La plainte aussi est un chant…

Billet précédemment publié sur « Perles d’Orphée » le 27/01/2014 sous le titre
« Le rossignol muet » 

Les oiseaux libres ne souffrent pas qu’on les regarde. Demeurons obscurs, renonçons à nous, près d’eux.

René Char

Parce qu’il ne s’agit pas de l’Empereur de Chine, parce que ce n’est pas le même rossignol, ce modeste conte ne se propose en aucune façon de rivaliser avec celui qu’écrivit Andersen pour nous donner jadis le goût des rêves et des livres.

Il y a fort longtemps, dans un pays que les hommes ne connaissent plus, un roi acheta un rossignol. La voix exceptionnelle de l’oiseau devait égayer ses journées et séduire son entourage. Il installa son nouvel hôte dans une cage luxueuse et le comblait de ses nourritures favorites. Et chaque jour le roi, charmé par le chant de l’oiseau, trouvait plus beau le concert. Et chaque jour les ministres étalaient de nouveaux éloges pour flatter le bon goût du monarque et la qualité de son choix.

Tous les matins, la cage était posée une heure durant sur le rebord d’une fenêtre pour offrir à l’oiseau la fraîcheur vivifiante de l’aurore et la clarté des premières lueurs du jour. Un matin, que rien ne différenciait des autres, un autre oiseau vint se poser au plus près de la cage et murmura quelques mots au chanteur captif avant de reprendre son essor. Depuis cet instant, précisément,  le rossignol se tut. Installé dans son silence, aucune des simagrées ou des suppliques du roi ne sut le convaincre de chanter à nouveau.

Désespéré, ne sachant plus que faire, le roi décida de demander l’aide du vieil ermite des montagnes dont on disait qu’il savait le langage des oiseaux. Il fit venir l’homme, lui expliqua son malheur, et le pria de questionner le rossignol sur les raisons de son mutisme.

L’oiseau dit à l’ermite :

Autrefois, au temps où je faisais de chaque branche mon palais, ignorant des chasseurs et des cages, je ne me suis pas méfié du piège que l’on me tendait, et n’écoutant que mon insatiable appétit je me précipitai d’un coup d’aile avide dans le panier du preneur d’oiseaux.
Très vite il me vendit à cet homme qui m’enferma dans cette cage. Et depuis, chaque jour je me lamente et vocifère, espérant qu’on me libèrera. Mais il ne comprend rien, et prend ma plainte pour un chant de joie et de gratitude.
L’autre matin, un oiseau que je n’avais jamais vu est venu près de ma cage, sur la fenêtre, et m’a dit simplement ceci : « Arrête de geindre, cesse de te lamenter, c’est pour cette raison qu’on te tient enfermé ! » Alors je me suis tu.

L’ermite rapporta fidèlement au roi ce que le rossignol venait de lui confier. Perplexe, le monarque fit quelques pas pensifs autour de la pièce puis s’arrêta net. Redressant le menton, décision prise, il envoya quelques mots en direction du vieil homme :

Allons, à quoi bon garder un rossignol qui ne chante pas ? Ouvre grand la porte de sa cage !

Le rossignol, à chaque instant, chante sur une rose différente.

Mocharrafoddin Saadi

Libre, le rossignol voulut séduire la rose. Camille Saint-Saëns composa son chant :

Edita Gruberova, soprano
The Tokyo Philharmonic Orchestra – Direction Friedrich Haider

« Orphée l’Admirable »

sir-william-blake-richmond-orphee-revenant-des-enfers-1885
Sir William Blake Richmond – Orphée revenant des Enfers – 1885

Orphée

… Je compose en esprit, sous les myrtes, Orphée
L’Admirable !… le feu, des cirques purs descend ;
Il change le mont chauve en auguste trophée
D’où s’exhale d’un dieu l’acte retentissant.

Si le dieu chante, il rompt le site tout-puissant ;
Le soleil voit l’horreur du mouvement des pierres ;
Une plainte inouïe appelle éblouissants
Les hauts murs d’or harmonieux d’un sanctuaire.

Il chante, assis au bord du ciel splendide, Orphée !
Le roc marche, et trébuche ; et chaque pierre fée
Se sent un poids nouveau qui vers l’azur délire !

D’un Temple à demi nu le soir baigne l’essor,
Et soi-même il s’assemble et s’ordonne dans l’or
À l’âme immense du grand hymne sur la lyre !

Paul Valéry  – « Album de vers anciens » (1920)