‘Du feu dans les herbes’ (extrait)
Ils fusillèrent les rires, les différences, les audaces. Ils barrèrent les rues et tout sens qu’ils ne trouvèrent pas conforme. Ils arrachèrent les livres, civilisèrent la mort, la rajeunirent. Ils arrangèrent le passé. De leurs idées arrêtées, ils firent des églises où ils sacrifièrent la vérité. Ils emprisonnèrent les paysages, suspectèrent l’intelligence, conditionnèrent l’amour, colonisèrent l’herbe sauvage, calfeutrèrent la joie, surveillèrent le désir, évaluèrent les maisons, parquèrent l’imagination, déclarèrent courte l’enfance. Quand ils eurent mis en bouteille, la vague, l’inventivité, la liberté, l’âme, et autres choses gênantes, ils dirent aux arbres quels fruits ils devraient porter. Ils installèrent l’uniforme de la pensée unique et décidèrent de ce qui était bon. Les tuiles qui rêvaient aux étoiles furent jetées aux orties qui elles-mêmes furent exterminées. Les champs, ces voix sans issues, furent stérilisés, comme les animaux, les idées, les rêves, les couleurs, et ceux qui ne pensaient pas comme eux. Ils déclarèrent dangereux le rire, l’espoir, le chant, la connaissance. Ils dressèrent des chiens, des lois et des tours. Les oiseaux furent bagués, les esprits lessivés. Quand ils eurent asséché l’intérieur et l’extérieur, quand ils eurent effacé les larmes, quand ils eurent sacrifié le vivant, ils trouèrent le ciel, trafiquèrent les cellules, inventèrent maladies et remèdes, assujettirent la réflexion, brûlèrent le jour et tout ce qui ne leur ressemblait pas. Puis, ils vidèrent les bacs à sable. Alors, il ne resta plus rien, ni personne, pour crier au loup ou pousser une balançoire. Et sur la boule bleue désaffectée, ils ne virent plus, dans l’orbite morte du soleil, que leur visage, infâme et sans nom.

Éditions Cosmophonies Internationales – 2002
Ile Eniger

Chef-d’œuvre de force et de perspicacité auquel tu donnes toute la mesure…
Frissons.
Merci Ile et merci Lélius.
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Merci pour cet accueil à ce texte puissant et, hélas, toujours utile à nos mémoires.
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Merci de tout coeur Lelius pour votre lecture superbe de mon texte !
« Frissons » comme le dit Barbara A.
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Je suis heureux, Ile, de l’accueil que vous avez réservé à ma petite vidéo bâtie autour de votre texte si puissant et si présent encore dans notre actualité.
Vos mots, depuis la découverte que je fis il y a longtemps déjà de ce recueil « Du feu dans les herbes », ne m’ont jamais quitté et m’ont bien souvent fait frissonner moi-même avant que je me décide à les enregistrer.
Merci ! Merci !
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Terrible texte…
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Terrible, en effet ! A la mesure de la réalité qu’il décrit avec une juste sensibilité dans le choix affuté de chaque mot.
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Le choix affuté des mots, vous avez raison. Les œuvres présentées avec le texte renforcent cette sombre réalité. Et avec votre voix…
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