Derniers rayons d’automne

« Dis-moi quel est ton infini, je saurai le sens de ton univers, est-ce l’infini de la mer ou du ciel, est-ce l’infini de la terre profonde ou celui du bûcher ? » Dans le règne de l’imagination, l’infini est la région où l’imagination s’affirme comme imagination pure, où elle est libre et seule, vaincue et victorieuse, orgueilleuse et tremblante. Alors les images s’élancent et se perdent, elles s’élèvent et elles s’écrasent dans leur hauteur même. Alors s’impose le réalisme de l’irréalité.

On comprend les figures par leur transfiguration.

Musiques à l’ombre – 12 – Humeurs

Bien dommage que l’on ne joue presque jamais l’intégralité des vingt pièces des Visions fugitives opus 22 où on retrouve Prokofiev tour à tour lyrique, sarcastique, bucolique, rêveur, coléreux. Un réel joyau quand on s’offre le bonheur de savourer l’instant de ces pièces qui sont à la musique de Prokofiev ce que sont les Préludes à la musique de Chopin. Des instants fugitifs, des visions dont le compositeur a la géniale intuition de traduire l’essence.  

Bernadette Beyne (Fondatrice et rédactrice en chef de Crescendo magazine)
Dossier Prokofiev – #6 – La musique pour piano –
22/09/2016

Sergueï Prokofiev 1891-1953

Puisque tout est dit et bien dit dans cet article de la regrettée musicologue Bernadette Beyne sur les ‘Visions fugitives’, pourquoi ne pas en poursuivre l’édifiante lecture ?

Comme la plupart des artistes de son temps, il n’a pas échappé au courant symboliste et c’est à Constantin Balmont qu’il doit ces deux vers qui inspirèrent le cycle des Visions :
     “Dans chaque vision fugitive, je vois des mondes
      “Pleins de jeux changeants et irisés”.
Les Visions fugitives racontent, avec simplicité, questionnent, éveillent l’esprit, pirouettent, se parent d’élégance, évoquent une harpe pittoresque, content au coin du feu, se font féroces, attisent la Toccata, signent l’inquiétude, la poésie, un monde irréel ; décrivent aussi, comme l’avant-dernière vision inspirée à Prokofiev par la foule agitée dans les rues de Petrograd en février 1917. La suite des pièces ne suit pas la chronologie de la composition mais la succession d’états d’âme.

♫ ♪ ♬

Le caractère énigmatique de ces vingt miniatures pour piano ne souffre d’aucune indiscrétion qu’aurait commise Prokofiev en les affublant chacune d’un titre. Absence de repères programmatiques qui ajoute à la fragmentation de l’oeuvre un sentiment de spontanéité, rendant encore plus actuelles les humeurs et les atmosphères que chaque petite pièce dépeint.
A l’auditeur, à travers les innombrables nuances de la palette musicale impressionniste de Prokofiev, de percevoir ou d’imaginer. Le charme n’en est que plus grand ! 

Pour donner toute leur juste présence aux états d’âme du compositeur, tantôt tendre et doucereux, tantôt irrité, d’autres fois perdu dans un monde irréel, la maîtrise et la sensibilité du pianiste moscovite Alexander Melnikov.

Sergueï Prokofiev
Visions fugitives Op.22
Alexander Melnikov (piano)

Le silence et la rêverie

C’est dans la rêverie que nous sommes des hommes libres.

Gaston Bachelard (La poétique de la rêverie)

Alors le rêveur est tout fondu en sa rêverie. Sa rêverie est sa vie silencieuse. C’est cette paix silencieuse que veut nous communiquer le poète.

Heureux qui connaît, heureux même qui se souvient de ces veillées silencieuses où le silence même était le signe de la communion des âmes !
Avec quelle tendresse, se souvenant de ces heures, Francis Jammes pouvait écrire :
……… « Je te disais tais-toi quand tu ne disais rien. »

Gaston Bachelard (La poétique de la rêverie – PUF – 1960/68 / p. 52)

§

Stefanie Jones joue un arrangement de « The Sound of Silence »
de Simon & Garfunkel

2017 : Réveille-toi et rêve !

reverie-statue-chryselephantine-lullier
Lullier – Rêverie – Statue chryséléphantine Art-déco

Parce que la rêverie n’est pas le rêve, elle ne se peut concevoir qu’en état d’éveil et de conscience. De ce simple constat je veux déduire qu’en elle réside l’essentiel de notre force créatrice, immense capacité à échapper individuellement aux horreurs du monde, et collectivement à peut-être inverser le sens tristement pressenti de sa trajectoire.

Alors, amis, au-delà des mille pensées positives que je forme pour vous à l’occasion de cette nouvelle année, je souhaite que 2017 soit pour nous tous l’année de la rêverie !

  • Que 2017 ressemble à cette chambre spirituelle dont Baudelaire, un jour, eut la vision :

Une chambre qui ressemble à une rêverie, une chambre véritablement spirituelle, où l’atmosphère stagnante est légèrement teintée de rose et de bleu.
L’âme y prend un bain de paresse, aromatisé par le regret et le désir. — C’est quelque chose de crépusculaire, de bleuâtre et de rosâtre ; un rêve de volupté pendant une éclipse.
Les meubles ont des formes allongées, prostrées, alanguies. Les meubles ont l’air de rêver ; on les dirait doués d’une vie somnambulique, comme le végétal et le minéral. Les étoffes parlent une langue muette, comme les fleurs, comme les ciels, comme les soleils couchants.
Sur les murs nulle abomination artistique. Relativement au rêve pur, à l’impression non analysée, l’art défini, l’art positif est un blasphème. Ici, tout a la suffisante clarté et la délicieuse obscurité de l’harmonie.
Une senteur infinitésimale du choix le plus exquis, à laquelle se mêle une très-légère humidité, nage dans cette atmosphère, où l’esprit sommeillant est bercé par des sensations de serre-chaude.
La mousseline pleut abondamment devant les fenêtres et devant le lit ; elle s’épanche en cascades neigeuses…

Petits poèmes en prose – V –

  • Que 2017 nous garde jusqu’à son terme dans le doux rythme « jazzy » de cette ballade méditative entre arpèges et langueurs :

Quand, réveillés par les harmonies de quelques tendres accords, nous nous serons engagés entre les quatre notes obstinées qui balisent le début de ce chemin de rêverie, nous n’aurons plus qu’à laisser notre âme caresser de son pas de danse subtil l’herbe, le nuage et l’horizon qui dessinent les secrets contours de nos espérances.