Fulgurances – I – O mémoire !

Fulgurances

Une nouvelle rubrique pour accueillir sans filtres, sans préambule ni commentaires, une pépite de l’instant, trouvée sans avoir été cherchée. Littéraire, philosophique, poétique, musicale, ou ce qu’elle sera, peu importe, à partir du moment où elle aura été la source d’une mienne émotion, soudaine et forte… et que j’aurai souhaité tout simplement en faire une page de ce journal ouvert, la partageant dans l’élan brutal, primaire, de sa révélation ou, peut-être, de sa redécouverte.

Fulgurances – I – O mémoire !

Écrire induit une négligence, une atrophie des arts de la mémoire. Or, c’est la mémoire qui est « la Mère des Muses », le don humain qui rend possible tout apprentissage…  Dans une veine plus générale, ce que nous savons par cœur mûrira et se déploiera en nous. Le texte mémorisé interagit avec notre existence temporelle, modifiant nos expériences autant que celles-ci le modifient. Plus les muscles de la mémoire sont puissants, mieux l’intégrité du moi est protégée. Ni le censeur ni la police ne peuvent extirper le poème mémorisé (témoin la survie, de bouche à oreille, des poèmes de Mandelstam, quand aucune version écrite n’était possible). Dans les camps de la mort certains rabbis et talmudistes étaient connus comme des « livres vivants », dont d’autres détenus, en quête de jugement ou de consolation, pouvaient « tourner » les pages de la récapitulation.
La grande littérature épique, les mythes fondateurs commencent à se décomposer avec l’ « avancée » dans l’écriture. Sur tous ces points, la détergence de la mémoire dans l’enseignement actuel est une sombre sottise. La conscience se déleste de son ballast vital.

George Steiner 1929-2020

 

 

« Maîtres et disciples », Éditions Gallimard, 2003

Dixit Borges !

Quand mes étudiants me demandaient une bibliographie je leur disais : peu importe la bibliographie ; Shakespeare, après tout, ignorait la bibliographie shakespearienne. Johnson ne pouvait prévoir les livres qu’on écrirait sur lui. Pourquoi n’étudiez-vous pas directement les textes ? Si ceux-ci vous plaisent, très bien, et s’ils ne vous plaisent pas, laissez-les car l’idée de la lecture obligatoire est une idée absurde : autant parler de bonheur obligatoire.

EL Ateneo Grand Splendid – Buenos Aires : Théâtre reconditionné en une des plus belles librairies du monde.
Ça donne envie, non ? La scène est devenue salon de lecture. Les loges ont été conservées pour permettre aux lecteurs de découvrir confortablement les ouvrages avant achat. Je ne laisse donc pas mon adresse à Buenos Aires, on m’y retrouvera sans peine… il doit bien y avoir un rayon de livres en français !

Je crois que la poésie est quelque chose qu’on sent, et si vous ne sentez pas la poésie, la beauté d’un texte, si un récit ne vous donne pas l’envie de savoir ce qui s’est passé ensuite, c’est que l’auteur n’a pas écrit pour vous. Laissez-le de côté car la littérature est assez riche pour vous offrir un auteur digne de votre attention, ou indigne aujourd’hui de votre attention mais que vous lirez demain.
Voilà ce que j’enseignais, en m’en tenant au fait esthétique, qui n’a pas besoin d’être défini. Le fait esthétique est quelque chose d’aussi évident, d’aussi immédiat, d’aussi indéfinissable que l’amour, que la saveur d’un fruit, que l’eau.

Jorge-Luis Borges (1899-1986)

 

in « Conférences » – « La poésie »