« Bois de caresse »

Il y a quelque chose de si ravissant dans le sourire de la mélancolie ! C’est un rayon de lumière dans l’ombre, une nuance entre la douleur et le désespoir, qui laisse entrevoir l’aurore de la consolation.

Prétendrait-on que Tolstoï n’avait pas lu la poésie de Barbara Auzou ?

Bois de caresse 

dis-moi que feront-ils après

de notre bel herbier

qui est bois de caresse

corps de passion et destination lointaine

emmèneront ils les oiseaux plus loin dans leur chant

pour poursuivre ces rêves d’ascension qui veillaient nos âmes

on a mis tant d’années à voir ce qu’on regardait

tant d’années à nommer les vents

ça tremble tellement une vie qui s’apprend

chaque jour dans de petits cris rouges

sans assouvir ses interrogations jamais

belle condition humaine en vérité

entre silos de soleils et mégots de lunes

bouches d’ombre et de feu mêlés

le poids des mots seuls contre le poids du ciel

à quêter ce peu d’éternel où rien ne bouge

en oubliant d’être vivant toujours

en s’essayant trop peu à l’amour

               Barbara Auzou

Poème publié sur le blog de l’auteur « Lire dit-elle » le 15/10/2025

Et vous, l’aimez-vous…?

Certains aiment la poésie

Certains –
donc pas tout le monde.
Même pas la majorité de tout le monde, au contraire.
Et sans compter les écoles, où on est bien obligé,
ainsi que les poètes eux-mêmes,
on n’arrivera pas à plus de deux sur mille.

Aiment –
mais on aime aussi le petit salé au lentilles,
on aime les compliments, et la couleur bleue,
on aime cette vieille écharpe,
on aime imposer ses vues,
on aime caresser le chien.

La poésie –
seulement qu’est-ce que ça peut bien être ?
Plus d’une réponse vacillante
fut donnée à cette question.
Et moi-même je ne sais pas, et je ne sais pas, et je m’y accroche
comme à une rampe salutaire.

Wyslawa Szymborska (Pologne 1923-2012)

 

in « De la mort sans exagérer »

(traduit du polonais par Piotr Kaminski)

 

             

 

π

Mes signes particuliers sont le ravissement et le désespoir.

C’est par ces mots que Wyslawa Szymborska avait coutume de se définir.

Poétesse polonaise discrète, à la vie simple comme sa poésie pour laquelle elle ne voulait utiliser que les mots du langage courant, « simples comme bonjour« , elle considérait que le rôle du poète doit s’en tenir à ouvrir sur la réalité telle qu’il la perçoit sans prétendre l’expliquer ou la justifier.

Dans son balancement permanent entre humour et absurde, sa poésie immédiate, inspirée par une fine observation de ses congénères, outrepasse son apparente banalité pour se poser avec une élégance caustique en miroir de cette humanité quotidienne aussi étonnante qu’affligeante.

Et pour Wyslawa refléter n’est pas juger, jamais, et jamais son propos ne vise à changer le monde. Elle l’observe d’un regard acéré certes, mais rendu bienveillant par la projection profondément pessimiste qu’elle fait sur le sort de l’homme. La douceur de sa voix ne donne que plus de force à sa conviction. « Ma foi est forte, aveugle, et sans aucun fondement ».

Cette voix sensible, indépendante, qui avait décidé de raconter la vie, tout simplement, en quelques recueils, depuis Cracovie qu’elle ne quitta pour ainsi dire pas, obtint le Prix Nobel de Littérature en 1996…