Le choix de Woula

Publié le 18/02/2015 sur Perles d’Orphée « L’oeil : un conte africain »

Un conte est un miroir où chacun peut découvrir sa propre image…

Un conte, c’est le message d’hier transmis à demain à travers aujourd’hui.

Amadou Hampâté Bâ (1900-1991)

C’est le piège de la haine que de nous lier très étroitement à celui qui en est l’objet. Trop étroitement sans doute, comme l’illustre ce conte africain qui n’a pas d’âge… 

Ce matin-là, le pauvre Woula, désespéré par l’impitoyable avarice de son lopin de terre, se résigna à abandonner le misérable séjour qui l’avait vu naître. De tous les paysans des alentours, il était sans aucun doute le plus défavorisé et partant le plus malheureux. Pas même aidé par un geste de solidarité de son voisin le plus proche.
Il prit donc la route, la tête basse, le pas traînant mais résigné, vers les rives du fleuve qui, peut-être, montrerait à son égard un peu de générosité, lui offrant quelques poissons pour apaiser la faim qui le tenaillait depuis plusieurs jours.

Des milliers de pas plus loin, à la lumière émoussée du jour finissant, les cris d’oiseaux de toutes sortes retentissaient plus nombreux et plus sonores et la brise qui balayait le chemin sentait bon le large ; Woula avait compris qu’il atteignait enfin son but. L’aspect labyrinthique que conféraient au paysage les tannes, ces petits îlots de terre sèche et salée posés ici et là au milieu des eaux basses, confirmait sa conviction.

Tout à l’espérance nouvelle qu’alimentaient ses sens, Woula n’avait pas remarqué l’homme immense et filiforme qui s’était approché de lui pendant qu’il contemplait les bords du fleuve. La peau aussi noire que la sienne, drapé dans un boubou à la blancheur immaculée, l’homme, immobile, regardait fixement Woula. Le large sourire d’émail qui fendait son visage faisait écho à la bienveillance qu’exprimaient ses grands yeux brillants, et cette attitude amicale suffit à éviter que la surprise de Woula ne virât à la crainte.

L’homme se présenta :

Mon nom est Mbakhané. Tu ne me connais pas, mais moi je sais qui tu es, et je sais tes malheurs. Rog (Dieu) m’a confié d’immenses pouvoirs. Grâce à eux je peux réaliser ton vœu le plus cher. Et j’y suis disposé.

Oh ! Merci ! Merci Maître ! Je sais ce que je veux… Je le sais, sans hésiter…

Pas d’emballement ami ! Réfléchis tranquillement. Tu as deux jours pour cela. Mais sache bien que je donnerai à ton voisin le double de ce que je te donnerai, quel que soit ton souhait.
Tiens, garde cette petite amulette en bois, elle t’aidera dans tes réflexions, tu me la rendras dans deux jours, ici même, à l’heure où le soleil rougeoie avant de plonger dans la mangrove. Alors tu exprimeras ton souhait et je l’exaucerai. A plus tard !

Depuis le départ de Mbakhané, Woula ne prêtait plus aucune attention à son estomac vide, et encore moins à ces rêves de poissons qui attendaient là, tout près, dans les eaux voisines, qu’un pêcheur affamé les attrapât. Rien ne comptait plus que le vœu qu’il exprimerait bientôt. Il tripotait nerveusement l’amulette, la faisant sans cesse passer d’une main dans l’autre, et il pensait :

Une caisse d’or ! Oui, une caisse d’or. Oh mais mon voisin en aura deux… Non ! Pas question ! Une belle maison !… Et mon voisin qui ne m’a jamais tendu la main en aura deux, grâce à moi, qu’il pourra réunir en un petit palais… Non ! Non ! Jamais !

Aucun des vœux qu’il formulait in petto ne retenait son approbation, trop favorables qu’ils étaient, systématiquement, aux intérêts de son voisin. Quel souhait pourrait-il donc bien exprimer qui ne le désavantagerait pas, lui, Woula, par rapport à ce voisin peu sympathique, et qui l’avantagerait même, plutôt ?

Les deux jours étaient écoulés. Le moment du rendez-vous avec Mbakhané approchait, et toujours aucune décision. Il décida de terminer sa réflexion en marchant. Il se mit donc en chemin, tout en égrenant la longue liste de ses hypothèses.

Masque Sénégal

Quand il arriva au lieu convenu, il trouva son bienfaiteur assis au pied d’un étroit palétuvier. Le temps de partager un salut et celui-ci lui demanda d’abord de lui restituer l’amulette. Puis il enchaîna :

Alors, Woula, as-tu choisi ton vœu ?

Oh oui ! répondit le malheureux enfin déterminé, je veux que tu me crèves un œil !

Et Cendrillon chante…

Les contes de fées c’est comme ça.
Un matin on se réveille.
On dit : « Ce n’était qu’un conte de fées… »
On sourit de soi.
Mais au fond on ne sourit guère.
On sait bien que les contes de fées
c’est la seule vérité de la vie.

Antoine de Saint-Exupéry (« Lettres à l’inconnue » – Gallimard 2008)

Una volta c’era un re,
Che a star solo,
Che a star solo s’annoiò;
Cerca, cerca, ritrovò :
Ma il volean sposare in tre.
Cosa fa?
Sprezzò il fastom e la beltà ,
E all fin scelse per sè
L’innocenza, e la bontà
Là là là là …

Il était une fois un roi
Qui était seul,
Qui s’ennuyait d’être seul.
Il chercha, chercha encore
Et c’est trois femmes qu’il trouva…
Trois femmes qui voulaient toutes l’épouser.
Que faire ?
Il méprisa la pompe et la beauté,
Et finalement, pour lui-même, choisit
L’innocence et la vertu.
La la la…

Wallis Giunta - mezzo soprano 

"Una volta c'era un re" : 
Chanson extraite de l'opéra "La Cenerentola" de Gioachino Rossini

Mon choix le plus doux !

Crois bien qu’il y aura toujours de la solitude sur la terre pour ceux qui en seront dignes.

Villiers de L’Isle-Adam

Disparaître dans la seule contemplation du monde…
Une minute, un jour, le reste d’une vie…
S’abreuver au pampre d’une goutte d’éternité,
Silencieux sombrer sous un linceul sidéral,
Ressusciter dans le présage prodigieux de l’aube.

Éblouissant vertige, naître enfin à soi-même…
………………………………….Seul, pour la première fois !

« Ô solitude, mon choix le plus doux ! »

Ô Solitude
Ô que j’aime la solitude !
Que ces lieux consacrés à la nuit.
Éloignés du monde et du bruit,
Plaisent à mon inquiétude !
Ô que j’aime la solitude !

Que je prends de plaisir à voir
Ces monts pendants en précipices.
Qui, pour les coups du désespoir.
Sont aux malheureux si propices.
Quand la cruauté de leur sort.
Les force à rechercher la mort.

Je l’aime pour l’amour de toi,
Connaissant que ton humeur l’aime ;
Mais quand je pense bien à moi.
Je la hais pour la raison même :
Car elle pourrait me ravir
L’heur de te voir et te servir.

Oh ! que j’aime la solitude !
C’est l’élément des bons esprits,
C’est par elle que j’ai compris
L’art d’Apollon sans nulle étude.

Ô que j’aime la solitude !

L’émotion exclurait-elle un brin d’histoire ?

Katherine Philips – « Orinda »
(1631-1664)

Malgré ses nombreuses amitiés littéraires londoniennes Katherine Philips, alias « Orinda », poétesse très en vogue dans l’Angleterre du jeune Henry Purcell, ne manque pas d’occasions pour éprouver sa solitude, et notamment lors de ses longs séjours au Pays de Galles.

Antoine Girard de Saint-Amant (1594-1661)

Aussi, pratiquant un excellent français, est-elle interpelée par les vers de circonstance de son aîné d’outre-Manche, Antoine Girard de Saint-Amant, et traduit-elle, aussitôt découvert, le poème « La solitude » qu’il écrivait en 1617.

Henry Purcell (1659-1695)

C’est à partir de trois versets de cette traduction de Katherine Philips que l’incontournable compositeur anglais compose vers 1684 ou 85 cette aria que la postérité consacrera, à juste titre, comme une de ses œuvres de référence.

Cette pièce repose sur vingt-huit répétitions régulières d’une basse hypnotique sur laquelle Purcell illustre les visions poétiques d’une âme solitaire à travers une mélodie envoûtante dans laquelle se superposent, multicolores, les variétés harmoniques de la voix qui en évoque les beautés.

Un avant goût d’infini…!  Isn’t it ?

Merci à Jeffrey Stivers, inconditionnel amoureux de la musique baroque, qui publie sur YouTube une superbe collection de montages, plus séduisants les uns que les autres, à la gloire de ces voix fascinantes dont la sensibilité, la virtuosité et le faste constituent un inégalable fleuron de notre musique occidentale.