‘A tous les enfants’

Voilà le monde parfumé
Plein de rires, plein d’oiseaux bleus…

‘A tous les enfants’

dit par Jean-Louis Trintignant – Illustration musicale : Daniel Mille (bandonéon)

A tous les enfants
Qui sont partis le sac au dos
Par un brumeux matin d’avril
Je voudrais faire un monument

A tous les enfants
Qui ont pleuré le sac au dos
Les yeux baissés sur leurs chagrins
Je voudrais faire un monument
Pas de pierre, pas de béton
Ni de bronze qui devient vert
Sous la morsure aiguë du temps
Un monument de leur souffrance
Un monument de leur terreur
Aussi de leur étonnement
Voilà le monde parfumé
Plein de rires, plein d’oiseaux bleus
Soudain griffé d’un coup de feu
Un monde neuf où sur un corps
Qui va tomber
Grandit une tache de sang

Mais à tous ceux qui sont restés
Les pieds au chaud sous leur bureau
En calculant le rendement
De la guerre qu’ils ont voulue
A tous les gras tous les cocus
Qui ventripotent dans la vie
Et comptent comptent leurs écus
A tous ceux-là je dresserai
Le monument qui leur convient
Avec la schlague, avec le fouet
Avec mes pieds avec mes poings
Avec des mots qui colleront
Sur leurs faux-plis sur leurs bajoues
Des marques de honte et de boue.

Boris Vian 1920-1959

 

 

in Chansons (1954-1959)

 

 

 

‘A tous les enfants’

Chanté par Catherine Sauvage sur la musique de Claude Vence

Colère : un remède… beethovénien

Beethoven a vicié la musique : il y a introduit les sautes d’humeur, il y a laissé entrer la colère.

Emile Cioran – Sur la musique

Ludwig van Beethoven 1770-1827

Conseil capital pour tout être humain qui, pour une raison quelconque, se trouverait emporté par un accès de colère aussi soudain qu’irrépressible.

La procédure, pour être efficace, doit être suivie à la lettre.

    • Mettre sa plus belle robe ou son plus élégant costume
    • S’assoir devant un piano, à queue de préférence… et accordé, si possible
    • Prendre une profonde respiration, pas trop longue pour ne pas perdre l’énergie
    • Enfin, sans partition, jouer, sur un tempo all’ungharese (à la hongroise pour les français), et sans aucune fausse note – le détail est important – le Leichte Kaprize (léger caprice pour les français également) ou « Rondo a capriccio » en sol majeur, que Beethoven a composé en 1795
      Pour la petite histoire, cette pièce fut nommée par Schindler (non, pas celui de la « Liste », mais Anton Félix, le premier biographe de Beethoven)
                    Wuth über den verlornen Groschen ausgetobt in einer Kaprize
      (Colère à cause du sou perdu déchargée dans un Caprice, pour les français…).

On aimera peut-être, avant d’appliquer le remède, se souvenir de ce propos d’un musicologue français :

Cette pièce très singulière, pleine de force, de violence virile, peut être considérée comme l’exemple d’un certain humour beethovénien…

😊   🤗   🤓

 Il n’est pas interdit de s’inspirer de ce ‘tuto’ qu’a enregistré Olga Scheps

Nota Bene
Si l’un d’entre nous a trouvé ce conseil utile et surtout, s’il a pu en vérifier l’efficacité par lui-même, qu’il s’inscrive rapidement au prestigieux Concours international de piano Chopin à Varsovie !

Musiques à l’ombre – 12 – Humeurs

Bien dommage que l’on ne joue presque jamais l’intégralité des vingt pièces des Visions fugitives opus 22 où on retrouve Prokofiev tour à tour lyrique, sarcastique, bucolique, rêveur, coléreux. Un réel joyau quand on s’offre le bonheur de savourer l’instant de ces pièces qui sont à la musique de Prokofiev ce que sont les Préludes à la musique de Chopin. Des instants fugitifs, des visions dont le compositeur a la géniale intuition de traduire l’essence.  

Bernadette Beyne (Fondatrice et rédactrice en chef de Crescendo magazine)
Dossier Prokofiev – #6 – La musique pour piano –
22/09/2016

Sergueï Prokofiev 1891-1953

Puisque tout est dit et bien dit dans cet article de la regrettée musicologue Bernadette Beyne sur les ‘Visions fugitives’, pourquoi ne pas en poursuivre l’édifiante lecture ?

Comme la plupart des artistes de son temps, il n’a pas échappé au courant symboliste et c’est à Constantin Balmont qu’il doit ces deux vers qui inspirèrent le cycle des Visions :
     “Dans chaque vision fugitive, je vois des mondes
      “Pleins de jeux changeants et irisés”.
Les Visions fugitives racontent, avec simplicité, questionnent, éveillent l’esprit, pirouettent, se parent d’élégance, évoquent une harpe pittoresque, content au coin du feu, se font féroces, attisent la Toccata, signent l’inquiétude, la poésie, un monde irréel ; décrivent aussi, comme l’avant-dernière vision inspirée à Prokofiev par la foule agitée dans les rues de Petrograd en février 1917. La suite des pièces ne suit pas la chronologie de la composition mais la succession d’états d’âme.

♫ ♪ ♬

Le caractère énigmatique de ces vingt miniatures pour piano ne souffre d’aucune indiscrétion qu’aurait commise Prokofiev en les affublant chacune d’un titre. Absence de repères programmatiques qui ajoute à la fragmentation de l’oeuvre un sentiment de spontanéité, rendant encore plus actuelles les humeurs et les atmosphères que chaque petite pièce dépeint.
A l’auditeur, à travers les innombrables nuances de la palette musicale impressionniste de Prokofiev, de percevoir ou d’imaginer. Le charme n’en est que plus grand ! 

Pour donner toute leur juste présence aux états d’âme du compositeur, tantôt tendre et doucereux, tantôt irrité, d’autres fois perdu dans un monde irréel, la maîtrise et la sensibilité du pianiste moscovite Alexander Melnikov.

Sergueï Prokofiev
Visions fugitives Op.22
Alexander Melnikov (piano)

Deidamia triste et furieuse

Joseph-Michel-Ange Pollet (1854) – Achille et Deidamie

Même si elle l’a rencontré au gynécée de son père, roi de Skyros, déguisé en fillette, et courtisé par Ulysse cherchant à le démasquer, Deidamie n’ignore pas que son amant est bien Achille, le héros destiné à sauver Troie assiégée.

Comment ne pas compatir à la tristesse de cette jeune princesse meurtrie lorsqu’elle apprend qu’il va la quitter pour défendre sa patrie alors que les oracles ont prédit la mort du héros au combat ? Comment ne pas partager la véhémence de sa colère, s’imaginant ainsi trahie ?

La voici justement, au comble de l’émotion, convaincante à l’extrême, sous les traits charmants et par la voix exceptionnelle de Jeanine de Bique, à cet instant de l’Acte III du dernier opéra italien de Haendel (1741), exprimant, et de quelle merveilleuse manière, son désespoir (largo) et son courroux (allegro).

N’en doutons pas, touché au coeur, Achille l’épousera avant son départ pour Troie.

M’hai resa infelice:
che vanto n’avrai?
Oppressi, dirai,
un’alma fedel.

Le vele se darai
de’ flutti al seno infido,
sconvolga orribil vento
l’instabil elemento,
e innanzi al patrio lido
sommèrgati, crudel.

Tu m’as rendue malheureuse
t’en vanteras-tu ?
Persécuteur
d’une âme fidèle.

Quand vers un traître sein
te porteront tes voiles,
que d’horribles tempêtes
déchainent les flots houleux,
et près de tes rivages
qu’ils te submergent, cruel !

Tu verras, le jour se lève encore !

Quand tu n’y crois plus, que tout est perdu
Quand trompé, déçu, meurtri
Quand assis par terre, plus rien pouvoir faire…

Le jour se lève encore (1993)

Quand tu n’y crois plus, que tout est perdu
Quand trompé, déçu, meurtri
Quand assis par terre, plus rien pouvoir faire
Tout seul, dans ton désert
Quand mal, trop mal, on marche à genoux
Quand sourds les hommes n’entendent plus le cri des hommes

Tu verras, l’aube revient quand même
Tu verras, le jour se lève encore
Même si tu ne crois plus à l’aurore
Tu verras, le jour se lève encore

Quand la terre saigne ses blessures
Sous l’avion qui crache la mort
Quand l’homme chacal tire à bout portant
Sur l’enfant qui rêve, ou qui dort
Quand mal, trop mal, tu voudrais larguer
Larguer, tout larguer
Quand la folie des hommes nous mène à l’horreur
Nous mène au dégoût

N’oublie pas, l’aube revient quand même
Et même pâle, le jour se lève encore
Étonné, on reprend le corps à corps
Allons-y puisque le jour se lève encore

Suivons les rivières, gardons les torrents
Restons en colère, soyons vigilants
Même si tout semble fini
N’oublions jamais qu’au bout d’une nuit
Qu’au bout de la nuit, qu’au bout de la nuit

Doucement, l’aube revient quand même
Même pâle, le jour se lève encore

Tu verras
Étonné, on reprend le corps à corps
Continue, le soleil se lève encore
Tu verras, le jour se lève encore…
Tu verras…

Même si…

Encore…

Barbara 1930-1997