Les Talens Lyriques Direction : Christophe Rousset
Papillon inconstant, vole dans ce bocage, Arrête-toi, suspens le cours De ta flamme volage. Jamais si belles fleurs sous ce naissant ombrage, N’ont mérité de fixer tes amours. Papillon inconstant, vole dans ce bocage, Arrête-toi, suspens le cours De ta flamme volage.
A l’évidence la délicatesse, la légèreté et la fragilité du papillon ont particulièrement enchanté les compositeurs italiens pour qu’ils nous enchantent eux-mêmes à leur tour. Baroques ou romantiques c’est au cristal de la voix de soprano qu’ils ont confié l’évocation sonore du gracieux insecte, ou, à défaut, à l’aérienne agilité de la flûte.
Antonio Vivaldi (1678-1741) « La farfaletta s’aggira al lume » – RV 660 Cantate pour soprano – Aria I Arianna Vendittelli (soprano) Andrea Buccarella dirige l’Abchordis Ensemble
Aria - Andante molto (la maggiore)
La farfalletta s’aggira al lume, Sen vola l’ape d’intorno ai fiori, E Clizia amante segue il suo sol. Per te mio caro vezzoso nume, Nel sen io sento gl’accesi ardori, Se in me Cupido spiegò il suo vol. La farfalletta s’aggira al lume...
******
Le petit papillon vole autour de la lumière, L'abeille vole autour des fleurs, Et Clizia, amoureuse, suit son soleil. Pour toi, mon cher dieu charmant, Je sens dans mon cœur une ardeur brûlante, Comme si Cupidon avait déployé ses ailes en moi. Le petit papillon vole autour de la lumière...
Antonio Vivaldi (1678-1741) « La farfalletta audace » Aria pour voix et basse continue d’un opéra non identifié. RV 749.6 Simone Kermes (soprano) Venice Baroque Orchestra – Direction Andrea Marcon
La farfalletta audace Sen vola alla sua face E incenerir la fa Chi l’innamora.
Anch’io sperai goder Ma quel falso piacer Che inamorar mi fa Vuol or che mora.
*******
Le petit papillon audacieux Vole vers son visage Et réduit en cendres Celui qui l'aime.
Moi aussi, j'espérais jubiler Mais ce faux plaisir Qui me fait tomber amoureux Veut maintenant que je meure.
Domenico Scarlatti (1685-1757) « Qual farfalletta amante » Extrait d’une cantate profane non identifiée Sumi Jo (soprano)– Lee Young-i (piano)
Qual farfalletta amante, io volo a quella fiamma, che in petto il cor m’ infiamma, e morte non mi da. Il vago tuo sembiante se accresce in me l’ardore a quest’afflitto core Ristor pur darà.
******
Comme un papillon amoureux, je vole vers cette flamme, qui enflamme mon cœur, et ne me donne pas la mort. Ton vague visage augmente en moi l'ardeur de ce cœur affligé, mais lui donnera aussi du réconfort.
Vincenzo Bellini (1801-1835) « La Farfalletta » Mélodie extraite des Composizioni da camera Juliette Mey (soprano) – Payaka Niwano (piano)
Farfalletta, aspetta, aspetta; non volar con tanta fretta. far del mal non ti vogl’io; ferma, appaga il desir mio.
Vo’ baciarti e il cibo darti, da’ perigli preservarti. di cristallo stanza avrai e tranquilla ognor avrai.
L’ali aurate, screziate so che Aprile t’ha ingemmate, che sei vaga, vispa e snella, fra tue eguali la più bella.
Ma crin d’oro ha il mio tesoro, il fanciullo ch’amo, e adoro. e a te pari vispo e snello fra i suoi eguali egli è il più bello.
Vo’ carpirti, ad esso offrirti; più che rose, gigli, e mirti ti fia caro il mio fanciullo, ed a lui sarai trastullo.
Nell’aspetto e terso petto, rose e gigli ha il mio diletto. Vieni, scampa da’ perigli, non cercar più rose e gigli.
******
Petit papillon, attends, attends ; ne vole pas si vite. Je ne te veux aucun mal ; arrête-toi et comble mon désir.
Je veux t'embrasser et te donner à manger, te préserver du danger. Ta chambre sera en cristal et toujours tu seras en paix.
Je sais qu’avril de pierre précieuses a paré tes ailes d’or et de moire que tu es gracieux, vif et svelte le plus beau parmi tes semblables
Mais mon trésor a des cheveux d'or, l'enfant que j'aime et que j'adore ; et comme toi, vif et élancé, il est le plus beau parmi ses semblables.
Je veux te capturer, t'offrir à lui ; plus que roses, lys et myrtes, mon enfant te sera cher, et tu seras son amusement.
Dans son apparence, dans son cœur pur, mon bien-aimé n'a que roses et lys. Viens, épargne-toi le danger, ne cherche plus ailleurs les roses et les lys.
Ernesto Köhler (1849-1907) « Papillon » Étude de concert pour flûte et piano Op.30 N°4 Denis Lupachev (flûte) · Natalia Frolova (piano)
Malin le grillon qui désensibilise son système auditif pour ne pas être assourdi par ses propres stridulations dont il gratifie généreusement les nuits d’été.
Les musiciens, nombreux et de toutes les époques, ont, au contraire, tendu leurs oreilles affûtées en direction de ce chant répétitif et rythmé, modulé pour tantôt persuader la femelle, tantôt dissuader un rival. Et le plus souvent, il est vrai, en considérant ce peuple de l’herbe sous l’angle du risible.
Ainsi cette heureuse symbolique de persévérance têtue et d’énergie vitale, associée au caractère « sautillant » et « folâtre » du grillon, a-t-elle inspiré l’humour musical de l’immense compositeur du XVIIIème siècle Georg Philipp Telemann, pour l’écriture de sa fantasque et raffinée « Grillen-Symphonie » (Symphonie des Grillons).
La qualifierait-on de « capricieuse », sachant que, si en allemand moderne « grillen » signifie « grillons », en 1765, le mot se traduisait également par « bizarreries » ou « caprices » ? Et, à en juger par le caractère de la composition et l’instrumentation colorée, particulière pour l’époque – chalumeau et deux contrebasses solistes –, il apparaît bien probable que Telemann ait voulu jouer avec ce double sens pour ajouter une part supplémentaire d’ironie à l’esprit « fantasque » de l’œuvre.
Georg Philipp Telemann (1681 – 1767)
« Grillen-Symphonie » -– « Concert à 9 Parties » (Symphonie des Grillons) en Sol majeur – TWV 50:1.
Ensemble « Le Jardin de Montéclair »
Trois mouvements :
1/ Etwas lebhaft(plutôt vif) : ouverture énergique, introduisant les thèmes principaux non sans espièglerie.
2/ Tändelnd (badin, facétieux) : mouvement lyrique et expressif ; sous une apparente solennité mondaine un ton malicieux. On rit sous cape...
3/ Presto (rapide) : énergie dansante (gigue ou menuet), rythme enlevé et accents rustiques populaires pour ce dernier mouvement virtuose.
… Et le grillon, caché dans l’herbe, riant à son tour d’une célèbre fourmi, de s’écrier entre deux crissements d’ailes : – Eh bien dansez maintenant !
James Christensen 1942-2017 (USA) – Sa chambre préférée
Ne tombe pas amoureux d’une femme qui lit, d’une femme qui ressent trop, d’une femme qui écrit… Ne tombe pas amoureux d’une femme cultivée, magicienne, délirante, folle. Ne tombe pas amoureux d’une femme qui pense, qui sait ce qu’elle sait et qui, en plus, sait voler ; une femme sûre d’elle-même.
Ne tombe pas amoureux d’une femme qui rit ou qui pleure en faisant l’amour, qui sait convertir sa chair en esprit ; et encore moins de celle qui aime la poésie (celles-là sont les plus dangereuses), ou qui passe une demi-heure à fixer un tableau, ou qui ne sait pas comment vivre sans musique.
Ne tombe pas amoureux d’une femme qui s’intéresse à la politique, qui est rebelle et qui a le vertige devant l’immense horreur des injustices. Une femme qui aime le foot et le baseball et qui n’aime absolument pas regarder la télévision. Ni d’une femme belle peu importe les traits de son visage ou les caractéristiques de son corps.
Ne tombe pas amoureux d’une femme ardente, ludique, lucide et irrévérencieuse.
Ne t’imagine pas tomber amoureux de ce genre de femme.
Car, si d’aventure tu tombais amoureux d’une femme pareille, qu’elle reste ou pas avec toi, qu’elle t’aime ou pas, d’elle, d’une telle femme, JAMAIS on ne revient.
Martha Rivera-Garrido (poétesse dominicaine)
∰
Je ne connais pas son adresse, mais tu la rencontreras sans doute entre Upper West Side – Manhattan à New York City et les entrepôts des anciennes aciéries à Brooklyn. Pour dire plus simplement : entre le très chic Metropolitan Opera et le très populaire Gowanus Ballroom, désormais fermé.
Son nom ? ‘Stella di Napoli‘… ou Joyce DiDonato.
∰
No te enamores de una mujer que lee, de una mujer que siente demasiado, de una mujer que escribe… No te enamores de una mujer culta, maga, delirante, loca. No te enamores de una mujer que piensa, que sabe lo que sabe y además sabe volar; una mujer segura de sí misma. No te enamores de una mujer que se ríe o llora haciendo el amor, que sabe convertir en espíritu su carne; y mucho menos de una que ame la poesía (esas son las más peligrosas), o que se quede media hora contemplando una pintura y no sepa vivir sin la música. No te enamores de una mujer a la que le interese la política y que sea rebelde y vertigue un inmenso horror por las injusticias.Una a la que le gusten los juegos de fútbol y de pelota y no le guste para nada ver televisión. Ni de una mujer que es bella sin importar las características de su cara y de su cuerpo. No te enamores de una mujer intensa, lúdica y lúcida e irreverente. No quieras enamorarte de una mujer así.
Porque cuando te enamoras de una mujer como esa, se quede ella contigo o no, te ame ella o no, de ella, de una mujer así, JAMAS se regresa.
Il faut des torrents de sang pour effacer nos fautes aux yeux des hommes, une seule larme suffit à Dieu.
Chateaubriand – Atala
On ne pourra pas dire que Chateaubriand aura emprunté cette image au Livre des Lamentationsde Jérémie. Prophète dévasté par la réalisation de sa prophétie, la Destruction du Temple de Jérusalem, qui dans le texte biblique se plaint, lui, de ne pas avoir assez de larmes dans son corps pour pleurer ses pêchés et implorer le pardon divin. Chacun façonne le protocole de sa foi…
Rembrandt – Jérémie, lamentations après le Destruction du Temple
Johann Christoph Bach – cousin germain du père du grand Johann-Sebastian – compose sur les paroles éplorées de l’oracle un déchirant« lamento » pour voix d’alto et violon qui, une fois entendu, imprime à jamais nos émotions musicales et s’impose définitivement à notre mémoire.
Johann Christoph Bach (1642-1703)
« Ach, dass ich Wassers gnug hätte » (Ah, que n’ai-je assez d’eau)
Christopher Lowrey (contre-ténor) Ensemble Voices Of Music (San-Francisco)
Ach dass ich Wassers gnug hätte in meinem Haupte Und meine Augen Tränenquellen wären, Dass ich Tag und Nacht beweinen könnte meine Sünde!
Meine Sünden gehen über mein Haupt. Wie eine schwere Last ist sie mir zu schwer worden, Darum weine ich so, und meine beiden Augen fliessen mit Wasser. Meines Seufzens ist viel, und mein Herz ist betrübet, Denn der Herr hat mich voll Jammers gemacht Am Tage seines grimmigen Zorns.
Le musicologue Gilles Cantagrel - sommes-nous nombreux à nous être régalés jadis de ses formidables présentations des cantates de Jean-Sébastien Bach sur France Musique - écrivait ces quelques phrases à propos de cette oeuvre, dans un programme de la Philharmonie de Paris en septembre 2007 :
"Le second lamento de Johann Christoph Bach, « Ach, daß ich Wassers gnug hätte » (Ah, que n’ai-je assez d’eau), est un bref concert spirituel dans la descendance de Schütz, en trois parties avec reprise. Il est écrit pour voix d’alto solo, violon, trois violes de gambe et basse. Concision, densité expressive, efficacité : l’écriture abonde en figures de la désolation, quartes diminuées descendantes, chromatismes, et la récitation épouse toutes les inflexions du langage en en soulignant les images. Un pur chef-d’œuvre."
Et par une voix de contralto :
Delphine Galou Les Musiciens Du Louvre
Ah ! que n’ai-je assez de pleurs dans ma tête et que mes yeux ne sont sources de larmes, afin que jour et nuit je puisse pleurer mes péchés ! Mes péchés dépassent ma tête. Telle une pesante charge, ils me sont devenus trop lourds, c’est pourquoi je pleure ainsi, et mes deux yeux s’écoulent en larmes. Que de soupirs en moi, et mon cœur est attristé, car le Seigneur m’a empli de détresse au jour de sa terrible fureur.
Défaut reconnu est à moitié pardonné dit un proverbe québécois.
Puisse chaque lecteur de ce billet m’accorder l’autre moitié !
≈
— Non ! La nef n’ouvre pas de plain-pied sur le buffet. Et le buffet ne laisse pas voir les sommiers. Serais-tu bête comme tes pieds pour penser que je parle ici de mon pied-à-terre ? (Je fais un pied de nez).
Nef d’église et buffet d’orgue, c’est de cela qu’il s’agit puisque j’évoque le talent d’une organiste que je mets sur un piédestal : Anne-Isabelle de Parcevaux, virtuose avec ses pieds aussi. Affaire de pédalier, bien sûr…
Écoute ! Les oreilles ne s’ouvrent pas au pied-de-biche !
La voici à pied d’oeuvre, ne mets pas les pieds dans le plat !
Pareille habileté, pied au plancher, suppose bien sûr de ne pas avoir, littéralement, les deux pieds dans le même sabot, si tu me permets le trait, mais surtout de travailler d’arrache-pied, sans répit, sans lever le pied, seule manière d’éviter à ses pieds de jouer comme un pied. De telles danses des orteils ne sont pas des passe-pieds, comme on pourrait l’imaginer ; ce n’est pas au pied levé qu’on peut les interpréter ; l’organiste, au pied du mur, y perdrait pied…. et serait, naturellement, mise à pied.
Regarde, écoute ! A cloche-pied approche-toi ! Attends son jeu de pied ferme, et, tu verras, même pieds et poings liés elle fera des pieds et des mains pour plaquer sur le clavier, un accord avec… ses mains !
Ainsi donc retombé sur tes pieds, mélomane au petit pied, de pied en cap drapé dans ton beau complet pied-de-poule, tu te garderas de déclarer qu’au pied de l’orgue tu ne remettras plus les pieds…
C’est le pied ! diras-tu sûrement… au pied de la lettre, évidemment !
Anne-Isabelle de Parcevaux (orgue)
J-S. Bach – Pedal Exercitium – BWV 598
Église paroissiale Saint-Martin à Dudelange (Luxembourg)
– Orgue ‘Stahlhuth’ d’Aix-la-Chapelle de 1912 –
Sophie Junker, soprano, accompagnée par l’excellent ensemble ‘Voices of Music’, chante
‘O Maria’
chant de louanges dédié à la Madone, extrait des rares pièces de musique sacrée de la compositrice-interprète vénitienne du XVIIème siècle,
Barbara Strozzi*
O Maria, quam pulchra es, quam suavis, quam decora. Tegit terram sicut nebula, lumen ortum indeficiens, flamma ignis, Arca federis, inter spinas ortum lilium, tronum [S]ion in Altissimis in columna nubis positum. O Maria… Ante sæcula creata girum cœli circuivit sola, profundum abissi penetravit. Et in fluctibus maris ambulavit, omnium corda virtute calcavit, et in hereditate Domini morata est. Tegit terram… O Maria… Alleluia.
Ô Marie, que tu es belle, que tu es douce, que tu es avenante. Elle enveloppe la terre tel un nuage, une lumière s’élève infaillible, une flamme, un feu, l’Arche d’Alliance, un lys poussé parmi les épines, le trône de Sion placé au plus haut dans une colonne de nuée. Ô Marie… Avant la création des siècles, elle a parcouru les confins du ciel, et a pénétré les profondeurs de l’abîme. Elle a marché sur les flots de la mer, foulé avec vertu le cœur de tous, et persévéré dans l’héritage du Seigneur. Elle enveloppe la terre… Ô Maria… Alléluia.
Tout droit sortie d’une cantate de Jean-Sébastien Bach, on s’attendrait à ce que pareille injonction soit chantée par la voix unifiée et profonde d’un choeur nombreux et enthousiaste, et pourtant… C’est à une seule voix de soprano, juvénile et fraîche, que le Cantor a confié cet appel déterminé au bonheur.
Ni sa modestie, ni son inspiration profane, n’entament la beauté de cette cantate BWV 202, l’une des plus populaires du Maître, écrite pour soprano soliste avec hautbois, cordes et continuo.
Comme le texte l’indique, elle a été écrite pour la célébration d’un mariage. Et si son style a laissé penser aux historiens qu’elle fut composée dans les années 1717-1723, lorsque Bach était à Cöthen, les recherches récentes la situeraient plutôt à une période plus ancienne, quand notre jeune compositeur était employé comme organiste à Weimar.
Le chef d’orchestre américain, directeur musical du Boston Baroque, Martin Pearlman, résume si justement l’atmosphère heureuse de cette cantate qu’il serait dommage, avant de se laisser aller au plaisir de la musique, de ne pas lui donner un instant la parole :
La cantate s’ouvre au milieu d’« ombres sombres, de givre et de vents », tandis que des arpèges ascendants des cordes créent une atmosphère brumeuse et que le hautbois et la soprano solos tissent un contrepoint tortueux et harmoniquement changeant. Alors que l’atmosphère s’éclaircit et que le monde renaît, la cantate se tourne vers des pensées de printemps et d’amour, et la musique devient plus simple et plus dansante. L’œuvre se termine par une véritable danse, une joyeuse gavotte, dans laquelle la soprano ne chante que dans la section médiane, où elle orne l’air de la danse : « Dans le contentement, puissiez-vous voir mille jours lumineux de bonheur. »
Cantate BWV 202 Weichet nur, betrübte Schatten Dissipez-vous, ombres lugubres
Netherlands Bach Society Sayuri Yamagata, violon & direction Julia Doyle, soprano
1. Aria
Weichet nur, betrübte Schatten, Dissipez-vous, ombres lugubres, Frost und Winde, geht zur Ruh! Gel et vent, reposez-vous ! Florens Lust Le plaisir de Flora Will der Brust Accordera à nos cœurs Nichts als frohes Glück verstatten, Rien d’autre qu’un joyeux bonheur, Denn sie träget Blumen zu. Car elle arrive en portant des fleurs.
2. Récitatif
Die Welt wird wieder neu, Le monde redevient nouveau encore, Auf Bergen und in Gründen Sur les collines et dans les vallées Will sich die Anmut doppelt schön verbinden, Le charme se joindra avec une beauté double, Der Tag ist von der Kälte frei. Le jour est libéré de toute fraîcheur.
3. Aria
Phoebus eilt mit schnellen Pferden Phébus se hâte avec ses chevaux rapides Durch die neugeborne Welt. À travers le monde nouveau-né. Ja, weil sie ihm wohlgefällt, Oui, puisque ceci le charme tant, Will er selbst ein Buhler werden. Il veut lui-même devenir un amant.
4. Récitatif
Drum sucht auch Amor sein Vergnügen, Donc Amour cherche aussi son plaisir, Wenn Purpur in den Wiesen lacht, Quand la pourpre rit dans les prairies, Wenn Florens Pracht sich herrlich macht, Quand la splendeur de Flora devient glorieuse, Und wenn in seinem Reich, Et quand dans son royaume Den schönen Blumen gleich, Comme les fleurs magnifiques Auch Herzen feurig siegen. Les cœurs sont aussi victorieux dans leur ardeur.
5. Aria
Wenn die Frühlingslüfte streichen Quand la brise du printemps passe Und durch bunte Felder wehn, Et souffle à travers les prairies colorées, Pflegt auch Amor auszuschleichen, Amour souvent a aussi l’habitude de s’esquiver, Um nach seinem Schmuck zu sehn, Pour voir ce qui est sa gloire Welcher, glaubt man, dieser ist, Et cela, on le sait, c’est Dass ein Herz das andre küsst. Qu’un cœur en embrasse un autre.
6. Récitatif
Und dieses ist das Glücke, Et c’est le bonheur, Dass durch ein hohes Gunstgeschicke Quand grâce à un sort très favorable Zwei Seelen einen Schmuck erlanget, Deux âmes obtiennent un tel trésor, An dem viel Heil und Segen pranget. Qui resplendit de prospérité et de bénédiction.
7. Aria
Sich üben im Lieben,
S’exercer à l’amour, In Scherzen sich herzen
Plaisanter tendrement, Ist besser als Florens vergängliche Lust.
Est meilleur que les plaisirs qui se fanent de Flora. Hier quellen die Wellen,
Ici les vagues coulent, Hier lachen und wachen
Ici rient et veillent Die siegenden Palmen auf Lippen und Brust.
Les palmes de la victoire sur les lèvres et les seins
8. Récitatif
So sei das Band der keuschen Liebe,
Puisse le lien d’un chaste amour, Verlobte Zwei,
Couple de fiancés, Vom Unbestand des Wechsels frei!
Être libre de l’inconstance du changement ! Kein jäher Fall
Qu’aucun accident soudain Noch Donnerknall
Ni de coup de tonnerre Erschrecke die verliebten Triebe!
Ne troublent vos désirs amoureux !
9. Aria (Gavotte)
Sehet in Zufriedenheit
Voyez dans le contentement Tausend helle Wohlfahrtstage,
Un millier de jours brillants et heureux, Dass bald bei der Folgezeit
Pour que bientôt dans l’avenir Eure Liebe Blumen trage!
Votre amour puisse porter un fruit !
Au bureau ? En plein mois d’août ?… Et sans climatisation peut-être ?…
Harangues et râleries fusent. Légitimes certes. Mais rien ne dit que le climatiseur est en panne. Et puis, où serait-on plus à l’ombre qu’au bureau par ces temps caniculaires. Enfin, si l’on voulait bien cesser de faire la mauvaise tête et prendre l’ascenseur jusqu’au bric-à-brac du ‘petit bureau’ (« tiny desk »), on pourrait bien ne pas regretter cette terrible décision.
Là, point d’ordinateur, de paperasserie, de téléphone et autres importuns aux questions embarrassantes ! Une patronne, évidemment, mais qui ne rêverait pas de l’entendre ‘chanter’ sur son dos à longueur de journée ? Et pour cause… une des plus talentueuses et des plus gracieuses mezzo-soprano de notre temps : Joyce DiDonato.
Joyce DiDonato
Aujourd’hui réunion ! – Pas de doute, on est bien au bureau ! Pour la session du jour – la ‘jam session’ faudrait-il dire –, la patronne a fait appel à quelques consultants externes : tous excellents musiciens de divers univers stylistiques, jazz inclus, off course ! Objet du ‘meeting‘ : chant et improvisations sur des airs anciens composés aux XVIIème XVIIIème et XIXème siècles… – Surprise pour tous ceux qui pensaient aux prévisions de résultats et autres projets d’amélioration du service clients ! L’amour seul est au programme. Et pas d’inquiétude, pour le chant personne ne sera sollicité, la patronne assure, sympathie en prime, en anglais pour les explications, en italien pour l’art.
Pour ceux qui souhaiteraient se munir de dossiers, voici les références :
Alessandro Parisotti (1853-1913) – « Se tu m’ami » & « Star vicino » (paroles du poète italien du XVIIème, Salvator Rosa)
Giuseppe Torrelli (1658-1709) – « Tu lo sai »
Francesco Bartolomeo Conti (1681-1732) – « Quella fiamma »
Ne traînons pas, on n’arrive pas en retard aux réunions du ‘tiny desk’, n’est-ce pas ?
Un bureau comme ça, avec une telle patronne… certains retarderaient volontiers leur date de départ à la retraite.
Musiciens :
Craig Terry : piano Charlie Porter : trompette Chuck Israels : basse Jason Haaheim : batterie Antoine Plante : bandonéon
Tempête métaphorique du drame lyrique Griselda.Conjonction des vents violents et opposés du dilemme qui ballottent jusqu’au désespoir la pauvre Costanza, jeune fille partagée entre son devoir d’obéissance à Gualtiero, roi de Thessalie, qui l’a choisie pour future épouse, et son attachement à Roberto dont elle est éprise.
Agitation du coeur. En beauté !
Antonio Vivaldi 1678-1741
Quel feu d’artifice vocal composerait aujourd’hui le prolifique Vivaldi pour illustrer la force tempêtueuse des vents contraires qui bousculent dangereusement une nation ?
Encore faudrait-il pour chanter son désarroi jusqu’à le rendre beau et triomphant que pareille nation fût dotée de la belle énergie et de l’insigne talent de Julia Lezhneva !
Dans le doute… et puisque le grand compositeur n’a pas annoncé son retour, prendre avant le pire le plaisir qui nous est offert, ici et maintenant !