‘Tu penses à quoi ?’

Reprise d’un billet publié le 2/08/2016

Aimer quelqu’un, c’est le lire. C’est savoir lire toutes les phrases qui sont dans le cœur de l’autre, et en lisant le délivrer. C’est déplier son cœur comme un parchemin et le lire à haute voix, comme si chacun était à lui-même un livre écrit dans une langue étrangère.

Christian Bobin (« La lumière du monde » – Folio / Gallimard – 2003)

Improbable rencontre entre deux poètes sur la passerelle qu’ils ont construite sans le savoir, sans la vouloir, mot après mot, par-dessus le temps, l’espace, et leurs différences, pour parler d’amour !

Quand l’un affirme, l’autre interroge, et pourtant tous les deux, dans le même souffle d’une sensibilité partagée, donnent sa vraie dimension à ce silence, souvent inquiet, qui, de temps à autre, s’installe entre deux êtres qui s’aiment.

N’est-ce pas dans l’évidente lisibilité du secret de ces pauses que s’inscrit la sincérité du sentiment ?
Chaque interrogation ne sert-elle pas pudiquement de masque à l’aveu de cette évidence ?

Théâtre des Champs Élysées – 1984

Tu penses à quoi ?
A la langueur du soir dans les trains du tiers monde ?
A la maladie louche ? Aux parfums de secours ?
A cette femme informe et qui pourtant s’inonde ?
Aux chagrins de la mer planqués au fond des cours ?

Tu penses à quoi ?
A l’avion malheureux qui cherche un champ de blé ?
A ce monde accroupi les yeux dans les étoiles ?
A ce mètre inventé pour mesurer les plaies ?
A ta joie démarrée quand je mets à la voile ?

Tu penses à quoi ?
A cette rouge gorge accrochée à ton flanc ?
Aux pierres de la mer lisses comme des cygnes ?
Au coquillage heureux et sa perle dedans
Qui n’attend que tes yeux pour leur faire des signes ?

Tu penses à quoi ?
Aux seins exténués de la chienne maman ?
Aux hommes muselés qui tirent sur la laisse ?
Aux biches dans les bois ? Au lièvre dans le vent ?
A l’aigle bienheureux ? A l’azur qu’il caresse ?

Tu penses à quoi ?
A l’imagination qui part demain matin ?
A la fille égrenant son rosaire à pilules ?
A ses mains mappemonde où traîne son destin ?
A l’horizon barré où ses rêves s’annulent ?

Tu penses à quoi ?
A ma voix sur le fil quand je cherche ta voix ?
A toi qui t’enfuyais quand j’allais te connaître ?
A tout ce que je sais de toi et à ce que tu crois ?
A ce que je connais de toi sans te connaître ?

Tu penses à quoi ?
A ce temps relatif qui blanchit mes cheveux ?
A ces larmes perdues qui s’inventent des rides ?
A ces arbres datés où traînent des aveux ?
A ton ventre rempli et à l’horreur du vide ?

Tu penses à quoi ?
A la brume baissant son compteur sur ta vie ?
A la mort qui sommeille au bord de l’autoroute ?
A tes chagrins d’enfant dans les yeux des petits ?
A ton cœur mesuré qui bat coûte que coûte ?

Tu penses à quoi ?
A ta tête de mort qui pousse sous ta peau ?
A tes dents déjà mortes et qui rient dans ta tombe ?
A cette absurdité de vivre pour la peau ?
A la peur qui te tient debout lorsque tout tombe ?

Tu penses à quoi ? Tu penses à quoi, dis ?
A moi ? Des fois ?…
Je t’aime !

Tu penses à quoi ?

Aimer quelqu’un, c’est le lire. C’est savoir lire toutes les phrases qui sont dans le cœur de l’autre, et en lisant le délivrer. C’est déplier son cœur comme un parchemin et le lire à haute voix, comme si chacun était à lui-même un livre écrit dans une langue étrangère.

Christian Bobin (« La lumière du monde » – Folio / Gallimard – 2003)

Heureux l’instant d’une improbable rencontre entre deux poètes sur la passerelle qu’ils ont construite sans le savoir, mot après mot, par-dessus le temps, l’espace, et leurs différences, pour parler d’amour !

Quand l’un affirme l’autre questionne, et pourtant tous les deux, dans le même souffle d’une sensibilité partagée, donnent sa vraie valeur à ce silence inquiet qui parfois prend place, un moment, entre deux amants.

N’est-ce pas dans la lisibilité de ces silences que s’inscrit la grandeur du sentiment ?

Théâtre des Champs Élysées – 1984

Tu penses à quoi ?
A la langueur du soir dans les trains du tiers monde ?
A la maladie louche ? Aux parfums de secours ?
A cette femme informe et qui pourtant s’inonde ?
Aux chagrins de la mer planqués au fond des cours ?

Tu penses à quoi ?
A l’avion malheureux qui cherche un champ de blé ?
A ce monde accroupi les yeux dans les étoiles ?
A ce mètre inventé pour mesurer les plaies ?
A ta joie démarrée quand je mets à la voile ?

Tu penses à quoi ?
A cette rouge gorge accrochée à ton flanc ?
Aux pierres de la mer lisses comme des cygnes ?
Au coquillage heureux et sa perle dedans
Qui n’attend que tes yeux pour leur faire des signes ?

Tu penses à quoi ?
Aux seins exténués de la chienne maman ?
Aux hommes muselés qui tirent sur la laisse ?
Aux biches dans les bois ? Au lièvre dans le vent ?
A l’aigle bienheureux ? A l’azur qu’il caresse ?

Tu penses à quoi ?
A l’imagination qui part demain matin ?
A la fille égrenant son rosaire à pilules ?
A ses mains mappemonde où traîne son destin ?
A l’horizon barré où ses rêves s’annulent ?

Tu penses à quoi ?
A ma voix sur le fil quand je cherche ta voix ?
A toi qui t’enfuyais quand j’allais te connaître ?
A tout ce que je sais de toi et à ce que tu crois ?
A ce que je connais de toi sans te connaître ?

Tu penses à quoi ?
A ce temps relatif qui blanchit mes cheveux ?
A ces larmes perdues qui s’inventent des rides ?
A ces arbres datés où traînent des aveux ?
A ton ventre rempli et à l’horreur du vide ?

Tu penses à quoi ?
A la brume baissant son compteur sur ta vie ?
A la mort qui sommeille au bord de l’autoroute ?
A tes chagrins d’enfant dans les yeux des petits ?
A ton cœur mesuré qui bat coûte que coûte ?

Tu penses à quoi ?
A ta tête de mort qui pousse sous ta peau ?
A tes dents déjà mortes et qui rient dans ta tombe ?
A cette absurdité de vivre pour la peau ?
A la peur qui te tient debout lorsque tout tombe ?

Tu penses à quoi ? Tu penses à quoi, dis ?
A moi ? Des fois ?…
Je t’aime !