Kreutzer Sonata 3/3 – Janáček : L’ombre s’étire…

Edgar Degas - Violoniste et jeune femme tenant un cahier de musique
Edgar Degas – Violoniste et jeune femme tenant un cahier de musique

Voilà déjà quelques années que l’Europe musicale a reconnu le talent du compositeur tchèque Leoš Janáček, et Prague tout particulièrement depuis la représentation en 1916  de son opéra Jénufa.

Leos Janacek - 1854-1928
Leos Janacek – 1854-1928

En 1923, pour répondre à une commande, Janáček compose  son premier quatuor à cordes. Il s’inspire pour la circonstance de la « Kreïtserova sonata » de Tolstoï, qui d’ailleurs ne catalyse pas son émotion pour la première fois, le compositeur ayant, semble-t-il, déjà puisé dans cette nouvelle la matière d’une partition, désormais introuvable, pour trio.

Ému par le sort dramatique de cette épouse assassinée, dont rien de surcroît ne prouve l’adultère, Janáček – qui d’ailleurs vit une relation passionnée avec une jeune femme de 35 ans sa cadette – préfère, au contraire de Tolstoï, porter un regard bienveillant vers la femme en général, exprimant une réelle empathie pour celles, nombreuses, qui subissent la domination masculine.

QUATUOR-CORDESreprésenter tout particulièrement la précipitation des évènements successifs qui conduisent à l’acte tragique, le compositeur, s’affranchit des conventions traditionnelles d’écriture du quatuor (rondo, variations, forme sonate) telles qu’on les retrouve chez Haydn ou Mozart par exemple. Il propose une série convaincante d’occurrences musicales contrastées dans un continuum mélodique qui se veut récit, et dans lequel les coupures rythmiques et les répétitions obstinées servent à figurer les fluctuations d’intensité des différentes phases de la dramaturgie. La formidable étendue et la variété de sa palette sonore dotent les quatre instruments du quatuor à cordes d’une exceptionnelle puissance d’expression, particulièrement dans les instants paroxystiques du récit.

Rien dans la quinzaine de minutes que dure cet « opéra » – pour faire référence à l’incontournable philosophe et musicologue Théodor Adorno – ne laisse penser à l’œuvre d’un homme de 69 ans. Chaque tableau y respire la jeunesse et la spontanéité qui la caractérise, comme une illustration d’un des préceptes chers au compositeur : « Cherchez en vous et soyez vrais. »

Il ne faudrait pas cependant penser que Janáček a oublié Beethoven en traduisant musicalement la nouvelle de Tolstoï. A plusieurs reprises il salue l’œuvre de son illustre prédécesseur : soit par une allusion de quelques notes empruntées au presto de la sonate pour violon et piano, au tout début du quatuor — allusion reprise au cours des premier et troisième mouvements —, soit par citation quasi directe comme avec le deuxième thème lyrique de Beethoven au troisième mouvement.

Dans une première partie – Adagio ; Con moto – que le violoncelle situe dans le train en marche où a pris place Poznidchev, se dessinent, volutes et filigranes sur fond de défilement de rails, les charmes et les dangers de la femme passionnée.

Le deuxième mouvement – Con moto – introduit le violoniste virtuose et séducteur.

Le troisième mouvement – Con moto ; Vivace ; Andante – réunit en de tendres ébats complices le premier violon et le violoncelle, symbole de la douloureuse représentation dans l’esprit de Poznidchev des approches réciproques des amants adultères. Dans un mouvement parallèle le second violon et l’alto crient en un ensemble agité les colères et la jalousie qui mèneront ce pauvre mari à sa folie meurtrière.

Au dernier mouvement- Con moto ; Adagio – le drame est consommé, le meurtre accompli. Aux noirceurs de l’horreur succèdent les pesants nuages du regret et du désespoir. Les souvenirs se bousculent mus par un dernier soubresaut d’énergie avant que tout ne s’arrête dans le suspens de la note finale au dessus du ballast.

Et si Janáček voulait nous convaincre que la rédemption du couple est dans l’amour…?

L’ombre s’étire et se retire…

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Il y a quelques années l’Ensemble Musique Oblique et Laurent Rey ont monté un spectacle autour de La Sonate à Kreutzer dans lequel ils mettent en son et en scène les trois œuvres, respectivement, de Beethoven, Tolstoï et Janáček.

En voici, comme une illustration synthétique de ces trois billets, l’extrait – bien engageant à voir le spectacle entier – que l’on trouve sur internet.

Publié par

Lelius

La musique et la poésie : des voies vers les êtres... Un chemin vers soi !

7 réflexions au sujet de “Kreutzer Sonata 3/3 – Janáček : L’ombre s’étire…”

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