Flâner entre le rêve et le poème… Ouvrir la cage aux arpèges… Se noyer dans un mot… S'évaporer dans les ciels d'un tableau… Prendre plaisir ou parfois en souffrir… Sentir et ressentir… Et puis le dire – S'enivrer de beauté pour se forcer à croire !
Elle est bien laide. Elle est délicieuse pourtant ! Le Temps et l’Amour l’ont marquée de leurs griffes et lui ont cruellement enseigné ce que chaque minute et chaque baiser emportent de jeunesse et de fraîcheur. Elle est vraiment laide ; elle est fourmi, araignée, si vous voulez, squelette même ; mais aussi elle est breuvage, magistère, sorcellerie ! En somme, elle est exquise. Le Temps n’a pu rompre l’harmonie pétillante de sa démarche ni l’élégance indestructible de son armature. L’Amour n’a pas altéré la suavité de son haleine d’enfant ; et le Temps n’a rien arraché de son abondante crinière d’où s’exhale en fauves parfums toute la vitalité endiablée du Midi français : Nîmes, Aix, Arles, Avignon, Narbonne, Toulouse, villes bénies du soleil, amoureuses et charmantes ! Le Temps et l’Amour l’ont vainement mordue à belles dents ; ils n’ont rien diminué du charme vague, mais éternel, de sa poitrine garçonnière. Usée peut-être, mais non fatiguée, et toujours héroïque, elle fait penser à ces chevaux de grande race que l’œil du véritable amateur reconnaît, même attelés à un carrosse de louage ou à un lourd chariot. Et puis elle est si douce et si fervente ! Elle aime comme on aime en automne ; on dirait que les approches de l’hiver allument dans son cœur un feu nouveau, et la servilité de sa tendresse n’a jamais rien de fatigant.
De tout, il resta trois choses : la certitude que tout était en train de commencer, la certitude qu’il fallait continuer, la certitude que cela serait interrompu avant que d’être terminé. Faire de l’interruption un nouveau chemin, faire de la chute un pas de danse, faire de la peur un escalier, du rêve, un pont, de la recherche… une rencontre.
Fernando Sabino 1923-2004
Brésil
Certeza
De tudo ficaram três coisas… A certeza de que estamos começando… A certeza de que é preciso continuar… A certeza de que podemos ser interrompidos antes de terminar… Façamos da interrupção um caminho novo… Da queda, um passo de dança… Do medo, uma escada… Do sonho, uma ponte… Da procura, um encontro!
N’oublie jamais l’enfant aux racines gorgées des sucs mystérieux des pavots de la nuit, déchiré par la peur de quitter son domaine, n’oublie jamais l’enfant, visage de ma peine.
Car il est tant de voix sous la soie de ma gorge, tant d’oiseaux, de vautours, de pies et de mésanges que je ne sais jamais si le champ que je forge m’est dicté par le fer, le feu ou le silence.
Pourtant mes fleurs voraces font patte de velours aux inconnus qui passent, des larmes dans les yeux. Pouvais-je me donner alors à un amour qui n’aurait frissonné que sous mes mains humaines ?
Ma petite clé d’or, mon pain, ma glace bleue, col de cygne, tête vide, épuisant Sahara, je veux faire de toi une étonnante vigne où je pourrais cueillir ton âme grain à grain.
Amour, entends pleurer sur toi les fruits mortels d’un désarroi plus grand encore d’être sans cause. Je n’ai plus rien à dire. Mes plaies crient sous le sel. Les questions sont pour l’homme, les ciseaux pour les roses.
Celui qui vit de souvenirs Traîne une mort interminable Il s’écoute dans les échos Qui n’ont que le son de sa voix Il se cherche sur des images Qui furent tracées sur le sable Et les miroirs où il se voit Sont laiteux comme un œil de mort À quoi bon hier et demain Demain le paradis des prêtres Demain venu de deux mille ans Pour étrangler l’amour du jour
L’âge d’or est dans la minute Dans ta vie le soleil qui chante Jamais le sang ne coulera Aussi vivace dans ton corps Il y a le bruit du moment L’inimitable odeur fugace Du temps qui passe La chaleur qui se refroidit Le présent à aimer autant qu’à défendre L’unique aujourd’hui La fureur de vivre une vie confondue Avec le pain de chaque instant
Aimer, aimer l’autre, ne présuppose-t-il pas de s’aimer soi-même ? Condition, sinon suffisante, du moins nécessaire pour donner à la relation exprimée par ce verbe sa plus juste signification.
Gaetano Morelli (1805-1858) La Mariée du Cantique des Cantiques
La Torche
Je vous aime, mon corps, qui fûtes son désir, Son champ de jouissance et son jardin d’extase Où se retrouve encor le goût de son plaisir Comme un rare parfum dans un précieux vase.
Je vous aime, mes yeux, qui restiez éblouis Dans l’émerveillement qu’il traînait à sa suite Et qui gardez au fond de vous, comme en deux puits, Le reflet persistant de sa beauté détruite.
Je vous aime, mes bras, qui mettiez à son cou Le souple enlacement des languides tendresses. Je vous aime, mes doigts experts, qui saviez où Prodiguer mieux le lent frôlement des caresses.
Je vous aime, mon front, où bouillonne sans fin Ma pensée à la sienne à jamais enchaînée. Et pour avoir saigné sous sa morsure, enfin, Je vous aime surtout, ô ma bouche fanée.
Je vous aime, mon cœur, qui scandiez à grands coups Le rythme exaspéré des amoureuses fièvres, Et mes pieds nus noués aux siens et mes genoux Rivés à ses genoux et ma peau sous ses lèvres…
Je vous aime, ma chair, qui faisiez à sa chair Un tabernacle ardent de volupté parfaite Et qui preniez de lui le meilleur, le plus cher, Toujours rassasiée et jamais satisfaite.
Et je t’aime, ô mon âme avide, toi qui pars – Nouvelle Isis – tentant la recherche éperdue Des atomes dissous, des effluves épars De son être où toi-même as soif d’être perdue.
Je suis le temple vide où tout culte a cessé Sur l’inutile autel déserté par l’idole ; Je suis le feu qui danse à l’âtre délaissé, Le brasier qui n’échauffe rien, la torche folle…
Et ce besoin d’aimer qui n’a plus son emploi Dans la mort à présent retombe sur moi-même. Et puisque, ô mon amour, vous êtes tout en moi Résorbé, c’est bien vous que j’aime si je m’aime.
Toi ma dormeuse mon ombreuse ma rêveuse ma gisante aux pieds nus sur le sable mouillé toi ma songeuse mon heureuse ma nageuse ma lointaine aux yeux clos mon sommeillant œillet
distraite comme nuage et fraîche comme pluie trompeuse comme l’eau légère comme vent toi ma berceuse mon souci mon jour ma nuit toi que j’attends toi qui te perds et me surprends
la vague en chuchotant glisse dans ton sommeil te flaire et vient lécher tes jambes étonnées ton corps abandonné respire le soleil couleur de tes cheveux ruisselants et dénoués
mon oublieuse ma paresseuse ma dormeuse toi qui me trompes avec le vent avec la mer avec le sable le matin ma capricieuse ma brûlante aux bras frais mon étoile légère
je t’attends je t’attends je guette ton retour et le premier regard où je vois émerger Eurydice aux pieds nus à la clarté du jour dans cet enfant qui dort sur la plage allongée.
Il est partout ! Sur tous les continents, dans tous les pays, et trouve sa place dans toutes les cultures. Qui croira que la seule énergie fragile de ses ailes lui permette, le temps d’une vie des plus fugaces, d’accomplir ses merveilleux voyages ?
Le papillon, insecte pourtant si avare de sons, sait de toute éternité que le plus sûr véhicule pour traverser le monde et butiner les cœurs c’est la musique – qu’elle s’accouple ou pas avec les vers du poète.
Papilio Dardanus
New York
Le voici à New York – il se fait appeler « Butterfly » – tournoyant autour du piano de Jon Batiste sur la scène du mythique ‘Ed Sullivan Theater‘ à Brodway.
"Butterfly"
Butterfly all alone But can you fly on your own? Take your place in the world today Butterfly flying home
Cherry plum and chewing gum Mini-skirts and cars that hum Driving 'round with your head held high Butterfly flying home
Stay a while here with me Up underneath the stars When you go you'll be free 'Cause you know who you are you're a butterfly, baby
Color scheme from a dream A tapestry that's so supreme I mean I've never seen Something so dang beautiful oh child As a butterfly flying home
Flying home
Ooh whoa whoa Whoa whoa whoa ooh
You see I'm howling at the moon Day and night (Ah whoa ooh) They say I'm as crazy as a loon But I'm alright All dressed in white
Butterfly in the air You can fly anywhere A sight beyond compare A sacred song And a sacred tone Butterfly flying home
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Papillon tout seul Mais peux-tu voler de tes propres ailes ? Prends ta place dans le monde aujourd'hui Papillon rentrant à la maison
Cerise prune et chewing-gum Mini-jupes et voitures qui ronronnent, vois-tu, tu es En train de conduire, la tête haute, Papillon rentrant à la maison
Reste un moment ici avec moi Sous les étoiles Quand tu partiras tu seras libre Car tu sais qui tu es Tu es un papillon
Palette de couleurs d'un rêve Une tapisserie si suprême Je veux dire que je n'ai jamais vu Quelque chose d'aussi beau, oh, enfant, Qu'un papillon rentrant à la maison
Tu vois, je hurle à la lune Jour et nuit Ils disent que je suis aussi fou qu'un oiseau Mais je vais bien Tout habillé de blanc
Papillon dans les airs Tu peux voler n'importe où Une vue incomparable Une chanson sacrée Une langue sacrée Papillon rentrant à la maison
Cuba
Un clin d’œil et le voici à Cuba, posé sur la corde de Mi de la guitare de Pablo Milanés qui a justement mis en musique les vers du poète national Nicolás Guillén. Notre papillon ici se fait appeler « Mariposa ».
Mariposa
Quisiera hacer un verso que tuviera ritmo de Primavera; que fuera como una fina mariposa rara, como una mariposa que volara sobre tu vida, y cándida y ligera revolara sobre tu cuerpo cálido de cálida palmera y al fin su vuelo absurdo reposara –tal como en una roca azul de la pradera– sobre la linda rosa de tu cara…
Quisiera hacer un verso que tuviera toda la fragancia de la Primavera y que cual una mariposa rara revolara sobre tu vida, sobre tu cuerpo, sobre tu cara.
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Je voudrais écrire un poème qui aurait le rythme du printemps; qui serait comme un papillon rare et délicat, comme un papillon qui volerait au-dessus de ta vie, et candide et léger, volèterait au-dessus de ton corps chaud comme une palme chaude, et enfin, son vol inconséquent se poserait – comme sur un rocher bleu dans la prairie – sur la jolie rose de ton visage…
Je voudrais écrire un poème qui aurait tout le parfum du printemps et qui, tel un papillon rare, volerait au-dessus de ta vie, au-dessus de ton corps, au-dessus de ton visage.
Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a L’inflexion des voix chères qui se sont tues.
Verlaine
Loleh Bellon et Serge Reggiani dialoguent. Ils parlent d’amour… avec les mots des poètes :
On voit mourir toute chose animée, Lors que du corps l’âme subtile part. Je suis le corps, toi la meilleure part : Où es-tu donc, ô âme bien-aimée ?
Louise Labé 1524-1566
O mon amour Nous avons les yeux bleus des prisonniers Mais notre corps est adoré par les songes Allongés nous sommes deux ciels dans l’eau Et la parole est notre seule absence
Georges Shéhadé 1905-1989
Tant de fois s’appointer, tant de fois se fascher, Tant de fois rompre ensemble et puis se renoüer, Tantost blasmer Amour et tantost le loüer, Tant de fois se fuyr, tant de fois se chercher,
Pierre de Ronsard 1524-1585
Il n’y a pas d’amour qui ne soit notre amour La trace de tes pas m’explique le chemin C’est toi non le soleil qui fais pour moi le jour.
Louis Aragon 1897-1982
Même quand nous dormons nous veillons l’un sur l’autre Et cet amour plus lourd que le fruit mûr d’un lac Sans rire et sans pleurer dure depuis toujours Un jour après un jour une nuit après nous.
Au bout de l’amour il y a l’amour Au bout du désir il n’y a rien. L’amour n’a ni commencement ni fin. Il ne nait pas, il ressuscite. Il ne rencontre pas, il reconnaît. Il se réveille comme après un songe Dont la mémoire aurait perdu les clefs. Il se réveille les yeux clairs Et prêt à vivre sa journée. Mais le désir insomniaque meurt à l’aube Après avoir lutté toute la nuit.
Parfois l’amour et le désir dorment ensemble Et ces nuits-là on voit la lune et le soleil.
J’aime que vous ne soyez pas fou de moi, j’aime ne pas être folle de vous…
La reconnaissance du non-amour comme une forme d’amour à part entière, l’expression peut-être la plus subtile du véritable amour. Qui, dépouillé des fureurs passionnées et des velléités de possession, confère à la liberté émotionnelle sa valeur la plus noble, humainement la plus juste.
Marina Tsvetaïeva
1892 – 1941
Fallait-il la sensibilité exacerbée de Marina Tsvetaïeva pour s’affranchir des conventions avec autant de charme et d’élégance ? Cette ode à la distance affective, Marina l’écrit en 1914. Elle a 22 ans. Entre elle et le mari de sa sœur Assia se développe une évidente attirance mutuelle qu’elle exorcisera en dédiant à cet homme ce poème balancé entre désir, respect et affection.
Ça me plaît que vous n’ayez pas le mal de moi, Et ça me plaît que je n’aie pas le mal de vous, Que la lourde boule terrestre n’aille pas S’enfuir sous nos pieds tout à coup. Ça me plaît de pouvoir être amusante — Dévergondée — sans jeux de mots ni leurre, Et de ne pas rougir sous la vague étouffante Quand nos manches soudainement s’effleurent.
Ça me plaît aussi que vous enlaciez Calmement devant moi une autre femme, Et que, pour l’absence de mes baisers, Vous ne me vouiez pas à l’enfer et aux flammes ; Que jamais sur vos lèvres, mon très doux, Jour et nuit mon doux nom — en vain — ne retentisse… Que jamais l’on n’aille entonner pour nous : Alléluia ! dans le silence d’une église.
Merci, de tout mon cœur et de ma main, Pour m’aimer tellement — sans le savoir vous-même ! —, Pour mon repos nocturne et pour, de loin en loin, Nos rencontres qu’un crépuscule enchaîne, Pour nos non-promenades sous la lune parfois, Pour le soleil qui luit — pas au-dessus de nous. Merci de n’avoir pas — hélas — le mal de moi, Merci de n’avoir pas — hélas — le mal de vous.
3 mai 1915
In Marina Tsvetaïeva – Insomnie et autres poèmes – Poésies/Gallimard (2010)
∑
Ce poème a été mis en musique par le compositeur russe d’origine arménienne, Mikaël Tariverdiev (1936-1996). La romance est devenue très populaire en Russie.
Galina Besedina et Sergueï Taranenko
la chantent sur des images du film « Miroirs » (2013) de Marina Migunova
Toi et moi avons tant d’amour qu’il brûle comme un feu ardent. Dans ce feu cuisons une motte d’argile ton visage moulé mon visage moulé. Puis brisons nos deux faces de terre et dans l’eau fusionnons les débris. Reformons nos visages de glaise : Une part de moi dans ton argile Dans mon argile une part de toi.
Vivants nous partageons la même couche Morts nous partagerons le même cercueil.
Kuan Tao-Sheng (Poétesse et peintre chinoise du XIIIème siècle)
Traduction libre de la traduction anglaise de Kenneth Rexroth and Ling Chung
Initialement publié le 2/06/2015 sur « Perles d’Orphée » – Allez bien doucement messieurs les fossoyeurs –
Henri Lerambert(1550-1609) – Les Funérailles de l’Amour (Louvre)
Pour dire aux funérailles des poètes
Allez bien doucement messieurs les fossoyeurs.
Allez bien doucement, car le cercueil n’est pas comme les autres où se trouve un bloc d’argile enlinceulé de langes, celui-ci recèle entre ses planches un trésor que recouvrent deux ailes très blanches comme il s’en ouvre aux épaules fragiles des anges.
Allez bien doucement messieurs les fossoyeurs.
Allez bien doucement, car ce coffre, il est plein d’une harmonie faite de choses variées à l’infini : cigales, parfums, guirlandes, abeilles, nids, raisins, cœurs, épis, fruits, épines, griffes, serres, bêlements, chimères, sphinx, dés, miroirs, coupes, bagues, amphores, trilles, thyrse, arpèges, marotte, paon, carillon, diadème, gouvernail, houlette, joug, besace, férule, glaive, chaînes, flèches, croix, colliers, serpents, deuil, éclairs, boucliers, buccin, trophées, urne, sourires, larmes, rayons, baisers, or, tout cela sous un geste trop prompt pourrait s’évanouir ou se briser.
Allez bien doucement messieurs les fossoyeurs.
Allez bien doucement, car si petit qu’il soit de la taille d’un homme, ce meuble de silence renferme une foule sans nombre et rassemble en son centre plus de personnages et d’images qu’un cirque, un temple, un palais, un forum ; ne bousculez pas ces symboles divers pour ne pas déranger la paix d’un univers.
Allez bien doucement messieurs les fossoyeurs.
Allez bien doucement, car cet apôtre de lumière, il fut le chevalier de la beauté qu’il servit galamment à travers le sarcasme des uns et le crachat des autres, et vous feriez dans le mystère sangloter la première des femmes si vous couchiez trop durement son amant dans la terre.
Allez bien doucement messieurs les fossoyeurs.
Allez bien doucement, car s’il eut toutes nos vertus, mes frères, il eut aussi tous nos péchés ; allez bien doucement car vous portez en lui toute l’humanité.
Allez bien doucement messieurs les fossoyeurs.
Allez bien doucement, car il était un dieu peut-être, ce poète, un dieu qu’on a frôlé sans deviner son sceptre, un dieu qui nous offrait la perle et l’hysope du ciel alors qu’on lui jetait le fiel et les écailles de sa table, un dieu dont le départ nous plongera sans doute en la ténèbre redoutable ; et c’est pourquoi vont-ils, vos outils de sommeil, produire tout à l’heure un coucher de soleil.
Allez bien doucement messieurs les fossoyeurs.
Mais non. Ce que vous faites là n’est qu’un pur simulacre, n’est-ce pas ? C’est un monceau de roses que l’on a suivi sous l’hypothèse d’un cadavre et que dans cette fosse vous allez descendre, ô trésoriers de cendres, et ces obsèques ne seraient alors qu’une ample apothéose et nous nous trouverions en face d’un miracle. Oh ! dites, ce héros n’a pas cessé de vivre, fossoyeurs, ce héros n’est point mort puisque son âme encore vibre dans ses livres et qu’elle enchantera longtemps le cœur du monde, en dépit des siècles et des tombes !
Allez bien doucement messieurs les fossoyeurs.
Humble, il voulut se soumettre à la règle commune des êtres, rendre le dernier soupir et mourir comme nous, pour ensuite, orgueilleux de ce que l’homme avait le front d’un dieu, ressusciter devant les multitudes à genoux. En vérité, je vous le dis, il va céans renaître notre Maître d’entre ces morts que gardent le cyprès avec le sycomore, et sachez qu’en sortant de cet enclos du Temps, nous allons aujourd’hui le retrouver debout dans toutes les mémoires, comme demain, sur les socles épars érigés par la gloire, on le retrouvera sculpté dans la piété robuste des humains.
Allez bien doucement messieurs les fossoyeurs.
in Publications de l’Amitié par le livre – 1943
Florilèges Saint-Pol-Roux
SAINT-POL-ROUX (15 janvier 1861 – 18 octobre 1940)
Ouvrir un livre de poésie, c’est vouloir s’éclairer avec une bougie en pleine déflagration de la bombe à hydrogène. Parier pour la bougie en ce cas, est tout à fait insensé, et cependant, c’est peut être dans ce genre de pari que réside notre avenir.