Flâner entre le rêve et le poème… Ouvrir la cage aux arpèges… Se noyer dans un mot… S'évaporer dans les ciels d'un tableau… Prendre plaisir ou parfois en souffrir… Sentir et ressentir… Et puis le dire – S'enivrer de beauté pour se forcer à croire !
Les professeurs de piano ont coutume d’exhorter leurs élèves à – belle image – « pétrir le son ».
Qui sait si les professeurs de chant de la Musikhochschule für Musik und Tanz de Cologne et ceux de la Manhattan School of Music n’ont pas, eux aussi, engagé leur talentueuse lauréate, la chanteuse Sabeth Pérez, à façonner virtuellement sur une harpe imaginaire glissée entre ses mains les gracieuses harmonies de sa voix et les rythmes jazzy ou latins qui les accompagnent ?
Ni l’œil, ni l’oreille n’auraient idée de s’en plaindre… Et puis, soyons rassurés, son compositeur de père veille depuis la anche de sa clarinette.
« Convertidos en perfume » WDR Big Band Gabriel Pérez (clarinette) Sabeth Pérez (voix)
A solidão, um bar, a noite quente O tédio sufocante Um gesto descuidado A frase inconsequente Um riso provocante No rosto um desafio O olhar macio e imprudente Seu jeito de criança Entrando em minha vida Imperiosamente
O anseio arrebatado, torturante O corpo impaciente A boca incendiada O seio palpitante O beijo incandescente O coração descompassado suplicante Um fogo ardendo furiosamente E o gosto inebriante de um desejo urgente e devastador
A entrega obediente sem cuidado O ardor dilacerante A alma adolescente O abraço alucinado Um grito triunfante Um louco desvario A paz chegando de repente E o pulso latejante da paixão febril cravada no meu ventre
Por fim a despedida e um vazio doendo persistente Me vi por toda vida num silêncio frio A te lembrar ausente E ainda que essa noite esteja tão distante a dor me faz lembrar inutilmente Que fui por um instante Tua para sempre amor
Nuit
La solitude, un bar, une nuit chaude L’ennui suffocant Un geste insouciant La phrase sans importance Un sourire provocateur Sur le visage un défi Le regard doux et téméraire Tes manières enfantines Entrant impérieusement dans ma vie
Le désir ravi et torturé Le corps impatient La bouche brûlante La poitrine palpitante Le baiser incandescent Le cœur suppliant et battant Un feu brûlant furieusement Et le goût enivrant d’un désir urgent et dévastateur
L’abandon obéissant sans souci L’ardeur déchirante L’âme adolescente L’étreinte hallucinatoire Un cri triomphant Une frénésie folle La paix soudain venue Et le pouls cognant d’une passion fiévreuse vissée dans mes entrailles
Enfin l’adieu et la douleur d’un vide sans fin J’ai vu toute ma vie perdue dans un silence froid Me souvenant de ton absence Et même si cette nuit est si loin la douleur inutilement me rappelle Que je fus pour un instant Ton amour pour toujours
Exécutée par des voix surprenantes, voilà une chose prodigieuse ; je pourrais presque en pleurer, si le don des larmes ne m’avait été enlevé.
Giacomo Leopardi (1798-1837) dans une lettre à son frère après la représentation de l’opéra « La Donna del Lago »
Gioacchino Rossini 1792-1868
Pour l’opéra de Gioachino Rossini, « La Donna del Lago » – inspiré du poème éponyme de Walter Scott – dans lequel se mêlent, au cœur des Highlands du XVIème siècle, conflits politiques et intrigues amoureuses…
Pour ce final enlevé et joyeux, « Tanti affetti in tal momento » qui exprime par la voix d’Elena les sentiments heureux qu’elle éprouve en retrouvant d’un même coup son père et l’homme qu’elle aime.
Pour le belcanto à la mode rossinienne avec ses mélodies élégantes, ses vocalises virtuoses et le raffinement des orchestrations…
Et pour la performance vocale et théâtrale de la magnifique soprano colorature suédoise Malena Ernman… et les facéties malicieuses de son interprétation si peu conventionnelle qui font sans doute frémir d’indignation les puristes de l’opéra, mais qui décuplent le plaisir jubilatoire de tellement d’autres pétrousquins auxquels, pour la circonstance, on se réjouira d’appartenir.
Malena Ernman (soprano colorature)
sur la scène du MusikTheater an der Wien, en août 2012
ORF Orchestre Symphonique de la Radio de Vienne
Chœur Arnold Schoenberg (dir. Erwin Ortner)
Direction musicale : Leo Hussain
Mise en scène : Christof Loy
Elena: Tanti affetti in tal momento mi si fanno al core intorno, che l’immenso mio contento io non posso a te spiegar. Deh! Il silenzio sia loquace… Tutto dica un tronco accento… Ah, Signor! La bella pace tu sapesti a me donar.
Coro: Ah sì… Torni in te la pace, puoi contenta respirar!
Elena: Fra il padre e fra l’amante… Oh, qual beato istante! Ah! Chi sperar potea tanta felicità?!
Coro: Cessi di stella rea la fiera avversità…
Elena: Ah! chi sperar potea tanta felicità!
Fra il padre e fra l’amante… Oh, qual beato istante! Ah! Chi sperar potea tanta felicità?!
Elena : Tant d’émotions en cet instant assiègent mon cœur que je ne puis t’exposer mon infini plaisir. Allons, sois éloquent silence… Qu’une voix enfin dise tout… Ah, Seigneur! vous avez daigné m’accorder une si belle paix !
Chœur : Ah, oui !… Retrouve la paix, respire ton bonheur !
Elena : Entre mon père et mon amant… Oh, quel instant bienheureux ! Ah ! Qui pouvait espérer pareille félicité.
Chœur : Que cesse la cruelle influence d’une mauvaise étoile…
Elena : Ah ! qui peut espérer un tel bonheur ?
Entre mon père et mon aimé Quel merveilleux moment ! Ah ! qui peut espérer un tel bonheur ?
Dépit amoureux chorégraphique du Nord de l’Argentine, la Zamba est une danse sensuelle lente, au rythme circulaire marqué au temps par une percussion, qui tient les corps à distance de foulard pour donner au couple tout le loisir de jouer à travers les échanges de regards au jeu du « je t’aime, moi non plus ».
Chantée, c’est une poésie nostalgique et sensuelle par laquelle s’exprime l’éternel tourment des amoureux oscillant entre séduction et séparation.
Une Zamba pour oublier… ou pas !
Zamba para olvidar
Elle
Mais, selon moi, plus malheureux que tous est celui qui n’aime plus et ne peut oublier qu’il a aimé.
Adam Mickiewicz – La Résignation
Juana Cardozo (voix)
Juan Carlos Velazquez (piano)
Miguel Velazquez (basse)
No se para que volviste si yo empezaba a olvidar no se si ya lo sabras llore cuando vos te fuiste no se para que volviste que mal me hace recordar.
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La tarde se ha puesto triste y yo prefiero callar para que vamos a hablar de cosas que ya no existen no se para que volviste ya ves que es mejor no hablar
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Que pena me da saber que al final de ese amor ya no queda nada solo una pobre cancion da vueltas por mi guitarra y hace rato que te extraña mi zamba para olvidar.
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Mi zamba vivio conmigo parte de mi soledad. no se si ya lo sabras… mi vida se fue contigo contigo mi amor contigo que mal me hace recordar
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Mis manos ya son de barro tanto apretar al dolor y ahora que me falta el sol no se que venis buscando. Llorando mi amor llorando tambien olvidame vos.
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Que pena me da saber que al final de ese amor ya no queda nada solo una pobre cancion da vueltas por mi guitarra y hace rato que te extraña mi zamba para olvidar.
Lui (… mais pas sans Elle !)
Comment oublier jamais quelqu’un qu’on aime depuis toujours ?
Marcel Proust – A l’ombre des jeunes filles en fleurs
Soy un latido en la tierra, tal vez un pájaro, un alma. tal vez un pájaro, un alma Soy fantasia constante, la voz, el eco y la tarde, la voz, el eco y la tarde. A donde grillos y estrellas se vuelven una ilusión. Soy un ayer y un mañana, sólo un perfume en el aire, pañuelo alegre en la zamba terron agreste es mi carne Y un triste arrullo de urpila agita mi corazón. Y en las alas de una nube mi corazón alza vuelo Y en la flor de una esperanza baila un malambo de fuego, baila un malambo de fuego. Cuando en mis párpados arden las rubias trenzas del Sol, hachando el monte del tiempo desgajo rima y poesía tiernas plegarias que anidan en alas algún silencio, en alas algún silencio. Tierra desde el sentimiento por donde va mi ilusión. Y en las alas de una nube mi corazón alza vuelo Y en la flor de una esperanza baila un malambo de fuego, baila un malambo de fuego. Cuando en mis párpados arden las rubias trenzas del Sol. Soy un latido en la tierra, tal vez un pájaro, un alma tal vez un pájaro, un alma.
Je suis une pulsation dans la terre peut-être un oiseau, une âme peut-être un oiseau, une âme. Je suis un mythe persistant, la voix, l’écho et le soir, la voix, l’écho et le soir. Où les grillons et les étoiles deviennent une illusion. Je suis un hier et un demain, juste un parfum dans l’air, un mouchoir joyeux dans la zamba* une motte sauvage, c’est ma chair Et une triste berceuse d’oisillon fait vibrer mon cœur. Et sur les ailes d’un nuage mon cœur s’envole Et dans la fleur d’un espoir danse un malambo*de feu, danse un malambo de feu. Quand sur mes paupières brûlent les tresses blondes du soleil,
en taillant dans la montagne du temps je déchire la rime et la poésie de tendres prières qui se nichent sur les ailes du silence, sur les ailes du silence. Terre de mon désir terre de mes illusions. Et sur les ailes d’un nuage Mon cœur s’envole Et dans la fleur d’une espérance danse un malambo de feu, danse un malambo de feu. Quand sur mes paupières brûlent les tresses blondes du soleil. Je suis une pulsation dans la terre peut-être un oiseau, une âme peut-être un oiseau, une âme.
Don Pasquale (opéra bouffe – 1843) – Gaetano Donizetti (1797-1848)
L’affaire n’est vraiment pas simple… Mais le serait-elle que la comédie perdrait autant en amusants rebondissements et mariages truqués qu’en saveur et en dérision, ce que n’auraient voulu à aucun prix Gaetano Donizetti et son librettiste Giovanni Ruffini en écrivant, dans le pur esprit de la « commedia dell’arte », Don Pasquale, leur opéra bouffe,en 1843.
Un vieux barbon riche et célibataire, Don Pasquale, décide de déshériter son neveu Ernesto au prétexte qu’il veut épouser une jeune femme sans le sou, Norina. Il choisit donc de prendre épouse lui-même, à qui reviendra sa fortune. Il confie son projet au docteur Malatesta qui, rusé et sans scrupule, mais tout disposé à servir la cause des jeunes amants, lui propose d’épouser sa charmante « soeur ». En vérité, Norina elle-même… Le piège est posé. Après mille déboires, prétextes à autant de scènes vaudevillesques, Don Pasquale finira par regretter son mariage et accueillera la vérité avec soulagement, au grand bénéfice du jeune couple.
Acte III – Scène 5
Scène du jardin
Pour l’heure, le plan de Malatesta a parfaitement fonctionné : Norina, alias « la charmante soeur » a épousé Don Pasquale. Elle adopte maintenant un comportement des plus tyranniques, infligeant même un soufflet au vieil homme qui se révèle ainsi prêt à une séparation sans tarder. Malatesta doit désormais organiser la rupture : il invite Norina à se rendre au jardin pour un fictif rendez-vous galant afin que Don Pasquale la surprenne en flagrant délit d’infidélité. Les deux hommes, manipulateur et manipulé, mettent au point leur stratagème…
Voilà l’occasion d’un magnifique duo de barytons aussi sympathiques que virtuoses : Thomas Hampson (Docteur Malatesta) et Luca Pisaroni (Don Pasquale) rivalisent en performances articulatoires dans l’interprétation de « Cheti Cheti », lors du Red Ribbon Concert 2014, à Vienne.
Réjouissant !
DON PASQUALE Tout doucement descendons tout de suite dans le jardin ; je prends avec moi mes gens, et nous cernons le bosquet ; ce misérable couple, pris à mon signal, nous le conduisons sans perdre un instant chez le podestat.
MALATESTA Je vais vous dire… écoutez un peu, nous allons seuls tous les deux sur les lieux ; nous nous postons dans le bosquet, et au moment voulu nous nous montrons ; et entre les prières et les menaces d’avertir les autorités, nous faisons promettre aux deux que les choses en resteront là.
DON PASQUALE (se levant) C’est régler cette affaire par une peine bien légère pour la trahison.
MALATESTA Réfléchissez, c’est ma sœur.
DON PASQUALE Qu’elle s’en aille de ma maison. Je ne transigerai pas.
MALATESTA C’est une affaire délicate, il faut de la pondération.
DON PASQUALE Pondérez, examinez, mais je ne veux plus la voir à la maison.
MALATESTA Vous allez faire un scandale, et la honte retombera sur vous.
DON PASQUALE Aucune importance… aucune importance.
MALATESTA Ce n’est pas possible, ce n’est pas bien : je vais chercher un autre moyen.
Il réfléchit un instant.
DON PASQUALE (l’imitant) Ce n’est pas possible, ce n’est pas bien… Mais le soufflet m’est resté là.
Ils réfléchissent tous deux. Je dirai…
MALATESTA (brusquement) J’ai trouvé́ !
DON PASQUALE Oh ! Soyez béni ! Dites vite.
MALATESTA Dans le bosquet nous nous cacherons bien doucement. Nous pourrons tout entendre. Si la trahison est avérée, vous la chassez sur le champ.
DON PASQUALE Bravo ! Bravo, c’est excellent ! Je suis satisfait, bravo, bravo ! En aparté : (Attends un peu, attends un peu, chère épouse, ma vengeance approche déjà̀ ; oui, elle te presse, elle t’a déjà rejoint, il te faudra tout payer d’un seul coup. Tu verras si les soupirs et les larmes, les manœuvres et les intrigues, les tendres sourires, te serviront ! Je veux prendre ma revanche maintenant. Tu es dans la nasse et tu vas y rester.)
MALATESTA En aparté : (Le pauvre il songe à la vengeance. Mais le malheureux ne sait pas ce qui l’attend ; il frémit pour rien, il enrage pour rien, il est enfermé dans la cage, il ne peut s’échapper. Il accumule en vain projets et calculs ; mais il ne sait que construire des châteaux de cartes ; il ne voit pas, le simple fait qu’il va se jeter lui-même dans le piège.)
Cet hymne emblématique à la Liberté a été composé par le musicien de jazz canadien Oscar Peterson (1925-2007), en 1962, alors que la lutte pour les droits civiques s’intensifiait en Amérique du Nord.
Les paroles sont de Harriette Hamilton.
When every heart joins every heart and together yearns for liberty, That’s when we’ll be free.
Si tous les cœurs se joignent à tous les cœurs et aspirent ensemble à la liberté, Alors nous serons libres.
When every hand joins every hand and together moulds our destiny, That’s when we’ll be free.
Si chaque main se joint à chaque main pour façonner ensemble notre destin, Alors nous serons libres.
Any hour any day, the time soon will come when we will live in dignity, That’s when we’ll be free.
Le temps viendra bientôt où à toute heure de chaque jour nous vivrons dans la dignité, Alors nous serons libres.
When everyone joins in our song and together singing harmony, That’s when we’ll be free.
Si tout le monde se joint à notre chant pour qu’ensemble en harmonie nous chantions, Alors nous serons libres.
La voix touchante de la foi naïve résonne à mon oreille.
Gustav Mahler en 1892
C’est par ces mots que Mahler, fraichement converti au catholicisme, évoque la foi nouvelle qui l’anime et qui l’encourage à espérer qu’elle l’aidera à sortir par le haut des nombreux tourments de son existence.
Ainsi choisit-il de reprendre, pour le quatrième et avant dernier mouvement de sa puissante Symphonie N°2 – « Résurrection » (Auferstehung) -, un des lieder« Urlicht » (Lumière originelle) du recueil « Des Knaben Wunderhorn » (Le cor enchanté de l’enfant), composé quelques années auparavant.
Mahler souhaitait que cette pause spirituelle au milieu de la symphonie, précédant la ferveur du final décliné en éloge musical de la vie triomphante, évoquât, à travers le timbre d’une voix de contralto, le chant d’un enfant imaginant en toute naïveté son arrivée au paradis.
Sur la partition il avait indiqué :
Sehr feierlich aber schlicht. Choral mässig Très solennel mais modeste. En forme de choral modéré
Lumière Originelle
O petite rose rouge, L’homme est accablé d’une si grande souffrance ! L’homme est accablé d’une si grande peine ! Comme je préférerais être au Paradis ! J’allais sur un large chemin quand un ange survint, qui voulait m’en chasser. Ah non ! je ne me laisserai pas chasser ! Je suis venu de Dieu et sens retourner à Dieu ! Le bienaimé Dieu allumera pour moi une petite lumière, qui m’éclairera jusque dans la vie éternelle.
Petra Lang (mezzo-soprano) chante « Urlicht »
Extrait de l’enregistrement de la Symphonie N°2 en Ut mineur de Gustav Mahler
Philharmonie de Berlin le 26/03/2005
Staatskapelle de Berlin Direction Pierre Boulez
Urlicht
O Röschen rot,
Der Mensch liegt in grösster Not,
Der Mensch liegt in grösster Pein,
Je lieber möcht ich im Himmel sein.
Da kam ich auf einen breiten Weg,
Da kam ein Engellein und wollt mich abweisen,
Ach nein ich liess mich nicht abweisen.
Ich bin von Gott und will wieder zu Gott,
Der liebe Gott wird mir ein Lichtchen geben,
Wird leuchten mir bis an das ewig selig Leben.
∞
YouTube offre l’embarras du choix à toutes celles et ceux qui souhaiteraient découvrir une version de qualité de cette œuvre gigantesque… aussi pour sa longueur (1h30). Ils, elles y trouveront évidemment la version intégrale d’où est extraite la vidéo précédente. Les versions d’anthologie, en audio parfois, ne manquent évidemment pas.
La découverte réserve cependant d’excellentes surprises (je n’ignore pas la part de subjectivité de toute appréciation). Celle-ci, inconnue en tous points de votre serviteur, a exercé sur lui une séduction particulière…
Andrew Manze, Dirigent Katharina Konradi, Sopran Marianne Beate Kielland, Alt Collegium Vocale Hannover Capella St. Crucis Hannover Johannes-Brahms-Chor Hannover Junges Vokalensemble Hannover NDR Radiophilharmonie
Viens-tu du ciel profond ou sors-tu de l’abîme, ô Beauté ?
Charles Baudelaire – Hymne à la beauté
Abel Selaocoe (voix et violoncelle) « Voix du Bantou »
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La lettre écrite m’a enseigné à écouter la voix humaine, tout comme les grandes attitudes immobiles des statues m’ont appris à apprécier les gestes.
Marguerite Yourcenar – Mémoires d’Hadrien – 1951
Abel Selaocoe (voix et violoncelle) « Qhawe »(héros en Zoulou) Incantation dédiée au désert et à l’apaisement procuré par la pluie.
Corde de violoncelle ou corde vocale, Abel Selaocoe excelle dans l'art de les faire chanter.
Avec un exceptionnel talent et une sensibilité exacerbée, il réunit musique baroque et chants traditionnels de sa terre natale, l'Afrique du Sud.
Abel est né et a grandi dans les townships de Johannesburg, bercé par les rythmes des chants traditionnels et religieux.
Très tôt intégré dans une formation musicale destinée à éviter à la jeunesse de se perdre dans le désœuvrement, il fait preuve de véritables qualités qui lui valent une bourse pour les meilleures écoles de musique dont le Royal Northern College of Music à Manchester.
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Ainsi peut-il mener conjointement l'apprentissage du grand répertoire et une recherche approfondie des musiques de ses origines.
Encouragé par ses maîtres, il réussit à concilier les deux univers musicaux qui le constituent, et construit, au confluent de ces deux cultures, le sien propre, fait d'interprétations classiques mais aussi de compositions et d'improvisations.
Vous m’avez aimée servante
M’avez voulue ignorante
Forte vous me combattiez
Faible vous me méprisiez
Vous m’avez aimée putain
Et couverte de satin
Vous m’avez faite statue
Et toujours je me suis tue
Aussi grande soit-elle, aussi juste, la cause ne trouve pas nécessairement le meilleur argument de sa défense sur le pic de la fourche. Les mots, en costume de poésie et en robe de musique, percent parfois, et sans violence, plus sûrement les cœurs les plus résistants.
En 1975, « Une sorcière comme les autres », la chanson de Anne Sylvestre, véritable charge lyrique en faveur d’un autre regard sur la femme, propose aux hommes de retourner le miroir.
Derrière la déférence apparente des formules convenues de politesse l’auteure les pousse en vérité, non sans empathie et avec élégance, à considérer l’éternelle histoire d’une indissociable communauté et les justes mutations qui pérenniseraient son futur.
Anne Sylvestre 1934-2020
Pour saluer comme il le mérite ce distingué mariage de la pensée et de l’émotion, deux jeunes femmes interprétant cette chanson, confèrent à ce texte une force saisissante qui transcende superbement les intentions de son inoubliable auteure.
Laetitia Isambert & Nathalie Doummar
Piano : Yves Morin
S’il vous plaît Soyez comme le duvet Soyez comme la plume d’oie des oreillers d’autrefois J’aimerais ne pas être portefaix S’il vous plaît faites-vous léger Moi je ne peux plus bouger
Je vous ai porté vivant Je vous ai porté enfant Dieu comme vous étiez lourd Pesant votre poids d’amour Je vous ai porté encore À l’heure de votre mort Je vous ai porté des fleurs Vous ai morcelé mon cœur
Quand vous jouiez à la guerre moi je gardais la maison J’ai usé de mes prières les barreaux de vos prisons Quand vous mouriez sous les bombes je vous cherchais en hurlant Me voilà comme une tombe et tout le malheur dedans
Ce n’est que moi C’est elle ou moi Celle qui parle ou qui se tait Celle qui pleure ou qui est gaie C’est Jeanne d’Arc ou bien Margot Fille de vague ou de ruisseau
Et c’est mon cœur ou bien le leur Et c’est la sœur ou l’inconnue Celle qui n’est jamais venue Celle qui est venue trop tard Fille de rêve ou de hasard
Et c’est ma mère ou la vôtre Une sorcière comme les autres
Il vous faut Être comme le ruisseau Comme l’eau claire de l’étang Qui reflète et qui attend S’il vous plaît Regardez-moi je suis vraie Je vous prie, ne m’inventez pas Vous l’avez tant fait déjà Vous m’avez aimée servante M’avez voulue ignorante Forte vous me combattiez Faible vous me méprisiez Vous m’avez aimée putain Et couverte de satin Vous m’avez faite statue Et toujours je me suis tue
Quand j’étais vieille et trop laide, vous me jetiez au rebut Vous me refusiez votre aide quand je ne vous servais plus Quand j’étais belle et soumise vous m’adoriez à genoux Me voilà comme une église toute la honte dessous
Ce n’est que moi C’est elle ou moi Celle qui aime ou n’aime pas Celle qui règne ou se débat C’est Joséphine ou la Dupont Fille de nacre ou de coton
Et c’est mon cœur Ou bien le leur Celle qui attend sur le port Celle des monuments aux morts Celle qui danse et qui en meurt Fille bitume ou fille fleur
Et c’est ma mère ou la vôtre Une sorcière comme les autres
S’il vous plaît, soyez comme je vous ai Vous ai rêvé depuis longtemps Libre et fort comme le vent Libre aussi, regardez je suis ainsi Apprenez-moi n’ayez pas peur Pour moi je vous sais par cœur
J’étais celle qui attend Mais je peux marcher devant J’étais la bûche et le feu L’incendie aussi je peux J’étais la déesse mère Mais je n’étais que poussière J’étais le sol sous vos pas Et je ne le savais pas
Mais un jour la terre s’ouvre Et le volcan n’en peux plus Le sol se rompt, on découvre des richesses inconnues La mer à son tour divague de violence inemployée Me voilà comme une vague vous ne serez pas noyé
Ce n’est que moi C’est elle ou moi Et c’est l’ancêtre ou c’est l’enfant Celle qui cède ou se défend C’est Gabrielle ou bien Eva Fille d’amour ou de combat
Et c’est mon cœur Ou bien le leur Celle qui est dans son printemps Celle que personne n’attend Et c’est la moche ou c’est la belle Fille de brume ou de plein ciel
Et c’est ma mère ou la vôtre Une sorcière comme les autres
S’il vous plaît, s’il vous plaît faites-vous léger Moi je ne peux plus bouger
Reprise d’un billet du 24/03/2018 : ‘Le Diable est dans… la voix‘
A Satan reviennent toujours les chants les plus beaux. (Dicton)
§
D’Œdipe à Hamlet et à Don Quichotte, tous les grands mythes littéraires connurent certes des avatars musicaux. Mais Faust est un cas particulier. Pas simplement par le grand nombre des œuvres qu’il a suscitées. Il est l’une des rares figures, parmi les plus prisées des compositeurs, que rien ne prédestinait à priori à un devenir musical.
[…]
Et pourtant, il n’y eut qu’un Don Giovanni alors que les grands Faust furent pléthore.
Emmanuel Reibel « Faust – La musique au défi du mythe » (Fayard 2008)
Sont-elles nombreuses, et polymorphes souvent, les silhouettes du Docteur Faust qui ont depuis le XVIème siècle, traversé la culture populaire, la littérature et, étonnamment, la musique, jusqu’à apparaître dans nos miroirs d’aujourd’hui comme notre propre reflet, peut-être le plus incontestable et le plus vrai.
Depuis qu’en 1593 le dramaturge élisabéthain, Christopher Marlowe, — « The Tragical History of Doctor Faustus » — s’est emparé de la traduction anglaise d’un texte anonyme, — « Volksbuch » — publié en 1587 à Francfort-sur-le-Main, inspiré, peu ou prou, de la vie de cet astrologue et alchimiste allemand de la Renaissance, Johann Georg Faust, dont on disait qu’il possédait d’étranges pouvoirs magiques, le mythe du quêteur de la connaissance universelle et du plaisir absolu, épris d’un inextinguible désir d’infini, prêt à tout pour atteindre ses buts, jusqu’à offrir son âme à Méphistophélès, l’envoyé du Diable, n’a cessé de nourrir les créations des plus illustres écrivains et des plus fameux compositeurs.
Si dans la deuxième moitié du XXème siècle le mythe de Faust s’évapore quelque peu au-dessus des encriers des écrivains, il continue d’enfiévrer sur les portées les plumes des compositeurs.
Faust et Mephisto – image extraite du film de F. W. Murnau – 1926
A l’instar de leurs illustres prédécesseurs du XIXème, tels que Berlioz, Schumann, Liszt, Gounod et tant d’autres, et dans le sillage de Busoni en 1925, les musiciens contemporains comme Georges Aperghis, John Adams ou Pascal Dusapin, pour ne citer qu’eux — trop proches de nous sans doute pour que leurs noms nous soient familiers — vont encore chercher leur inspiration dans la complexité des relations croisées du trio mythique, Faust – Méphistophélès – Marguerite.
Le catalyseur de ce regain d’intérêt moderne est assurément le passionnant et magistral roman que publie Thomas Mann en 1947, « Doktor Faustus ». D’une part en raison de la question philosophico-historique qu’il soulève à l’heure où plus personne au monde ne peut ignorer ou prétendre ignorer l’horreur des camps nazis, et d’autre part parce que le Faust qu’il décrit en son temps n’est autre qu’un musicien moderne hanté par le désir de devenir le génie de cette novation radicale du langage musical, le sérialisme, au point d’atteindre la folie et d’en mourir.
« Faust est le thème de toute ma vie, et j’en ai déjà peur. Je ne pense pas que je l’achèverai jamais. »
Alfred Schnittke (1934-1998)
Figure notable de la musique en cette fin de XXème siècle, par l’étendue et la multiplicité de son œuvre autant que par son « polystylisme », comme il définit lui-même son écriture musicale, le compositeur russe Alfred Schnittke, fasciné par le personnage de Faust, décide dès 1980 de lui consacrer un opéra, « Historia von D. Johan Fausten ».
L’opéra est donné à Hambourg en 1995, quelques années avant la disparition de Schnittke. Les soucis de santé du compositeur, aggravés par un accident vasculaire cérébral, ainsi que la complexité des voyages à l’époque entre la Russie et le reste de l’Europe ont pénalisé le projet d’une dizaine d’années. Mais déjà en 1983 Schnittke en avait esquissé les grandes lignes dans sa « Faust Cantata » (« Seid nüchtern und wachet » – Sois sobre et veille).
Rencontre entre le Diable et Docteur Faustus – 1825 Crédit : Wellcome Library, London. Wellcome Images
Bien que très imprégné, comme ses confrères, de l’œuvre de Thomas Mann, c’est dans le « Volksbuch » original de 1587 que Schnittke va puiser toute l’énergie dramatique qui anime cette pièce. Voilà, sans doute, ce qui en fait l’une des œuvres les plus palpitantes du compositeur laissant, plus qu’ailleurs peut-être, apparaître la face la plus noire de son inconditionnel pessimisme.
Point culminant de cette cantate, l’évocation de la mort épouvantable du Docteur Faust, son contrat avec Méphistophélès expiré. C’est par la voix d’un diable gouailleur, exprimant son cynisme depuis les profondeurs d’une tessiture de contralto sur les rythmes dédaigneux d’un tango ironique et arrogant que nous apprenons l’effroyable horreur de la tragédie, avec les mots mêmes, ou presque, du « Volksbuch ».
Quand il fut jour/ les étudiants/ qui n’avaient pas dormi de toute la nuit/ entrèrent dans la salle/ où avait été le docteur Faustus/ et ils ne virent pas Faustus/ rien que la pièce éclaboussée de sang/ la cervelle collée aux murs/ car le diable l’avait lancé d’un mur à l’autre. Ils trouvèrent des yeux et quelques dents/ spectacle affreux et épouvantable. Alors les étudiants se prirent à pleurer et lamenter/ et toujours ils le cherchaient/ Enfin ils trouvèrent son corps à l’extérieur près du fumier/ horrible à voir/ tête ballante et membres roués.
L’Histoire de Faustus suivie de La Tragédie de Faustus par Christopher Marlowe, édition de Jean-Louis Backès, Imprimerie Nationale Éditions - 2001 (Cité par Dominique Hoizey in "Petite histoire littéraire et musicale de Faust" - Le Chat Murr 2016)
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Deux interprétations diaboliquement fascinantes !
Et choisir n’est certes pas vertu du diable qui écoute en chacun de nous !
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Iva Bittova (voix) – Hradec Kràlové Philharmonic Peter Vrabel (direction)
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Inger Blom (mezzo-soprano) – Malmö Symph. Orch. – James DePreist (Direction)
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« Seid nüchtern und wachet… »
Sois sobre et veille : ton adversaire, le diable, comme un lion rugissant, rôde, cherchant qui dévorer.
Résiste-lui avec la force de la foi, car tu sais que tous tes frères, de par le monde, sont en butte aux mêmes souffrances.
Si seulement Dieu avait fait notre monde aussi parfait que Bach a fait le sien divin !
Cioran – Le livre des leurres (1936)
Jean Sébastien Bach
« Die Seele ruht in Jesu Händen » – Cantate BWV 127
Marie Louise Werneburg – Soprano
Bach-Collegium Berlin
Achim Zimmermann – Direction
Die Seele ruht in Jesu Haenden, Wenn Erde diesen Leib bedeckt. Ach ruft mich bald, ihr Sterbeglocken, Ich, bin zum Sterben unerschrocken, Weil mich mein Jesus wieder weckt.
Mon âme repose dans les mains de Jésus, Bien que la terre recouvre ce corps. Ah, appelez-moi bientôt, cloches funèbres, Je ne suis pas terrifié de mourir Puisque mon Jésus me réveillera à nouveau.
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Nous sommes ceux qui viennent après. Nous savons désormais qu’un homme peut lire Goethe ou Rilke, jouer des passages de Bach ou de Schubert, et le lendemain matin vaquer à son travail quotidien, à Auschwitz.
George Steiner – « Langage et silence » – 1969
Jean Sébastien Bach
« Die Seele ruht in Jesu Händen » – Cantate BWV 127 Transcription pour piano : Harold Bauer (1873-1951)
I have learned that all you give is all you get
So give it all you’ve got
Shirley Horn (1934-2005) – Photo 1991
Pour la voix « pleine de force et de majesté » de Shirley Horn
Pour les paroles empreintes de sage nostalgie ébauchées par Artie Butler qui dit avoir composé cette ballade à travers le regard mélancolique d’un vieil homme penché sur son passé, et qui aurait conservé intact son optimisme envers le temps qui reste.
Pour l’arrangement musical de Johnny Mandel qui a sans doute réalisé là le dernier grand standard du jazz américain, et le titre signature de Shirley Horn dont l’interprétation profonde et suave représente un legs majeur à l’histoire du jazz vocal déjà si bien représenté par ailleurs.
Pour la qualité de l’enregistrement de 1992, avec orchestre, en studio.
POUR LE PLAISIR ! POUR LE PLAISIR ! POUR LE PLAISIR !
Aucune plainte et aucun regret Je crois toujours à la poursuite des rêves et aux paris Mais j’ai appris que tout ce qu’on donne est tout ce qu’on obtient Alors donne tout ce que tu as reçu
J’ai eu ma part, j’ai bu ma dose Et même si je m’en satisfais Je veux encore voir ce qu’il y a sur d’autres routes Là-bas, au-delà de la colline Et tout recommencer
Alors voilà, à la vie et à toutes les joies qu’elle procure À la vie, pour les rêveurs et leurs rêves
C’est drôle comme le temps passe vite Comment l’amour peut-il passer De la chaleur de l’enfer à la tristesse des adieux Et nous laisser avec nos souvenirs qu’on appelle Pour réchauffer nos hivers
Car hier est passé et qui sait ce que demain apporte Ou emporte Tant que je suis encore dans le jeu je veux jouer Pour rire, pour vivre, pour aimer
Alors à la vie et à toutes les joies qu’elle apporte À la vie, aux rêveurs et à leurs rêves
Puisses-tu surmonter tes tempêtes Et embellir tes bonheurs À la vie, à l’amour, à toi (bis)
Traduction personnelle
La reconnaissance, pour Shirley Horn, a été tardive mais à la différence de bien des musiciens qui attendent longtemps que leur heure survienne, la raison de ce retard est liée dans son cas à des choix personnels. Aussi, son retour au devant de la scène à l’âge mûr a-t-il révélé au grand public une chanteuse d’une rare authenticité, chez qui l’émotion la plus pure se conjuguait à une musicalité sans pareille dont témoignait son aura auprès des musiciens. Comme les grandes chanteuses de jazz, Shirley Horn possédait non seulement un timbre de voix inimitable mais surtout un art d’interpréter les chansons avec un sens consommé de la mise en scène, chanteuse du clair-obscur et de la note feutrée.
Vincent Bessières - Directeur de la revue "Jazz & People"
(Introduction d'un portrait de Shirley Horn publié sur le site de la Philharmonie de Paris)
Du meine Seele, du mein Herz, Du meine Wonn’, o du mein Schmerz, Du meine Welt, in der ich lebe, Mein Himmel du, darein ich schwebe, O du mein Grab, in das hinab Ich ewig meinen Kummer gab!
Du bist die Ruh, du bist der Frieden, Du bist vom Himmel mir beschieden. Dass du mich liebst, macht mich mir wert, Dein Blick hat mich vor mir verklärt, Du hebst mich liebend über mich, Mein guter Geist, mein bess’res Ich!
Toi mon âme, toi mon cœur, Toi ma joie de vivre, ô toi ma douleur, Toi mon monde, dans lequel je vis, Mon ciel c’est toi, auquel je suis suspendu Ô toi mon tombeau, dans lequel Je déposerai pour toujours mon chagrin.
Tu es la tranquillité, tu es la paix, Tu es le ciel qui m’est échu. Que tu m’aimes me rend digne de moi, Ton regard est la lumière de mes yeux, Ton amour m’élève au-dessus de moi-même, Mon bon esprit, mon meilleur moi !
♥
Tant d’amour !
Procès gagné contre Friedrich Wieck, le père de Clara, terriblement réfractaire à l’union de sa fille prodige avec Robert Schumann, ces deux jeunes musiciens d’exception, profondément épris l’un de l’autre, peuvent enfin célébrer leur mariage.
A quelques heures de ce moment tant désiré, ce 12 septembre 1840, Robert dépose dans la corbeille de sa future épouse, le plus précieux cadeau qu’il pouvait lui offrir en témoignage de son inextinguible amour, un exemplaire finement relié de « Myrthen », 26 lieder qu’il a composés pour deux voix sur des poèmes de Rückert, Goethe, Heine, Lord Byron, Thomas Moore et quelques autres poètes.
Clara Wieck-Schumann 1819-1896
Autant par le choix des poèmes que par les infinies nuances des compositions musicales qui les accompagnent, Schumann, « poète du piano », qui vient de découvrir combien « il est merveilleux d’écrire pour la voix », s’y dévoile totalement : fragile mais brave ; tendre, inquiet, mais déterminé et lucide. Tantôt Florestan, vif et confiant, tantôt Eusebius, contemplatif et tourmenté. Mais toujours, malgré cette dualité qui agite sans cesse ses émotions entre douceur, doute et désespoir, infiniment constant dans sa dévotion à la femme qu’il aime, son « meilleur moi ».
Widmung (dédicace) introduit ce florilège de lieder. Composé sur un poème que Friedrich Rückert avait écrit vingt ans plus tôt en hommage à sa propre épouse, ce lied contient assurément l’expression musicale la plus passionnée et les sentiments les plus sincères du futur époux.
Après leur répétition anaphorique les mots se taisent, « la voix poétique démissionne ; au piano de se faire chant de l’inexprimable »*, à l’instar de l’évidente citation de l’Ave Maria de Schubert que Robert insère dans le postlude, fervente révérence à Clara.
Franz Liszt (1858)
La sensibilité exacerbée de Liszt pouvait-elle rester indifférente au souffle exalté de ce chant d’amour ? Non, bien sûr ! Aussi, fidèle à son goût immodéré pour la transcription, le grand pianiste virtuose s’attacha-t-il dans l’arrangement qu’il en fit en 1848 à sublimer cette mélodie intimiste en une ardente confession, passionnée, partagée entre tendresse et déchirement.
C’est sans doute pour que son écriture musicale exprime fidèlement sa propre perception de l’essor dramatique du poème, que Liszt avait pris soin, dans sa partition autographe, d’en écrire le texte au-dessus de la mélodie. Ainsi pouvait-il s’assurer en particulier d’une parfaite coïncidence entre le point paroxystique de son arrangement pour piano et le dernier vers emblématique du lied, «Mein guter Geist, mein bess’res Ich» (mon bon esprit, mon meilleur moi).
*M. Beaufils, Le Lied romantique allemand – Gallimard, 1956