Je ne suis rien
Jamais je ne serai rien.
Je ne puis vouloir être rien.
Cela dit, je porte en moi tous les rêves du monde.
Fernando Pessoa – Bureau de tabac
Enregistrement 2003

Le monde est à qui naît pour le conquérir,
et non pour qui rêve, fût-ce à bon droit, qu’il peut le conquérir.
J’ai rêvé plus que jamais Napoléon ne rêva.
Sur mon sein hypothétique j’ai pressé plus d’humanité que le Christ,
j’ai fait en secret des philosophies que nul Kant n’a rédigées,
mais je suis, peut-être à perpétuité, l’individu de la mansarde,
sans pour autant y avoir mon domicile :
je serai toujours celui qui n’était pas né pour ça ;
je serai toujours, sans plus, celui qui avait des dons ;
je serai toujours celui qui attendait qu’on lui ouvrît la porte
auprès d’un mur sans porte
et qui chanta la romance de l’Infini dans une basse-cour,
celui qui entendit la voix de Dieu dans un puits obstrué.
Croire en moi ? Pas plus qu’en rien…
Que la Nature déverse sur ma tête ardente
son soleil, sa pluie, le vent qui frôle mes cheveux ;
quant au reste, advienne que pourra, ou rien du tout…
« Bureau de tabac » – Extrait


Majestueux…Terrifiant aussi. Il y a eu des périodes de ma vie où le sombre de Pessoa m’était insupportable…
Merci à toi cher Lelius.
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Je comprends que tu puisses qualifier Pessoa de « sombre », et pourtant, c’est un qualificatif dont je ne pourrais pas l’affubler. Tragique ! C’est l’adjectif que je choisirais… avec toute la théâtralité qu’il contient.
J’aime ce regard que portait sur lui Antonio Tabucchi, son traducteur référent en italien, quand il qualifiait sa poésie comme représentant « l’analyse la plus subtile, dolente et tragique de l’homme du xxe siècle, mais aussi la plus lucide, la plus impitoyable. »
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C est vrai Tragique convient mieux…
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Magnifique poème ! Je pense effectivement que chacun possède un temps trop court et des obligations trop nombreuses pour réaliser tout son potentiel. Ne serait-ce que parce qu’il faut faire des choix. Je ne sais pas si c’est vraiment triste. C’est la vie. Bonne journée à vous Lelius !
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Magnifique, en effet. Et qui exprime cette profonde inadaptation à la vie, consubstantielle à la personnalité de Pessoa, au-delà même des contingences matérielles que vous évoquez.
Dans le « Livre de l’intranquillité » il écrit :
« Je n’ai jamais voulu être rien d’autre qu’un rêveur. Si l’on me parlait de vivre, j’écoutais à peine. J’ai toujours appartenu à ce qui n’est pas là où je me trouve, et à ce que je n’ai jamais pu être. Tout ce qui n’est pas moi – si vil que cela puisse être – a toujours eu de la poésie à mes yeux. »
Merci de votre toujours sympathique visite Marie-Anne !
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Et dire que pour mon départ en retraite, on m’offrit le livre de l’intranquillité…Finalement tout ce résume dans le texte proposé ici. Merci Lelius.
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Ah ! Cet aveu vous dévoile.
Ma conviction, au bout d’une vie déjà longue, est que tout être sensible porte en lui une part de Pessoa, qu’il s’en flatte ou qu’il le déplore. Chacun à due proportion de sa sensibilité…
« On a tous en nous quelque chose de »… Pessoa. 😊
Merci de votre amicale visite !
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