‘Ulysse’

Ulisse

Nella mia giovinezza ho navigato
Lungo le coste dalmate. Isolotti
A fior d’onda emergevano, ove raro
Un uccello sostava intento a prede,
Coperti d’alghe, scivolosi, al sole
Belli come smeraldi. Quando l’alta
Marea e la notte li annullava, vele
Sottovento sbandavano più al largo,
Per fuggirne l’insidia. Oggi il mio regno
E quella terra di nessuno. Il porto
Accende ad altri i suoi lumi; me al largo
Sospinge ancora il non domato spirito,
E della vita il doloroso amore.

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Umberto Saba 1883-1957

 

Mediterranee.
Mondadori editore, Milano, 1946

Ulysse

Dans ma jeunesse j’ai navigué
le long des côtes dalmates. Des îlots
à fleur d’onde émergeaient, où quelque rare
oiseau se posait guettant sa proie ;
couverts d’algues, glissants, ils luisaient
au soleil, beaux comme des émeraudes.
Quand la marée haute et la nuit
les effaçaient, des voiles
sous le vent se dispersaient au large,
pour en fuir les écueils. Aujourd’hui mon royaume
est cette terre de personne. Le port
fait briller pour d’autres ses lumières ; moi, vers le large
me pousse encore un esprit indompté,
et de la vie le douloureux amour.

Traduction : Odette Kaan

« Un seul homme est né… »

Billet initialement publié sur « Perles d’Orphée » le 16/12/2012

La Historia Universal es la de un solo hombre.

Jorge Luis Borges (« Historia de la eternidad » – 1936)

Un seul homme est né, un seul homme est mort sur la terre.

Affirmer le contraire est pure statistique : l’addition est impossible.

Non moins impossible que celle d’ajouter l’odeur de la pluie au rêve que tu as rêvé l’autre nuit.

Cet homme est Ulysse, Caïn, Abel, le premier homme qui ordonna les constellations […] le forgeron qui grava des runes sur l’épée de Hengist […] Luis de Leon, le libraire qui engendra Samuel Johnson, le jardinier de Voltaire […]

Un seul homme est mort à Ilion, dans le Métaure. à Hastings, à Austerlitz, à Trafalgar, à Gettysburg.

Un seul homme est mort dans les hôpitaux, dans les navires, dans la difficile solitude, dans l’alcôve de l’habitude et de l’amour.

Un seul homme a regardé la vaste aurore.

Un seul homme a senti dans sa bouche la fraîcheur de l’eau, la saveur des fruits et de la chair.

Je parle de l’unique, de l’un, de celui qui est toujours seul.

TOI

Jorge Luis BORGES
(cité par Jean MAMBRINO in « Lire comme on se souvient » – Ed. Phébus)

Texte dit par Lelius

Illustration musicale : Max Bruch - "Kol Nidrei"
Violoncelle : Julius Berger
Orchester des Polnischen Rundfunks - Direction : Antoni Wit