‘Vous m’avez dit…’

Oh ! vivre et vivre et vivre et se sentir meilleur
A mesure que bout plus fermement le cœur.

Émile Verhaeren
Les visages de la vie – L’action

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Vous m’avez dit, tel soir, des paroles si belles
Que sans doute les fleurs, qui se penchaient vers nous,
Soudain nous ont aimés et que l’une d’entre elles,
Pour nous toucher tous deux, tomba sur nos genoux.
 
Vous me parliez des temps prochains où nos années,
Comme des fruits trop mûrs, se laisseraient cueillir ;
Comment éclaterait le glas des destinées,
Comment on s’aimerait, en se sentant vieillir.
 
Votre voix m’enlaçait comme une chère étreinte,
Et votre cœur brûlait si tranquillement beau
Qu’en ce moment, j’aurais pu voir s’ouvrir sans crainte
Les tortueux chemins qui vont vers le tombeau.

Émile Verhaeren (1855-1916)

Amour ? Espérance ?…

Le grand malheur de cette société moderne, sa malédiction, c’est qu’elle s’organise visiblement pour se passer d’espérance comme d’amour ; elle s’imagine y suppléer par la technique, elle attend que ses économistes et ses législateurs lui apportent la double formule d’une justice sans amour et d’une sécurité sans espérance.

Georges Bernanos (1888-1948)
Georges Bernanos (1888-1948)

Conférence aux étudiants brésiliens – Rio – 1944
(in « Essais et écrits de combats » – La Pléiade)

L’actualité cinglante d’une pareille sentence, 70 ans après les déflagrations qui l’ont sans doute, pour partie, sinon inspirée, du moins renforcée, est plus accablante encore qu’il n’y paraît, car, outre le redoutable rappel de nos vices et de nos carences, elle constitue un terrible témoignage de notre tragique incapacité à apprendre de nos désespoirs vaincus, à grimper, pour grandir, sur les ruines de nos bassesses passées, à libérer du tréfonds de nos cœurs la part, aussi infime soit-elle, de l’enfant que pourtant nous ne pouvons cesser d’être.