Parlez-moi d’amour – 9 – Discret

Mais vieillir… ! – 30 – Hommage

Hope Gangloff

Fulgurances – LI – Certitude

Parlez-moi d’amour – 8 – Amour refusé

N’oublie jamais l’enfant aux racines gorgées des sucs
mystérieux des pavots de la nuit, déchiré par la peur
de quitter son domaine, n’oublie jamais l’enfant,
visage de ma peine.

Car il est tant de voix sous la soie de ma gorge,
tant d’oiseaux, de vautours, de pies et de mésanges
que je ne sais jamais si le champ que je forge
m’est dicté par le fer, le feu ou le silence.

Pourtant mes fleurs voraces font patte de velours
aux inconnus qui passent, des larmes dans les yeux.
Pouvais-je me donner alors à un amour
qui n’aurait frissonné que sous mes mains humaines ?

Ma petite clé d’or, mon pain, ma glace bleue,
col de cygne, tête vide, épuisant Sahara,
je veux faire de toi une étonnante vigne où je pourrais cueillir
ton âme grain à grain.

Amour, entends pleurer sur toi les fruits mortels d’un désarroi
plus grand encore d’être sans cause.
Je n’ai plus rien à dire.
Mes plaies crient sous le sel.
Les questions sont pour l’homme,
les ciseaux pour les roses.

. / .

Fulgurances – L – Présent

Henri Matisse – Le Bonheur de Vivre (1906)

Celui qui vit de souvenirs
Traîne une mort interminable
Il s’écoute dans les échos
Qui n’ont que le son de sa voix
Il se cherche sur des images
Qui furent tracées sur le sable
Et les miroirs où il se voit
Sont laiteux comme un œil de mort
À quoi bon hier et demain
Demain le paradis des prêtres
Demain venu de deux mille ans
Pour étrangler l’amour du jour

L’âge d’or est dans la minute
Dans ta vie le soleil qui chante
Jamais le sang ne coulera
Aussi vivace dans ton corps
Il y a le bruit du moment
L’inimitable odeur fugace
Du temps qui passe
La chaleur qui se refroidit
Le présent à aimer autant qu’à défendre
L’unique aujourd’hui
La fureur de vivre une vie confondue
Avec le pain de chaque instant

Pierre Seghers 1906-1987

 

 

in Le Livre d’Or de la Poésie Française 

Parlez-moi d’amour – 7 – Torche

Aimer, aimer l’autre, ne présuppose-t-il pas de s’aimer soi-même ? Condition, sinon suffisante, du moins nécessaire pour donner à la relation exprimée par ce verbe sa plus juste signification.

Gaetano Morelli (1805-1858)
La Mariée du Cantique des Cantiques

La Torche 

Je vous aime, mon corps, qui fûtes son désir,
Son champ de jouissance et son jardin d’extase
Où se retrouve encor le goût de son plaisir
Comme un rare parfum dans un précieux vase.

Je vous aime, mes yeux, qui restiez éblouis
Dans l’émerveillement qu’il traînait à sa suite
Et qui gardez au fond de vous, comme en deux puits,
Le reflet persistant de sa beauté détruite.

Je vous aime, mes bras, qui mettiez à son cou
Le souple enlacement des languides tendresses.
Je vous aime, mes doigts experts, qui saviez où
Prodiguer mieux le lent frôlement des caresses.

Je vous aime, mon front, où bouillonne sans fin
Ma pensée à la sienne à jamais enchaînée.
Et pour avoir saigné sous sa morsure, enfin,
Je vous aime surtout, ô ma bouche fanée.

Je vous aime, mon cœur, qui scandiez à grands coups
Le rythme exaspéré des amoureuses fièvres,
Et mes pieds nus noués aux siens et mes genoux
Rivés à ses genoux et ma peau sous ses lèvres…

Je vous aime, ma chair, qui faisiez à sa chair
Un tabernacle ardent de volupté parfaite
Et qui preniez de lui le meilleur, le plus cher,
Toujours rassasiée et jamais satisfaite.

Et je t’aime, ô mon âme avide, toi qui pars
– Nouvelle Isis – tentant la recherche éperdue
Des atomes dissous, des effluves épars
De son être où toi-même as soif d’être perdue.

Je suis le temple vide où tout culte a cessé
Sur l’inutile autel déserté par l’idole ;
Je suis le feu qui danse à l’âtre délaissé,
Le brasier qui n’échauffe rien, la torche folle…

Et ce besoin d’aimer qui n’a plus son emploi 
Dans la mort à présent retombe sur moi-même.
Et puisque, ô mon amour, vous êtes tout en moi
Résorbé, c’est bien vous que j’aime si je m’aime.

Pour Axel de Missie, 1923

Parlez-moi d’amour – 6 – Dormante

William Edward Frost [British Painter] 1810-1877

L’herbe écoute (8) – Papillons / III

Il est partout ! Sur tous les continents, dans tous les pays, et trouve sa place dans toutes les cultures. Qui croira que la seule énergie fragile de ses ailes lui permette, le temps d’une vie des plus fugaces, d’accomplir ses merveilleux voyages ?

Le papillon, insecte pourtant si avare de sons, sait de toute éternité que le plus sûr véhicule pour traverser le monde et butiner les cœurs c’est la musique – qu’elle s’accouple ou pas avec les vers du poète.

Papilio Dardanus

Le voici à New York – il se fait appeler « Butterfly » – tournoyant autour du piano de Jon Batiste sur la scène du mythique ‘Ed Sullivan Theater‘ à Brodway.

Un clin d’œil et le voici à Cuba, posé sur la corde de Mi de la guitare de Pablo Milanés qui a justement mis en musique les vers du poète national Nicolás Guillén. Notre papillon ici se fait appeler « Mariposa ».

Parlez-moi d’amour – 5 – Dialogues

Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L’inflexion des voix chères qui se sont tues.

Loleh Bellon et Serge Reggiani dialoguent. Ils parlent d’amour… avec les mots des poètes :

Parlez-moi d’amour – 4 – L’Aloès

L’Aloès

Au bout de l’amour il y a l’amour
Au bout du désir il n’y a rien.
L’amour n’a ni commencement ni fin.
Il ne nait pas, il ressuscite.
Il ne rencontre pas, il reconnaît.
Il se réveille comme après un songe
Dont la mémoire aurait perdu les clefs.
Il se réveille les yeux clairs
Et prêt à vivre sa journée.
Mais le désir insomniaque meurt à l’aube
Après avoir lutté toute la nuit.

Parfois l’amour et le désir dorment ensemble
Et ces nuits-là on voit la lune et le soleil.

in L’Aloès – Luneau Ascot Éditeurs – 1983

Parlez-moi d’amour – 3 – Liberté

J’aime que vous ne soyez pas fou de moi,
j’aime ne pas être folle de vous…

La reconnaissance du non-amour comme une forme d’amour à part entière, l’expression peut-être la plus subtile du véritable amour. Qui, dépouillé des fureurs passionnées et des velléités de possession, confère à la liberté émotionnelle sa valeur la plus noble, humainement la plus juste. 

Fallait-il la sensibilité exacerbée de Marina Tsvetaïeva pour s’affranchir des conventions avec autant de charme et d’élégance ? Cette ode à la distance affective, Marina l’écrit en 1914. Elle a 22 ans. Entre elle et le mari de sa sœur Assia se développe une évidente attirance mutuelle qu’elle exorcisera en dédiant à cet homme ce poème balancé entre désir, respect et affection.

Ce poème a été mis en musique par le compositeur russe d’origine arménienne, Mikaël Tariverdiev (1936-1996). La romance est devenue très populaire en Russie.

Parlez-moi d’amour – 2 – Argile

Emmanuel Sellier - Mémoire fossile - terre cuite patinée
Emmanuel SellierMémoire fossile – terre cuite patinée
(site du sculpteur)

Parlez-moi d’amour – 1 – Jeanne

Edouard Cibot – Les amours des anges au moment du déluge – 1834

Naïve jeunesse entend parler d’amour

     Force de l’âge laisse parler l’amour

          Puis vient le temps, entre deux souvenirs, de parler de l’amour…

– Jeanne, veux-tu… ?*

Aux funérailles des poètes

Initialement publié le 2/06/2015 sur « Perles d’Orphée »
Allez bien doucement messieurs les fossoyeurs –

Henri Lerambert (1550-1609) - Les Funérailles de l'Amour (Louvre)
Henri Lerambert (1550-1609) – Les Funérailles de l’Amour (Louvre)

Pour dire aux funérailles des poètes

Allez bien doucement messieurs les fossoyeurs.

Allez bien doucement, car le cercueil n’est pas comme les autres où se trouve un bloc d’argile enlinceulé de langes, celui-ci recèle entre ses planches un trésor que recouvrent deux ailes très blanches comme il s’en ouvre aux épaules fragiles des anges.

Allez bien doucement messieurs les fossoyeurs.

Allez bien doucement, car ce coffre, il est plein d’une harmonie faite de choses variées à l’infini : cigales, parfums, guirlandes, abeilles, nids, raisins, cœurs, épis, fruits, épines, griffes, serres, bêlements, chimères, sphinx, dés, miroirs, coupes, bagues, amphores, trilles, thyrse, arpèges, marotte, paon, carillon, diadème, gouvernail, houlette, joug, besace, férule, glaive, chaînes, flèches, croix, colliers, serpents, deuil, éclairs, boucliers, buccin, trophées, urne, sourires, larmes, rayons, baisers, or, tout cela sous un geste trop prompt pourrait s’évanouir ou se briser.

Allez bien doucement messieurs les fossoyeurs.

Allez bien doucement, car si petit qu’il soit de la taille d’un homme, ce meuble de silence renferme une foule sans nombre et rassemble en son centre plus de personnages et d’images qu’un cirque, un temple, un palais, un forum ; ne bousculez pas ces symboles divers pour ne pas déranger la paix d’un univers.

Allez bien doucement messieurs les fossoyeurs.

Allez bien doucement, car cet apôtre de lumière, il fut le chevalier de la beauté qu’il servit galamment à travers le sarcasme des uns et le crachat des autres, et vous feriez dans le mystère sangloter la première des femmes si vous couchiez trop durement son amant dans la terre.

Allez bien doucement messieurs les fossoyeurs.

Allez bien doucement, car s’il eut toutes nos vertus, mes frères, il eut aussi tous nos péchés ; allez bien doucement car vous portez en lui toute l’humanité.

Allez bien doucement messieurs les fossoyeurs.

Allez bien doucement, car il était un dieu peut-être, ce poète, un dieu qu’on a frôlé sans deviner son sceptre, un dieu qui nous offrait la perle et l’hysope du ciel alors qu’on lui jetait le fiel et les écailles de sa table, un dieu dont le départ nous plongera sans doute en la ténèbre redoutable ; et c’est pourquoi vont-ils, vos outils de sommeil, produire tout à l’heure un coucher de soleil.

Allez bien doucement messieurs les fossoyeurs.

Mais non. Ce que vous faites là n’est qu’un pur simulacre, n’est-ce pas ? C’est un monceau de roses que l’on a suivi sous l’hypothèse d’un cadavre et que dans cette fosse vous allez descendre, ô trésoriers de cendres, et ces obsèques ne seraient alors qu’une ample apothéose et nous nous trouverions en face d’un miracle. Oh ! dites, ce héros n’a pas cessé de vivre, fossoyeurs, ce héros n’est point mort puisque son âme encore vibre dans ses livres et qu’elle enchantera longtemps le cœur du monde, en dépit des siècles et des tombes !

Allez bien doucement messieurs les fossoyeurs.

Humble, il voulut se soumettre à la règle commune des êtres, rendre le dernier soupir et mourir comme nous, pour ensuite, orgueilleux de ce que l’homme avait le front d’un dieu, ressusciter devant les multitudes à genoux. En vérité, je vous le dis, il va céans renaître notre Maître d’entre ces morts que gardent le cyprès avec le sycomore, et sachez qu’en sortant de cet enclos du Temps, nous allons aujourd’hui le retrouver debout dans toutes les mémoires, comme demain, sur les socles épars érigés par la gloire, on le retrouvera sculpté dans la piété robuste des humains.

Allez bien doucement messieurs les fossoyeurs.

Fulgurances – XLIX – Gageure

Philippe Jaccottet 1925-2021

Ouvrir un livre de poésie, c’est vouloir s’éclairer avec une bougie en pleine déflagration de la bombe à hydrogène. Parier pour la bougie en ce cas, est tout à fait insensé, et cependant, c’est peut être dans ce genre de pari que réside notre avenir.