Fulgurances – XLVI – ‘Nuit’

Vive la mariée… facétieuse !

Exécutée par des voix surprenantes, voilà une chose prodigieuse ; je pourrais presque en pleurer, si le don des larmes ne m’avait été enlevé.

Gioacchino Rossini 1792-1868

Malena Ernman (soprano colorature)

sur la scène du MusikTheater an der Wien, en août 2012

ORF Orchestre Symphonique de la Radio de Vienne

Chœur Arnold Schoenberg (dir. Erwin Ortner)

Direction musicale : Leo Hussain

Mise en scène : Christof Loy

Elena:
Tanti affetti in tal momento
mi si fanno al core intorno,
che l’immenso mio contento
io non posso a te spiegar.
Deh! Il silenzio sia loquace…
Tutto dica un tronco accento…
Ah, Signor! La bella pace
tu sapesti a me donar.

Coro:
Ah sì… Torni in te la pace,
puoi contenta respirar!

Elena:
Fra il padre e fra l’amante…
Oh, qual beato istante!
Ah! Chi sperar potea
tanta felicità?!

Coro:
Cessi di stella rea
la fiera avversità…

Elena:
Ah! chi sperar potea
tanta felicità!

Fra il padre e fra l’amante…
Oh, qual beato istante!
Ah! Chi sperar potea
tanta felicità?!

Elena :
Tant d’émotions en cet instant
assiègent mon cœur
que je ne puis t’exposer
mon infini plaisir.
Allons, sois éloquent silence…
Qu’une voix enfin dise tout…
Ah, Seigneur! vous avez daigné
m’accorder une si belle paix !

Chœur :
Ah, oui !… Retrouve la paix,
respire ton bonheur !

Elena :
Entre mon père et mon amant…
Oh, quel instant bienheureux !
Ah ! Qui pouvait espérer
pareille félicité.

Chœur :
Que cesse la cruelle influence
d’une mauvaise étoile…

Elena :
Ah ! qui peut espérer
un tel bonheur ?

Entre mon père et mon aimé
Quel merveilleux moment !
Ah ! qui peut espérer
un tel bonheur ?

Fulgurances – XLI – Conseil

‘La chanson de Maglia’

Louis-Leopold Robert (Suisse 1794-1835)

La chanson de Maglia

Vous êtes bien belle et je suis bien laid.
A vous la splendeur de rayons baignée ;
A moi la poussière, à moi l’araignée.
Vous êtes bien belle et je suis bien laid ;
Soyez la fenêtre et moi le volet.

Nous réglerons tout dans notre réduit.
Je protégerai ta vitre qui tremble ;
Nous serons heureux, nous serons ensemble ;
Nous réglerons tout dans notre réduit ;
Tu feras le jour, je ferai la nuit.

Victor Hugo 1802-1885

 

 

Jean Jules Geoffroy – 1853

D’un Serge à l’autre :

Serge Gainsbourg, en 1961, a repris et transformé le poème, pour le chanter lui-même.

Serge Reggiani, en 1973, ne résista pas au plaisir de l’interpréter à son tour :

Vous êtes bien belle, et je suis bien laid,
A vous la splendeur de rayons baignée
A moi la poussière, à moi l’araignée
Vous êtes bien belle, et je suis bien laid,

Tu feras le jour, je ferai la nuit,
Je protégerai ta vitre qui tremble,
Nous serons heureux, nous serons ensemble,
Tu feras le jour, je ferai la nuit,

Vous êtes bien belle, et je suis bien laid,
A vous la splendeur de rayons baignée
A moi la poussière, à moi l’araignée
Vous êtes bien belle, et je suis bien laid.

Être amoureux, c’est…

Heureux les amoureux. Sur les montagnes russes.

Jacques Prévert – Paroles

Tout un monde d’amour éclos dans un regard.

Lamartine – La chute d’un ange – XII vision (1838)

Francisco Luis Bernardez  (Argentine 1900-1978)

« Être amoureux… »

Être amoureux, mes amis, c’est trouver le nom exact de la vie.
C’est tomber enfin sur le mot qu’il faut pour affronter la mort.
C’est retrouver la clé cachée qui ouvre la prison ou l’âme est retenue captive.
C’est respirer le vent du large qu’on respire au-delà de la chair.
C’est contempler du haut de la personne la raison des blessures.
C’est déceler dans des yeux un regard vrai qui nous regarde.
C’est écouter dans une bouche sa propre voix profondément répétée.
C’est surprendre dans des mains cette chaleur de la parfaite alliance.
C’est pressentir que, pour toujours, la solitude de notre ombre est vaincue.

Être amoureux, mes amis, c’est découvrir ou s’unissent corps et âmes.
C’est deviner dans le désert la voix cristalline d’une eau vive qui nous appelle.
C’est voir la mer du haut de la tour où est restée prisonnière notre enfance.
C’est reposer ses yeux tristes sur un paysage de cigognes et de cloches.
C’est occuper un territoire où cohabitent les parfums et les armes.
C’est dicter sa loi à chaque rose et en même temps la recevoir de son épée.
C’est prendre les sentiments pour un brasier qui jaillit du cœur.
C’est maîtriser la lumière du feu et en même temps être esclave de la flamme.
C’est comprendre la conversation intime du cœur et de la distance.
C’est trouver le chemin qui mène au royaume de la musique absolue.   […]

Estar enamorado, amigos, es encontrar el nombre justo de la vida.
Es dar al fin con la palabra que para hacer frente a la muerte se precisa.

Es recobrar la llave oculta que abre la cárcel en que el alma está cautiva.
[Es levantarse de la tierra con una fuerza que reclama desde arriba.]
Es respirar el ancho viento que por encima de la carne se respira.
Es contemplar desde la cumbre de la persona la razón de las heridas.
Es advertir en unos ojos una mirada verdadera que nos mira.
Es escuchar en una boca la propia voz profundamente repetida.
Es sorprender en unas manos ese calor de la perfecta compañía.
Es sospechar que, para siempre, la soledad de nuestra sombra está vencida.

Estar enamorado, amigos, es descubrir dónde se juntan cuerpo y alma.
Es percibir en el desierto la cristalina voz del río que nos llama.
Es ver el mar desde la torre donde ha quedado prisionera nuestra infancia.
Es apoyar los ojos tristes en un paisaje de cigüeñas y campanas.
Es ocupar un territorio donde conviven los perfumes y las armas.
Es dar la ley a cada rosa y al mismo tiempo recibirla de su espada.
Es confundir el sentimiento con una hoguera que del pecho se levanta.
Es gobernar la luz del fuego y al mismo tiempo ser esclavo de la llama.
Es entender la pensativa conversación del corazón y la distancia.
Es encontrar el derrotero que lleva al reino de la música sin tasa.

[Estar enamorado, amigos, es adueñarse de las noches y de los días.
Es olvidar entre los dedos emocionados la cabeza distraída.
Es recordar a Garcilaso cuando se siente la canción de una herrería.
Es ir leyendo lo que escriben en el espacio las primeras golondrinas.
Es ver la estrella de la tarde por la ventana de una casa campesina.
Es contemplar el tren que pasa por la montaña con las luces encendidas.
Es comprender perfectamente que no hay fronteras entre el sueño y la vigilia.
Es ignorar en qué consiste la diferencia entre pena y alegría.
Es escuchar a medianoche la vagabunda confesión de la llovizna.
Es divisar en las tinieblas del corazón una pequeña lucecita.

Estar enamorado, amigos, es padecer espacio y tiempo con dulzura.
Es despertarse en la mañana con el secreto de las flores y las frutas.
Es liberarse de sí mismo y estar unido con las otras criaturas.
Es no saber si son ajenas o si son propias las lejanas amarguras.
Es remontar hasta la fuente las aguas turbias del torrente de la angustia.
Es compartir la luz del mundo y al mismo tiempo es compartir la noche obscura.
Es asombrarse y alegrarse de que la luna todavía sea luna.
Es comprobar en cuerpo y alma que la tarea de ser hombre es menos dura.
Es empezar a decir siempre y en adelante no volver a decir nunca.
Y es además, amigos míos, estar seguro de tener las manos puras.
]

Voix du temps – Voix du tango

Yo habré muerto y seguirás
orillando nuestra vida.
Buenos Aires no te olvida,
tango que fuiste y serás.*

BorgesAlguien le dice al tango 

*Je serai mort, tu resteras
Coulant au bord de notre vie.
Pour Buenos Aires pas d’oubli,
Tango tu fus et tu seras.

Carlos Gardel

Cuesta abajo

Si arrastré por este mundo
la vergüenza de haber sido
y el dolor de ya no ser,
bajo el ala del sombrero,
cuántas veces, embozada,
una lágrima asomada
yo no pude contener.
.
Si vagué por los caminos
como un paria que el destino

se empeñó en deshacer.
Si fui flojo, si fui ciego,
sólo quiero que comprendan
el valor que representa
el coraje de querer.

.Era para mí la vida entera
como un sol de primavera,
mi esperanza y mi pasión.
Sabía que en el mundo no cabía
toda la humilde alegría
de mi pobre corazón.
.
Ahora, cuesta abajo en mi rodada
las ilusiones pasadas
ya no las puedo arrancar.
Sueño, con el pasado que añoro,
el tiempo viejo que lloro
y que nunca volverá.
.
Por seguir tras de su huella
yo bebí incansablemente
en mi copa de dolor.
Pero nadie comprendía
que si todo yo lo daba,
en cada vuelta dejaba
pedazos de corazón.
.
Ahora triste en la pendiente,
solitario y ya vencido,
yo me quiero confesar.
Si aquella boca mentía,
el amor que me ofrecía,
por aquellos ojos brujos
yo habría dado siempre más.
Alfredo Le Pera & Carlos Gardel
.
.
‘Cuesta Abajo’
.
Inès Cuello  La Grela Quinteto de Tango
.

Pente descendante

Si j’ai traîné par le monde
la honte d’avoir été
et la douleur de ne plus être,
sous le rebord de mon chapeau
combien de fois, cachée,
une larme a roulé
que je n’ai pu retenir.
.
Si j’ai erré par les chemins
comme un paria que le destin
s’acharnait à détruire
Si j’ai été lâche, et aveugle,
comprenez seulement
la valeur que représente
le courage d’aimer.
.
Elle, elle était pour moi toute la vie
comme un soleil printanier,
mon espérance et ma passion.
Je savais que le monde ne ferait pas place
à l’humble bonheur
de mon pauvre cœur.
.
Maintenant, sur la pente descendante
les illusions passées
je ne puis les rejeter.
Je rêve, avec le passé que je pleure
le temps passé que je regrette
et qui jamais ne reviendra.
.
Pour suivre ses traces
j’ai bu inlassablement
la coupe de ma douleur.
Mais personne n’a compris
que si j’avais tout donné
à chaque fois j’y laissais
un morceau de mon cœur
.
Désormais triste sur la pente descendante
solitaire et déjà vaincu,
je voudrais confesser
que si jamais cette bouche m’a menti
en m’offrant son amour,
pour ces yeux ensorcelants
j’aurais donné toujours plus
.

Une Zamba pour oublier

Dépit amoureux chorégraphique du Nord de l’Argentine, la Zamba est une danse sensuelle lente, au rythme circulaire marqué au temps par une percussion, qui tient les corps à distance de foulard pour donner au couple tout le loisir de jouer à travers les échanges de regards au jeu du « je t’aime, moi non plus ».

Chantée, c’est une poésie nostalgique et sensuelle par laquelle s’exprime l’éternel tourment des amoureux oscillant entre séduction et séparation.

Une Zamba pour oublier… ou pas !

Zamba para olvidar

Elle

Mais, selon moi, plus malheureux que tous est celui qui n’aime plus et ne peut oublier qu’il a aimé.

Adam Mickiewicz – La Résignation

No se para que volvistesi yo empezaba a olvidarno se si ya lo sabrasllore cuando vos te fuisteno se para que volvisteque mal me hace recordar.
.
La tarde se ha puesto tristey yo prefiero callarpara que vamos a hablarde cosas que ya no existenno se para que volvisteya ves que es mejor no hablar
.
Que pena me da saber que al finalde ese amor ya no queda nadasolo una pobre cancionda vueltas por mi guitarray hace rato que te extrañami zamba para olvidar.
.
Mi zamba vivio conmigoparte de mi soledad.no se si ya lo sabras…mi vida se fue contigocontigo mi amor contigoque mal me hace recordar
.
Mis manos ya son de barrotanto apretar al dolory ahora que me falta el solno se que venis buscando.Llorando mi amor llorandotambien olvidame vos.
.
Que pena me da saber que al finalde ese amor ya no queda nadasolo una pobre cancionda vueltas por mi guitarray hace rato que te extrañami zamba para olvidar.

Lui (… mais pas sans Elle !)

Comment oublier jamais quelqu’un qu’on aime depuis toujours ?

Marcel Proust – A l’ombre des jeunes filles en fleurs
.

Mercedes Sosa  &  Diego Torres

Fulgurances – XXXV – ‘Demain’

Ignacio ZuloagaMademoiselle Souty

« Demain » Le mot
Allait, délié, vacant,
Sans poids dans le vent,
Si dénué d’âme et de corps,
De couleur, de baiser,
Que je l’ai laissé passer
Près de moi aujourd’hui.
Mais soudain toi
Tu as dit : « Moi, demain… »
Et tout s’est peuplé
De chair et de drapeaux.
Sur moi se précipitaient
Les promesses
Aux six cents couleurs,
Avec des robes à la mode,
Nues, mais toutes
Chargées de caresses.
En train ou en gazelles
M’arrivaient – aigus,
Sons de violons –
Des espoirs ténus
De bouches virginales.
Ou rapides et grandes
Comme des navires, de loin,
Comme des baleines
Depuis des mers distantes,
D’immenses espérances
D’un amour sans final.
Demain ! Quel mot
vibrant, tendu
D’âme et de chair rose,
Corde de l’arc
Où tu posas, si effilée,
Arme de vingt années,
La flèche la plus sûre
Quand tu as dis : « Moi… »

Pedro Salinas 1891-1951

 

in La voz a ti debida, 1933 


« La voix qui t’est due »
Traduit de l’espagnol par Bernard Sesé
(Le Calligraphe -1982)

 

 

«Mañana». La palabra
iba suelta, vacante,
ingrávida, en el aire,
tan sin alma y sin cuerpo,
tan sin color ni beso,
que la dejé pasar
por mi lado, en mi hoy.
Pero de pronto tú
dijiste: «Yo, mañana…»
Y todo se pobló
de carne y de banderas.
Se me precipitaban
encima las promesas
de seiscientos colores,
con vestidos de moda,
desnudas, pero todas
cargadas de caricias.
En trenes o en gacelas
me llegaban —agudas,
sones de violines—
esperanzas delgadas
de bocas virginales.
O veloces y grandes
como buques, de lejos,
como ballenas
desde mares distantes,
inmensas esperanzas
de un amor sin final.
¡Mañana! Qué palabra
toda vibrante, tensa
de alma y carne rosada,
cuerda del arco donde
tú pusiste, agudísima,
arma de veinte años,
la flecha más segura
cuando dijiste: «Yo…»

Ode à la manivelle

Dans un siècle dont tant de livres disent les noirceurs alors que ne s’y opposent souvent que des simplismes à la ‘Coué’, l’œuvre de Dhôtel s’avance un peu seule et sans tapage vers cette raie de lumière sous la porte qu’il y a au fond de chacun de nous.

Jean Grosjean

Ode à la manivelle

Le joueur d’orgue
de barbarie monologuait :
« Puisque vous ne comprenez rien
je dois tout vous expliquer.

En haut de mes gammes les coquelicots
vers le milieu les bleuets
en profondeur les roses noires.
Mais les fleurs toutes ensemble
ne sont là que pour éclairer
les lignes vives de l’amour.

Sur la première portée
s’impriment les pieds nus
de la fille irremplaçable.
La seconde garde le reflet
de ses charmes et sourires
tandis qu’au fond de l’azur fin
après cent tours de manivelle
dans un silence apparaît
son ravissant corps dévêtu… »

André Dhôtel 1900-1991

 

 

in Poèmes comme ça (Editions Le temps qu’il fait)

Mais vieillir… ! – 28 – Irrésistible

Personne n’est jeune après quarante ans mais on peut être irrésistible à tout âge.

Coco Chanel

Deux gardénias suffiront à en faire l’heureuse démonstration. Pas « les galants gardénias dans leurs suaves pourpoints », de Raymond Queneau, exposés ici dans leur candeur virginale, mais les « Dos gardenias » de la chanson composée en 1945 par la pianiste cubaine Isolina Carrillo.

« Dos gardenias », incontournable standard de la musique latine, aura attendu le milieu des années 1990 et les tournées mondiales du Buena Vista Social Club Orquesta associé au chanteur Ibrahim Ferrer pour devenir un « tube » international. La chanteuse Omara Portuondo, seule femme à rejoindre le groupe, en fera pour toujours une perle de son répertoire.

C’est un boléro, une chanson d’amour comme tant d’autres, dans laquelle une jeune femme amoureuse exprime sa crainte de voir son bienaimé s’éprendre d’une autre… Deux gardénias, image de pureté et de sincérité, qu’elle offre, symbole de deux baisers échangés, à son amoureux. Deux fleurs qui mourront assurément si elles devinaient que cet amour a été trahi.

Quelqu’un a dit un jour que la vieillesse ne commence que lorsque les regrets prennent la place des rêves. Que dire de cette jeune femme, filmée ici à l’occasion de ses 90 ans, installée dans le désormais légendaire fauteuil d’une certaine « Emmanuelle », les yeux gorgés de cette fraîcheur de la jeunesse et la voix porteuse de ses folles espérances, qui chante « Dos gardenias » ?

Irrésistible Omara !

Dos gardenias para tiCon ellas quiero decirTe quiero, te adoro, mi vidaPonles toda tu atenciónQue serán tu corazón y el mío
.
Dos gardenias para tiQue tendrán todo el calor de un besoDe esos besos que te diY que jamás te encontraránEn el calor de otro querer
.
A tu lado vivirán y se hablaránComo cuando estás conmigoY hasta creerán que te diránTe quiero
.
Pero si un atardecerLas gardenias de mi amor se muerenEs porque han adivinadoQue tu amor me ha traicionadoPorque existe otro querer
.
A tu lado vivirán y se hablaránComo cuando estás conmigoY hasta creerán que te diránTe quiero
.
Pero si un atardecerLas gardenias de mi amor se muerenEs porque han adivinadoQue tu amor me ha traicionadoPorque existe otro querer
.
Es porque han adivinadoQue tu amor me ha traicionadoPorque existe otro querer
.

Dialogue avec l’étoile

Les étoiles n’ont leur vrai reflet qu’à travers les larmes.

Vladimir Nabokov – Regarde, regarde les arlequins !

Franz Schubert 1797-1828

Abendstern – D. 806
« Étoile du soir »

Étoile du soir

Pourquoi au ciel brilles-tu solitaire,
Ô belle étoile, toi dont l’éclat est si doux ?
Pourquoi la troupe étincelante
De tes sœurs demeure-t-elle si loin de toi ?
“Je suis de l’amour l’étoile fidèle,
Et toutes de l’amour se tiennent éloignées.”

Eh bien, il faut aller vers elles,
Sans plus tarder, puisque tu es l’amour !
Qui donc pourrait te résister,
Douce et capricieuse lumière ?
“Je sème, et ne vois rien fleurir,
Et je demeure ici, triste et silencieuse.”

Abendstern

Was weilst du einsam an dem Himmel,
O schöner Stern? und bist so mild;
Warum entfernt das funkelnde Gewimmel
Der Brüder sich von deinem Bild?
« Ich bin der Liebe treuer Stern,
« Sie halten sich von Liebe fern. »

So solltest du zu ihnen gehen,
Bist du der Liebe, zaudre nicht!
Wer möchte denn dir widerstehen?
Du süßes eigensinnig Licht.
« Ich säe, schaue keinen Keim,
« Und bleibe trauernd still daheim. »

Johann Baptist Mayrhofer – Autriche 1787-1836

‘Confins’

Confine

Parla a lungo con me la mia compagna
di cose tristi, gravi, che sul cuore
pesano come una pietra; viluppo
di mali inestricabile, che alcuna
mano, e la mia, non può sciogliere.

                           Un passero
della casa di faccia sulla gronda
posa un attimo, al sol brilla, ritorna
al cielo azzurro che gli è sopra.

                           Oh lui,
tra i beati beato! Ha l’ali, ignora
la mia pena secreta, il mio dolore
d’uomo giunto a un confine: alla certezza
di non poter soccorrere chi s’ama.

Confins

Longuement me parle ma compagne
de choses tristes, graves, qui pèsent
comme une pierre sur mon cœur ; enchevêtrement inextricable
de douleurs, qu’aucune main, pas plus la mienne, n’annulera.

                                  Un moineau
sur la pente de la maison d’en face
un instant se pose, brille au soleil, retourne
au ciel d’azur par–dessus lui.

                                   O lui
heureux bienheureux ! Des ailes il a, il ignore
ma peine secrète, ma douleur
d’homme venu à une limite : toute la certitude
de ne pouvoir porter secours à ceux que l’on aime.

Umberto Saba 1883-1957

 

Extrait de « Parole » (Paroles)
Traduction : Bernard Simeone

 

 

 

Peut-être est-ce parce qu'à Trieste on était en partie italien, en partie autrichien et en partie slovène, qu'Umberto Saba est demeuré le moins connu des immortels de la poésie italienne tels que Pasolini, Ungaretti et Montale, ses contemporains et amis.

Peut-être qu'une enfance difficile, sans père, et une vie d'homme en fuite permanente pour échapper aux persécutions des "lois raciales" et préserver la vie des siens, ont conduit la parole du poète sensible et mélancolique sur le chemin discret de la simplicité plutôt que vers les buissons épais de l'hermétisme du temps.

‘Je vous aime’

Ce qu’on apprend dans les livres c’est à dire « je vous aime ».

Ce qu’on apprend dans les livres, c’est-à-dire « je vous aime ».

Il faut d’abord dire « je ». C’est difficile, c’est comme se perdre dans la forêt, loin des chemins, c’est comme sortir de la maladie, de la maladie des vies impersonnelles, des vies tuées.

Ensuite il faut dire « vous ». La souffrance peut aider – la souffrance d’un bonheur, la jalousie, le froid, la candeur d’une saison sur la vitre du sang. Tout peut aider en un sens à dire « vous », tout ce qui manque et qui est là, sous les yeux, dans l’absence abondante.

Enfin il faut dire « aime ». C’est vers la fin des temps déjà, cela ne peut être dit qu’à condition de ne pas l’être. La dernière lettre est muette, elle s’efface dans le souffle, elle s’en va comme l’air bleu sur la page, dans la gorge.

« Je vous aime. » Sujet, verbe, complément.
Ce qu’on apprend dans les livres c’est la grammaire du silence, la leçon de lumière. Il faut du temps pour apprendre. Il faut tellement de temps pour s’atteindre.

Christian Bobin 1951 – 2022

 

La part manquante (extrait)
(NRF Gallimard – 1989)

Droit au cœur !

Que demain vous relisiez le Freischütz, ayant entendu hier Tannhäuser, vous aimerez encore la beauté des choses après celle des âmes ; dans la simplicité de la vie naturelle, vous en qui la vie intérieure et morale aura surabondé, vous goûterez une sensation délicieuse de rafraîchissement et de repos.

Camille Bellaigue – Revue des Deux Mondes, 4e période, tome 129 –

Coup de feu, coup de foudre, une seule destination : le cœur !

Coup de feu :
Le fatidique septième coup de feu sorti du fusil du jeune et naïf Max, par chance, et surtout par magie, n’a pas atteint le cœur de l’innocente colombe désignée, ni celui de la douce fiancée du malheureux tireur, Agathe, inopinément sortie du buisson qui la cachait. Un ermite passant par-là avait dévié la balle meurtrière vers Kaspar, complice de Samiel, l’envoyé du Diable qui s’était vainement réservé tout pouvoir sur la trajectoire de cette septième balle.

Coup de foudre :
C’est par la voix d’Agathe qu’il nous parvient, droit au cœur, alors qu’inquiétée par de sombres pressentiments, peu avant le satanique coup de feu, la future épouse de Max, déjà prête pour la cérémonie, implorait la protection du ciel.
Une prière parmi les plus émouvantes entendues sur les scènes d’opéra, composée par Carl Maria von Weber pour son célèbre « Freischütz », cavatine qui réunit au sommet une ferveur et un legato qui bouleversèrent le jeune Wagner lui-même, au point, dit-on, d’avoir influencé sa sensibilité artistique.

Der Freischütz – Acte III – scène 2 – Cavatine
Jeanine De Bique
(soprano)
Konzerthausorchester Berlin
Christoph Eschenbach
(direction)

AGATHE

Et même lorsque les nuages le cachent,
Le soleil demeure dans le ciel ;
Une volonté sainte régit le monde,
Et non point un hasard aveugle !
L’œil du Père, que rien ne saurait troubler,
Veille éternellement à toute créature !

Moi aussi qui me suis confiée à lui,
Je sais qu’il veille sur moi,
Et même si c’était là ma dernière journée,
Si sa parole m’appelait comme fiancée :
Son œil, éternellement pur et clair,
Me considère aussi avec amour !

Plus d’amour… Faudrait essayer !

Aimer aussi est bon : car l’amour est difficile. S’aimer, d’être humain à être humain : voilà peut-être la tâche la plus difficile qui nous soit imposée, l’extrême, la suprême épreuve et preuve, le travail en vue duquel tout autre travail n’est que préparation.

Rainer Maria Rilke – Lettre à un jeune poète

La période des vœux annuels est toujours une occasion de porter un regard ému sur la souffrance et les peines de nos contemporains, de faire même parfois quelques dons tout pleins de notre sincère compassion.
Et chaque année la fumée des cheminées écrit en grand dans le ciel d’hiver le message d’amour et de paix que chacun adresse à chaque autre.

Mais comme toutes les fumées…

Fernand PelezNid de misère – 1887

I said man is always talking ’bout it’s inhumanity to manBut what is he tryin’ to do to make it a better man?

Pour la grande Roberta Flack, chanteuse et pianiste de jazz, deux fois consécutives lauréate du Grammy Award, en 1973 et 1974.

Pour sa « pertinence sociale », son « intrépidité politique », et sa générosité.

Pour son premier disque « First Take » paru en juin 1969 chez Atlantic Records.

Grammy Hall of Fame Award décerné en 2016 par la très respectée Recording Academy

∼ Classé en 2020 parmi les 500 plus grands albums de tous les temps par le sérieux magazine international Rolling Stones.

∼ Considéré par l’immense majorité des amateurs de Jazz du monde comme l’un des 20 enregistrements indispensables à toute discothèque de qualité.

Et, à l’occasion de ce billet en particulier :
Pour le gospel, « Tryin’ Times » (Temps difficiles), qui tend, avec une rare élégance musicale, à notre légendaire et désespérant égoïsme un terrible et pourtant si beau miroir.

Tryin’times, what the world is talkin’ aboutYou got confusion all over the land, You got mother against daughter, you got father against sonYou know the whole thing is getting out of hand
.
Then maybe folks wouldn’t have to sufferIf there was more love for your brotherBut these are tryin’ times,
.
You got the riots in the ghetto, it’s all aroundA whole lot of things that’s wrong is going down, yes, it isI can’t understand it from my point of view‘Cause I think you should do unto othersAs you’d have them do unto you.
.
Then maybe folks wouldn’t have to sufferIf there was more love for your brotherBut these are tryin’ times, yes, it is.
.
I said man is always talking ’bout it’s inhumanity to manBut what is he tryin’ to do to make it a better man?Oh, just read the paper, turn on your TVYou see folks demonstrating about equality.
.
But maybe folks wouldn’t have to sufferIf there was more love for your brotherBut these are tryin’ times
.
Tryin’times, yeah, that’s what the world is talkin’ aboutYou got confusion all over the land

Les temps difficiles, ce dont le monde parle,
Il y a de la confusion partout dans le pays :
La mère contre la fille, le père contre le fils…
Tout nous échappe, tu sais.
Peut-être que les gens n’auraient pas à souffrir
Si on avait plus d’amour pour son prochain.
Mais les temps sont durs, oui, oui
Il y a des émeutes dans le ghetto, c’est partout.
Tout un tas de mauvaises choses se passent, oui, c’est vrai !
J’ai beaucoup de mal à l’accepter
Parce que je pense qu’il faut faire aux autres
Ce qu’on souhaiterait qu’ils nous fassent.
Alors peut-être que les gens n’auraient pas à souffrir
S’il y avait plus d’amour pour son prochain.
Mais nous vivons une époque difficile, oui, c’est vrai !
J’ai dit que l’homme parle toujours de son inhumanité envers l’homme,
Mais qu’essaie-t-il de faire pour devenir un homme meilleur ?
Oh, il suffit de lire le journal, d’allumer la télévision
Pour voir des gens manifester pour l’égalité.
Mais peut-être que les gens n’auraient pas à souffrir
Si on avait plus d’amour pour son prochain.
Mais nous vivons une époque difficile
Des temps difficiles, oui, tout le monde en parle ;
Il y a de la confusion partout dans le pays.
.