
Simple silhouette fugitive du récit évangélique, éclipsée par Judith dans l’art, Salomé a attendu la fin du XIXème siècle pour se muer en un mythe universel. Dès lors objet de fascination, elle devient dans la littérature, la peinture et la musique, l’icône de la décadence fin-de-siècle, figure emblématique dans laquelle se reflètent tous les fantasmes : vierge hystérique éprise d’absolu, femme fatale vénéneuse à la perversion destructrice, incarnation de l’érotisme obsessionnel et du macabre absolu.
Beauté envoûtante de la représentation artistique du mal, Salomé est devenue l’archétype parfait de la fusion entre la séduction esthétique et l’effondrement moral, une thématique centrale de la fin du XIXème siècle.

Si de toutes les nombreuses expressions artistiques du personnage qui nous ont été jusqu’à présent offertes, il me fallait n’en retenir qu’une seule, mon choix se porterait sans hésitation sur la représentation qu’en a donnée Richard Strauss à travers son opéra éponyme de 1905 inspiré de la pièce de théâtre qu’Oscar Wilde tira de sa lecture des Évangiles de Marc et de Matthieu.
Et, partageant l’enthousiasme du musicologue Alain Duault qui présente ici brièvement et justement l’œuvre, je choisirais d’emporter sur mon île déserte – déjà bien achalandée – la version du metteur en scène Ivo van Hove (2017) enregistrée pour les cinémas U.G.C., dans laquelle la soprano suédoise Malin Byström incarne une Salomé des plus troublantes. Envoûtante !
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Danse des sept voiles
Sous les yeux ébahis de sa mère, Salomé, pour aguicher le désir de son monarque de beau-père, entreprend, sensuelle et provocatrice, sa danse érotique des ‘sept voiles’ sur une musique aphrodisiaque que Richard Strauss a composée à partir d’une savante combinaison de sonorités traditionnelles orientales et de franche modernité européenne.
Elle attend d’Hérode séduit qu’il lui offre sur un plateau d’argent la tête de Jochanaan (le prophète Jean-Baptiste) qui, retenu prisonnier au fond d’une citerne, s’est refusé à elle.
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Jochanaan exécuté
Le roi a tenu sa promesse. Scène ultime de l’opéra, Salomé, conduite au paroxysme de l’hystérie par le triomphe de sa sordide vengeance, baise goulument la bouche du prophète baignant dans son sang encore chaud.*
Frappé d’effroi, Hérode demande sa mort immédiate.
* Juste critique historique, les puristes auraient préféré que seule la tête de Jochanaan fût ici présentée à Salomé.
SALOME Ah, ich habe deinen Mund geküßt, Jochanaan. Ich hab' ihn geküßt, deinen Mund. Es war ein bitterer Geschmack auf deinen Lippen. Hat es nach Blut geschmeckt?· Nein. Doch schmeckte es vielleicht nach Liebe. Sie sagen, das die Liebe bitter schmecke. Doch was, was tut's, was tut's? Ich habe deinen Mund geküßt, Jochanaan, Ich hab' ihn geküßt, deinen Mund. HEROD (sich umwendend) Man töte dieses Weib! ... SALOMÉ Ah, je l'ai baisée ta bouche, Jochanaan. Je l'ai baisée, ta bouche. Il y avait un goût âcre sur tes lèvres. Était-ce la saveur du sang ? Mais peut-être était-ce le piment de l’amour. On dit que l’amour a un goût amer. Mais qu'importe ? Qu'importe ? J'ai baisé ta bouche, Jochanaan, je l'ai baisée, ta bouche. HÉRODE (se tournant vers les soldats) Tuez cette femme !
Royal Concertgebouw Orchestra
Direction : Daniele Gatti





