« Goin’ home » : itinéraire d’une mélodie – 1/2

Paul Robeson (basse) – Carnegie Hall de New York, le 9 mai 1958 :

Goin’ home, goin’ home, I’m jes’ goin’ home ;
Quiet-like, some still day, I’m jes’ goin’ home.
It’s not far, jes’ close by,
Through an open door ;
Work all done, care laid by,
Goin’ to fear no more.
Mother’s there ‘spectin’ me,
Father’s waitin’ too ;
Lots o’ folk gather’d there,
All the friends I knew,
All the friends I knew.
Home, I’m goin’ home !

Nothin lost, all’s gain,
No more fret nor pain,
No more stumblin’ on the way,
No more longin’ for the day,
Goin’ to roam no more !
Mornin’ star lights the way,
Res’less dream all done ;
Shadows gone, break o’ day,
Real life jes’ begun.
There’s no break, there’s no end,
Jes’ a livin’ on ;
Wide awake, with a smile
Goin’ on and on.

Goin’ home, goin’ home, I’m jes’ goin’ home,
goin’ home, goin’ home, goin’ home !

Paroles de William Arms Fisher

Goin’ home = rentrer chez soi

Même à la lueur des feux de Bengale, le bagne est toujours le bagne, et la musique qu’entend de loin un homme certain de ne jamais revoir son pays ne suscite en lui qu’une noire tristesse.

Anton Tchékhov – l’île de Sakhaline (Gallimard – Folio Classique)

Étrange écho de Negro spirituals dans ces mots de l’écrivain russe Anton Tchekhov ! Et pourtant, ce ne sont pas les chants nostalgiques afro-américains qui les ont inspirés, mais les sinistres silences adipeux des bagnards maudits de l’île de Sakhaline, au large de la Sibérie. Là où « les gens erraient comme des ombres et se taisaient comme des ombres ».

Antonín Leopold Dvořák (1841-1904)

Alors qu’en ce début des années 1890 Tchékhov est tout à la rédaction de « L’île de Sakhaline », le compositeur tchèque célèbre, Antonin Dvorák, s’apprête à embarquer pour New York, décidé à occuper le poste de directeur du Conservatoire National de musique, conformément à l’invitation appuyée que lui ont adressée les américains, fervents admirateurs de son œuvre.

— L’histoire ne nous a pas appris que les deux artistes eurent quelqu’occasion de se rencontrer…

1893. Antonin Dvorák est installé à Manhattan depuis un an. Particulièrement motivé par l’ambitieux projet que lui proposent ses hôtes américains : fonder une musique nationale pour ce jeune pays, les États Unis, il a composé une symphonie, sa neuvième, à laquelle il donne d’abord le juste titre de « Symphonie depuis le Nouveau Monde » avant qu’elle ne finisse par s’appeler « Symphonie du Nouveau Monde ». Le 15 décembre, elle est au programme du New York Philharmonic Orchestra au Carnegie Hall, pour sa toute première exécution.

Qui aurait pu imaginer que l’œuvre connaisse un succès populaire aussi grand à travers le monde, jusqu’à nos jours encore, au point de servir de source d’inspiration et d’illustration musicales à mille et une productions allant du générique d’émission télévisée à la sonorisation de jeux vidéos en passant par les transcriptions les plus diverses dans les univers musicaux les plus variés, sans compter les innombrables reprises des thèmes mélodiques d’un mouvement ou d’un autre dans les musiques de films ou les compositions populaires contemporaines ?

Et, à l’origine de cette pléiade de succès, faisant office de catalyseur, « Goin’ home »

Tout commence donc ainsi :

S’il vous plaît, Maestro !

— Et j’entends déjà, dès les premières mesures…  « Bon sang ! Mais c’est bien sûr !… La Symphonie du Nouveau Monde ! »

Dvoràk – Symphonie N°9  (début du 1er mouvement)

Philharmonique de Berlin dirigé par Claudio Abbado

Théâtre Massimo de Palerme – 1er Mai 2002

Difficile, il est vrai, de trouver quelque parenté musicale entre le dynamisme de cette cavalcade effrénée de l’orchestre à travers les grands espaces et la douceur élégiaque d’un chant du retour entonné par la voix envoûtante de Paul Robeson !

Mais le décor est planté : La neuvième de Dvorák !

Glissons-nous dans le deuxième mouvement et sans bouder notre plaisir, laissons-nous emporter par la douce vague mélancolique du premier thème, Largo, sur laquelle surfe, en Ré bémol majeur, avec délice et grâce, le cor anglais !…

Suite …

« Goin’ home » : itinéraire d’une mélodie – 2/2