Flâner entre le rêve et le poème… Ouvrir la cage aux arpèges… Se noyer dans un mot… S'évaporer dans les ciels d'un tableau… Prendre plaisir ou parfois en souffrir… Sentir et ressentir… Et puis le dire – S'enivrer de beauté pour se forcer à croire !
Auteur : Lelius
La musique et la poésie : des voies vers les êtres... Un chemin vers soi !
J’ai passé devant tant de portes Dans le couloir des peurs perdues et des rêves séquestrés J’ai entendu derrière les portes des arbres qu’on torturait Et des rivières qu’on essayait de dompter
J’ai passé devant la porte dorée de la connaissance Devant des portes qui brûlaient et qui ne s’ouvraient pas Devant des portes lasses de s’être trop fermées D’autres comme des miroirs où ne passaient que les anges
Mais il est une porte simple, sans verrou, ni loquet Tout au fond du couloir tout à l’opposé du cadran La porte qui conduit hors de toi Personne ne la pousse jamais
Treize ans c’est comme un jour et c’est un feu de paille Qui brûle à nos pieds maille à maille Le magique tapis de notre isolement
– Do cholery! Trzynaście lat! *
*Traduction du polonais : Putain ! Treize ans !
Oh, Madame Szymborska, n’ayez pas honte ! Tout le monde ne parle pas polonais. Et puis, être lauréate du Prix Nobel de Littérature ne vous interdit pas la spontanéité d’une réaction… Et celle-ci ô combien justifiée.
Treize ans en effet qu’est paru sur « Perles d’Orphée » (relayé ensuite par « De Braises et d’Ombre ») le premier billet d’une série de plus de 1800 quand rien alors ne présageait qu’un deuxième article aurait une chance d’exister. Rien ne présageait non plus, et pour cause, que vous viendriez aussi nombreux, amis ou inconnus, fidèles ou de passage, qu’importe, de tous les coins du monde, partager sur ces pages mes émotions esthétiques masquant à peine mes sentiments du moment.
Une treizième fois donc soyez en remerciés.
Treize ans. C’est après treize ans d’amour fusionnel qu’Aragon écrit pour son épouse et muse le « Cantique à Elsa », indissociable du célèbre et inoubliable recueil « Les yeux d’Elsa ». Un magnifique hommage amoureux certes, mais également, en filigrane, un message d’espoir et de résistance adressé au peuple de la France occupée des années 1940.
Notre pays, hélas, retrouve les vieilles odeurs de poudre, puisse-t-il ne jamais oublier la force de l’amour.
Cantique à Elsa
Cantique à Elsa
Je te touche et je vois ton corps et tu respires Ce ne sont plus les jours du vivre séparés C’est toi tu vas tu viens et je suis ton empire Pour le meilleur et pour le pire Et jamais tu ne fus aussi lointaine à mon gré
Ensemble nous trouvons au pays des merveilles Le plaisir sérieux couleur de l’absolu Mais lorsque je reviens à nous que je m’éveille Si je soupire à ton oreille Comme des mots d’adieu tu ne les entends plus.
Elle dort Longuement je l’écoute se taire C’est elle dans mes bras présente et cependant Plus absente d’y être et moi plus solitaire D’être plus près de son mystère Comme un joueur qui lit aux dés le point perdant.
Le jour qui semblera l’arracher à l’absence Me la rend plus touchante et plus belle que lui De l’ombre elle a gardé les parfums et l’essence Elle est comme un songe des sens Le jour qui la ramène est encore une nuit
Buissons quotidiens à quoi nous nous griffâmes La vie aura passé comme un air entêtant Jamais rassasié de ces yeux qui m’affament Mon ciel mon désespoir ma femme Treize ans j’aurais guetté ton silence chantant
Comme le coquillage enregistre la mer Grisant mon cœur treize ans treize hivers treize étés J’aurais tremblé treize ans sur le seuil des chimères Treize ans d’une peur douce-amère Et treize ans conjuré des périls inventés
Ô mon enfant le temps n’est pas à notre taille Que sont mille et une nuit pour des amants Treize ans c’est comme un jour et c’est un feu de paille Qui brûle à nos pieds maille à maille Le magique tapis de notre isolement
« Dis-moi quel est ton infini, je saurai le sens de ton univers, est-ce l’infini de la mer ou du ciel, est-ce l’infini de la terre profonde ou celui du bûcher ? » Dans le règne de l’imagination, l’infini est la région où l’imagination s’affirme comme imagination pure, où elle est libre et seule, vaincue et victorieuse, orgueilleuse et tremblante. Alors les images s’élancent et se perdent, elles s’élèvent et elles s’écrasent dans leur hauteur même. Alors s’impose le réalisme de l’irréalité.
…
On comprend les figures par leur transfiguration.
Gaston Bachelard – L’air et les songes – Essai sur l’imagination du mouvement
« Éva », un poème d’Achille Chavée, figure emblématique du surréalisme belge de la première moitié du XXème siècle, qui révèle le regard passionné et non conventionnel que porte son auteur sur l’image de la femme. Moins un idéal qu’une force tellurique et morale indomptable, capable à la fois de détruire et de créer : la femme, aventure suprême de l’homme.
Éva
Femme ténébreuse errante de la mauvaise vertu errante du bien pour le mal adroite et décidément maladroite parmi les rideaux de rêve et de soie parmi les pains de chaleur de chair et de sang parmi l’homme dépaysé d’être lui-même femme dangereuse légèrement inclinée dans le vent des miracles légèrement vêtue dans le vent du péché légèrement perdue dans l’ouragan de vie femme qui joues femme qui ris femme qui pleures femme qui veux gagner toujours une chance en plus que le cœur trouvé dressée à nous ravir à joindre notre défaillance à ne jamais nous oublier à ne jamais nous délivrer à nous aimer l’éternité de ses mensonges femme dressée à se livrer dans l’ombre d’une science exacte dans la nuit de notre souffrance dans l’oubli de notre mission femme impardonnable et pardonnée voilà que c’est moi le maudit qui se prend à te reconnaître à défendre tes cris de malheur à redramatiser l’aube de ta passion à pardonner le sang que tu révèles à s’attendrir sur ton ventre de vie à t’aimer plus qu’un désert de diamant ô femme qui jamais ne me pardonneras
Pierre Bonnaud (1865-1930), Salomé (1890,) Musée d’Orsay
Simple silhouette fugitive du récit évangélique, éclipsée par Judith dans l’art, Salomé a attendu la fin du XIXème siècle pour se muer en un mythe universel. Dès lors objet de fascination, elle devient dans la littérature, la peinture et la musique, l’icône de la décadence fin-de-siècle, figure emblématique dans laquelle se reflètent tous les fantasmes : vierge hystérique éprise d’absolu, femme fatale vénéneuse à la perversion destructrice, incarnation de l’érotisme obsessionnel et du macabre absolu.
Beauté envoûtante de la représentation artistique du mal, Salomé est devenue l’archétype parfait de la fusion entre la séduction esthétique et l’effondrement moral, une thématique centrale de la fin du XIXème siècle.
Si de toutes les nombreuses expressions artistiques du personnage qui nous ont été jusqu’à présent offertes, il me fallait n’en retenir qu’une seule, mon choix se porterait sans hésitation sur la représentation qu’en a donnée Richard Strauss à travers son opéra éponyme de 1905 inspiré de la pièce de théâtre qu’Oscar Wilde tira de sa lecture des Évangiles de Marc et de Matthieu.
Et, partageant l’enthousiasme du musicologue Alain Duault qui présente ici brièvement et justement l’œuvre, je choisirais d’emporter sur mon île déserte – déjà bien achalandée – la version du metteur en scène Ivo van Hove (2017) enregistrée pour les cinémas U.G.C., dans laquelle la soprano suédoise Malin Byström incarne une Salomé des plus troublantes. Envoûtante !
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Danse des sept voiles
Sous les yeux ébahis de sa mère, Salomé, pour aguicher le désir de son monarque de beau-père, entreprend, sensuelle et provocatrice, sa danse érotique des ‘sept voiles’ sur une musique aphrodisiaque que Richard Strauss a composée à partir d’une savante combinaison de sonorités traditionnelles orientales et de franche modernité européenne.
Elle attend d’Hérode séduit qu’il lui offre sur un plateau d’argent la tête de Jochanaan (le prophète Jean-Baptiste) qui, retenu prisonnier au fond d’une citerne, s’est refusé à elle.
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Jochanaan exécuté
Le roi a tenu sa promesse. Scène ultime de l’opéra, Salomé, conduite au paroxysme de l’hystérie par le triomphe de sa sordide vengeance, baise goulument la bouche du prophète baignant dans son sang encore chaud.*
Frappé d’effroi, Hérode demande sa mort immédiate.
* Juste critique historique, les puristes auraient préféré que seule la tête de Jochanaan fût ici présentée à Salomé.
SALOME
Ah, ich habe deinen Mund geküßt, Jochanaan.
Ich hab' ihn geküßt, deinen Mund.
Es war ein bitterer Geschmack auf deinen Lippen.
Hat es nach Blut geschmeckt?· Nein.
Doch schmeckte es vielleicht nach Liebe.
Sie sagen, das die Liebe bitter schmecke.
Doch was, was tut's, was tut's?
Ich habe deinen Mund geküßt, Jochanaan,
Ich hab' ihn geküßt, deinen Mund.
HEROD (sich umwendend)
Man töte dieses Weib!
...
SALOMÉ
Ah, je l'ai baisée ta bouche, Jochanaan.
Je l'ai baisée, ta bouche.
Il y avait un goût âcre sur tes lèvres.
Était-ce la saveur du sang ?
Mais peut-être était-ce le piment de l’amour.
On dit que l’amour a un goût amer.
Mais qu'importe ? Qu'importe ?
J'ai baisé ta bouche, Jochanaan,
je l'ai baisée, ta bouche.
HÉRODE (se tournant vers les soldats)
Tuez cette femme !
Les professeurs de piano ont coutume d’exhorter leurs élèves à – belle image – « pétrir le son ».
Qui sait si les professeurs de chant de la Musikhochschule für Musik und Tanz de Cologne et ceux de la Manhattan School of Music n’ont pas, eux aussi, engagé leur talentueuse lauréate, la chanteuse Sabeth Pérez, à façonner virtuellement sur une harpe imaginaire glissée entre ses mains les gracieuses harmonies de sa voix et les rythmes jazzy ou latins qui les accompagnent ?
Ni l’œil, ni l’oreille n’auraient idée de s’en plaindre… Et puis, soyons rassurés, son compositeur de père veille depuis la anche de sa clarinette.
« Convertidos en perfume » WDR Big Band Gabriel Pérez (clarinette) Sabeth Pérez (voix)
– À cent ans, l’être humain peut se passer de l’amour et de l’amitié. Les maux et la mort involontaire ne sont plus une menace pour lui. Il pratique un art quelconque, il s’adonne à la philosophie, aux mathématiques ou bien il joue aux échecs en solitaire. Quand il le veut, il se tue. Maître de sa vie, l’homme l’est aussi de sa mort.
– Il s’agit d’une citation ? lui demandai-je.
– Certainement. Il ne nous reste plus que des citations. Le langage est un système de citations.
Personne ne sait encore si tout ne vit que pour mourir ou ne meurt que pour revivre.
Marguerite Yourcenar – Anna, soror… (1981)
Borges a-t-il vraiment écrit ce poème inspiré par ses ultimes moments de vie ? Peut-être ! Ou peut-être pas !
Qu’importe ! Rien n’interdit d’imaginer notre vieux maître, si curieux, si sympathique, le dictant à un des étudiants qui remplissaient régulièrement auprès de lui – et avec délectation – la fonction de « lecteur ».
Tout invite à l’adopter celui qui, au même âge ou presque que l’auteur, trouve modestement à travers ses évocations un miroir où plonger son propre regard introspectif.
Instants
Si je pouvais de nouveau vivre ma vie, dans la prochaine je tâcherais de commettre plus d’erreurs. Je ne chercherais pas à être aussi méticuleux, je me relacherais plus. Je serais plus bête que je ne l’ai été, en fait je prendrais très peu de choses au sérieux. Je mènerais une vie moins hygiénique. Je courrais plus de risques, je voyagerais plus, je contemplerais plus de crépuscules, j’escaladerais plus de montagnes, je nagerais dans plus de rivières. J’irais dans plus de lieux où je ne suis jamais allé, je mangerais plus de crèmes glacées et moins de fèves, j’aurais plus de problèmes réels et moins d’imaginaires.
J’ai été, moi, l’une de ces personnes qui vivent sagement et pleinement chaque minute de leur vie ; bien sûr, j’ai eu des moments de joie. Mais si je pouvais revenir en arrière, j’essaierais de n’avoir que de bons moments.
Au cas où vous ne le sauriez pas, c’est de cela qu’est faite la vie, seulement de moments ; ne laisse pas le présent t’échapper.
J’étais, moi, de ceux qui jamais ne se déplacent sans un thermomètre, un bol d’eau chaude, un parapluie et un parachute ; si je pouvais revivre ma vie, je voyagerais plus léger.
Si je pouvais revivre ma vie je commencerais d’aller pieds nus au début du printemps et pieds nus je continuerais jusqu’au bout de l’automne. Je ferais plus de tours de manège, je contemplerais plus d’aurores, et je jouerais avec plus d’enfants, si j’avais encore une fois la vie devant moi.
Mais voyez-vous, j’ai 85 ans… et je sais que je me meurs.
L’amour, c’est une chanson qu’on chante à deux ; après avoir chanté la chanson, on ne chante plus que le refrain, et quelquefois on le chante tout seul !
Frédéric Mistral
Joaquin Sorolla – ‘Clotilde à la plage’ (1904)
Extraite de la grande richesse du folklore argentin, une incontournable chanson lente et mélodieuse (tonada), typique de la région andine du Cuyo, écrite en 1962 par le guitariste et compositeur Eduardo Falú sur des paroles de Jaime Dávalos.
« Tonada de un viejo amor »
Mariana Flores (soprano) – Quito Gato (piano)
Ya nunca te he de olvidar, que en la arena me escribías, el viento lo fue borrando y estoy más solo mirando el mar. Qué lindo cuando una vez bajo el sol del mediodía se abrió tu boca en el beso como un damasco lleno de miel.
Herida la de tu boca que lastima sin dolor, no tengo miedo al invierno con tu recuerdo lleno de sol.
Quisiera volverte a ver sonreír frente a la espuma, tu pelo suelto en el viento como un torrente de trigo y luz. Yo sé que no vuelve más el verano en que me amabas, que es ancho y negro el olvido y entra el otoño en mi corazón.
Herida la de tu boca…
Chanson d’un amour ancien
Je n’oublierai jamais que tu m’écrivais sur le sable, le vent peu à peu a effacé tes mots me laissant plus seule encore, regardant la mer. C’était si beau quand une fois en un baiser sous le soleil de midi ta bouche s’ouvrit comme un abricot plein de miel.
Morsure de ta bouche qui blesse sans douleur je ne crains pas l’hiver dans le soleil de ton souvenir.
J’aimerais revoir ton sourire face à l’écume, tes cheveux lâchés dans le vent, torrent de blé et de lumière. Je sais que ne reviendra plus le bel été o`u tu m’aimais, que l’oubli est vaste et noir, que l’automne habite mon cœur.
Il y a quelque chose de si ravissant dans le sourire de la mélancolie ! C’est un rayon de lumière dans l’ombre, une nuance entre la douleur et le désespoir, qui laisse entrevoir l’aurore de la consolation.
Léon Tolstoï – Guerre et Paix
Prétendrait-on que Tolstoï n’avait pas lu la poésie de Barbara Auzou ?
Bois de caresse
dis-moi que feront-ils après
de notre bel herbier
qui est bois de caresse
corps de passion et destination lointaine
emmèneront ils les oiseaux plus loin dans leur chant
pour poursuivre ces rêves d’ascension qui veillaient nos âmes
on a mis tant d’années à voir ce qu’on regardait
tant d’années à nommer les vents
ça tremble tellement une vie qui s’apprend
chaque jour dans de petits cris rouges
sans assouvir ses interrogations jamais
belle condition humaine en vérité
entre silos de soleils et mégots de lunes
bouches d’ombre et de feu mêlés
le poids des mots seuls contre le poids du ciel
à quêter ce peu d’éternel où rien ne bouge
en oubliant d’être vivant toujours
en s’essayant trop peu à l’amour
Barbara Auzou
Poème publié sur le blog de l’auteur « Lire dit-elle » le 15/10/2025
L’Égypte, et avec elle le monde entier, se félicite, à l’occasion de sa récente inauguration en grandes pompes, de l’ouverture du G.M.E. (Grand Musée Égyptien) au Caire, au pied des Pyramides de Gizeh, considérable trésor mémoriel de cette antique civilisation. Pendant que – « règne de la quantité » oblige – la presse internationale salue surtout les chiffres : le colossal investissement financier, les milliers de mètres carrés, les nombreuses péripéties de vingt années de travaux, le gouvernement égyptien se frotte les mains en évaluant – « signe des temps » – la manne économique que promet la surfréquentation touristique attendue – motivation tristement essentielle, semble-t-il, de l’immense projet.
Ramsès II jeune (XIIIème av JC) – Percy Bysshe Shelley 1792-1822
Mais un petit esprit chagrin, misanthrope et pessimiste, comme on ne peut manquer de l’être après avoir bien longtemps regardé les hommes, s’est souvenu d’un sonnet de Percy Bysshe Shelley, « Ozymandias », que le poète romantique anglais écrivit en 1817, au moment où le British Museum annonçait avoir acquis un important fragment de la statue de Ramsès II jeune, datée du XIIIème siècle avant notre ère.
Richard Attenborough dit « Ozymandias » *
Ozymandias (Percy Bysshe Shelley)
J’ai rencontré un voyageur de retour d’une terre antique Qui m’a dit : – « Deux jambes de pierre immenses et dépourvues de buste Se dressent dans le désert. Près d’elles, sur le sable, À moitié enfoui, gît un visage brisé dont le sourcil froncé,
La lèvre plissée et le rictus de froide autorité Disent que son sculpteur sut lire les passions Qui survivent encore dans ces objets sans vie À la main qui les imita et au cœur qui les nourrit.
Et sur le piédestal apparaissent ces mots : «Mon nom est Ozymandias, Roi des Rois. Voyez mon œuvre, ô puissants, et désespérez!»
Auprès, rien ne demeure. Autour des ruines De cette colossale épave, infinis et nus, Les sables monotones et solitaires s’étendent au loin. »
*transcription grecque d’une partie de la titulature royale du célèbre pharaon Ramsès II (dont le nom complet était Ousir-Maât-Rê Setepenrê Ramessou Miamun).
. . .
Alors, une fois encore, avec son inébranlable pertinence, a retenti la parole de l’Ecclésiaste :
Vanitas vanitatum et omnia vanitas.
Un regard s’est retourné non sans nostalgie vers la grande perplexité d’un lycéen du temps lointain à qui un certain professeur de philosophie avait alors demandé de commenter cette remarque de Paul Valéry :
Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles.
Et puis, enfin, sage constat soudain sorti d’une réplique de théâtre, un fugitif soupçon de consolation :
The pen is mightier than the sword.*
Richelieu – pièce de théâtre d’Edward Bulwer-Lytton – 1839 (Acte II – Scène 2)
Sentir la vie couler en moi comme un fleuve en son lit…
Une méditation lumineuse sur le bonheur d’être, simplement, dans le silence de la nuit et la douceur du foyer, en phase avec le rythme immuable de l’univers. Une belle proposition d’un des hétéronymes de Fernando Pessoa, Alberto Caeiro, pour nous exhorter à trouver la respiration apaisée d’une vie simple.
Je rentre à la maison, je ferme la fenêtre. On allume la lampe, on me souhaite bonne nuit, et d’une voix contente je réponds bonne nuit. Plût au Ciel que ma vie fût toujours cette chose : le jour ensoleillé, ou suave de pluie, ou bien tempétueux comme si le Monde allait finir, la soirée douce et les groupes qui passent, observés avec intérêt de la fenêtre, le dernier coup d’œil amical jeté sur les arbres en paix, et puis, fermée la fenêtre et la lampe allumée, sans rien lire, sans penser à rien, sans dormir, sentir la vie couler en moi comme un fleuve en son lit, et au-dehors un grand silence ainsi qu’un dieu qui dort.
in ‘Le Gardeur de troupeaux et les autres poèmes d’Alberto Caeiro‘ (Gallimard)
Meto-me para dentro, e fecho a janela. Trazem o candeeiro e dão as boas noites, E a minha voz contente dá as boas noites. Oxalá a minha vida seja sempre isto: O dia cheio de sol, ou suave de chuva, Ou tempestuoso como se acabasse o Mundo, A tarde suave e os ranchos que passam Fitados com interesse da janela, O último olhar amigo dado ao sossego das árvores, E depois, fechada a janela, o candeeiro aceso, Sem ler nada, nem pensar em nada, nem dormir, Sentir a vida correr por mim como um rio por seu leito. E lá fora um grande silêncio como um deus que dorme
Il n’est pas particulièrement nécessaire d’avoir joué au jeu vidéo post-apocalyptique « The Last of Us » (2013), sur la playstation du petit-fils de son voisin, ou d’avoir passé des nuits à regarder la série du même nom sur une chaine de vidéos en ligne, pour apprécier, ô combien, le thème musical principal de l’œuvre.
Surtout si son interprétation est l’occasion d’une fusion d’instruments et de talents, dialogue entre la guitare classique de l’immense virtuose paraguayenne Berta Rojas et le ronroco (instrument à cordes traditionnel des Andes) du compositeur argentin de ladite musique, Gustavo Santaolalla*.
La musique, lieu magique où convergent les rêves partagés.
*Gustavo Santaolalla a écrit de nombreuses musiques mémorables dont beaucoup pour le cinéma telles, par exemple, que les bandes originales de « Le secret de Brokeback Mountain », de Ang Lee, ou de « Babel », d’Alejandro González Iñárritu, pour lesquelles il a reçu par deux fois l’Oscar de la catégorie, en 2006 et 2007.