‘Parole de la parole’

Quant à la poésie, elle est la parole de la parole. Elle est à la pointe du langage, cette énergie qui refait notre vocabulaire et le place en situation de récréation vitale. C’est un outre-dit, une expérience qui poursuit un objectif. La poésie est réponse à une question qui ne fut pas posée. Il faut inventer, réinventer la transparence comme une fenêtre ouverte pour respirer.

La poésie est ainsi délaissée. Mais je pense qu’elle resurgira de sa retraite le moment venu parce que les êtres humains ont besoin d’elle pour voir à nouveau le monde, vivre vraiment leur vie, et enfin respirer. Il y aura une aube nouvelle pour la parole de poésie, ce cante jondo, ce chant profond.

Salah Stétié (1929-20/05/2020)

Textes cités par Jinane Chaker Sultani Milelli, dans un article du journal libanais Libnanews en date du 21/05/2020, intitulé :
Lettre d’adieu post-mortem de Salah Stétié à ses ami.e.s’

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Poètes français de demain, nouveaux dinosaures, chers pauvres dinosaures, vous seuls gardez au seuil de la caverne désertée notre or imaginaire et le peu d’eau resté disponible. N’espérez rien, cependant, au-delà de l’honneur que constitue cette garde. 

in « L’Extravagance » – Robert Laffont

Jean Grosjean, un regard, une parole…

Un livre, qu’on le lise ou qu’on l’écrive, doit être soluble dans la vie. On doit pouvoir à chaque page lever les yeux sur le monde ou se pencher sur un souvenir pour vérifier le texte.

Jean Grosjean 1912-2006

(cité par Patrick Kéchichian dans un article du journal Le Monde du 13/04/2006, à l’occasion de la mort du poète.)

 

La Liseuse, Charles von Steuben – Musée des Beaux Arts, Nantes

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Hier

Assis sur mes talons entre les murs
je suis livré à la nuit anonyme
et je me tais, mais je l’entends m’entendre.
Il faut, dis-tu, marcher d’un mur à l’autre.

Rien, des essors d’oiseaux, l’herbe au soleil,
l’odeur du sol, l’azur dans l’abreuvoir
et l’envol des instants. Hier n’est plus,
ne te retourne pas sur un abîme.

Jean Grosjean 1912-2006

 

La rumeur des cortèges (Gallimard – 2005)

 

 

ω

Christian Bobin évoque Jean Grosjean :

Les livres nous lisent-ils ?

José Ferraz de Almeida Júnior (Brésil – 1850-1899) – Leitura

L’écrit est une parole pétrifiée, une empreinte. Lire, et non seulement lire à voix haute, est retrouver le mouvement de cette parole, elle-même animée par un esprit : animée. Même un monologue est dialogue, voix diverses, polyphonie. Toute parole, en son essence, en sa nature profonde, est drame, théâtre. Toute chose écrite a lieu sur une scène intérieure, intime.

[…]

José Ferraz de Almeida Júnior (Brésil – 1850-1899) – Moça com Livro

Il me semble avoir lu que nous lisons moins les livres qu’ils ne nous lisent. Nous croyons aller vers eux, vers ce qu’ils nous disent, entrer en eux : ils viennent à nous, ils font surgir de nos oublis des pans et des verstes de notre vie. Leur voix nous peuple d’échos. Ils suscitent en nous des horizons. Ils descellent des profondeurs, nous révèlent des puits, des citernes. Le livre de papier encore ouvert entre nos mains, nous voici lisant au livre de nous-même. Peut-être que les livres que nous aimons le plus et que nous admirons sont ceux qui rallument en nous ce que nous ne savions plus même éteint.

Claude-Henri Rocquet (1933-2016)

 

« Lecture de Rimbaud »
in « Les Carnets d’Hermès » N°9 – 10/2016
(pages 22 & 39)