Paroles de mime

Adore ton métier, c’est le plus beau du monde !
Le plaisir qu’il te donne est déjà précieux,
Mais sa nécessité réelle est plus profonde…
II apporte l’oubli des chagrins et des maux,
Et ça, vois-tu, c’est encor mieux !
C’est mieux que tout, c’est magnifique et tu verras,
Tu verras ce que c’est qu’une salle qui rit,
Tu l’entendras !
Ça, c’est unique, mon chéri !

Jean-Gaspard Deburau 1796-1846 par Arsène Trouvé

Derrière son maquillage livide, Jean-Gaspard Deburau, né à la fin du XVIIIème siècle à Amiens, de l’union d’une mère venue de Bohème et d’un soldat français, faisait le plaisir et l’admiration des « naïfs et des enthousiastes », comme il aimait à qualifier avec  humour et gentillesse son fidèle public du ‘Théâtre des Funambules’, qui venaient rire aux facéties et mimiques du personnage de Pierrot qu’il avait créé.

Sacha Guitry 1885-1957

Comment l’amoureux inconditionnel du théâtre et du métier de comédien qu’était Sacha Guitry, aurait-il pu résister à l’envie d’incarner cet illustre personnage capable de réaliser chaque soir avec le même bonheur cette performance éminemment difficile, gageure des gageures : entraîner une salle dans le rire ?

En février 1918, le ‘Théâtre du Vaudeville’ met à l’affiche une pièce signée Sacha Guitry : « Deburau ». Un orchestre, pour accompagner les comédiens, y joue la musique composée par André Messager.

Sa production nombreuse pour le théâtre n’empêche pas Guitry, à partir des années 1930, d’être définitivement gagné par le cinéma. En 1951, le comédien-dramaturge devenu réalisateur décide de mettre sa pièce en images et écrit un scénario dans lequel le célèbre mime Deburau, époux modèle résistant fièrement aux mille sollicitations de ses admiratrices, finit par s’éprendre, amour impossible, d’une dame portant camélia à la ceinture.

Le rôle, certes, n’est pas en manque de texte ;  trop de paroles, peut-être, proposées à un mime pour qui seul le rire a droit de déchirer le silence. Mais quand l’alexandrin surgit de l’encrier d’un Sacha Guitry auteur prolifique au verbe affûté et qu’il nous parvient à travers la voix et le jeu emblématiques d’un Sacha Guitry comédien brillant aux mille facettes… qui s’en plaindrait ?

Ce rôle, très empreint du romantisme qui envahit la vie du Maître à cette époque – il souffre physiquement et reste encore très affecté par les injustes attaques portées contre lui à la  Libération – Guitry le voulait comme son testament spirituel.
Et c’est, sans conteste, dans l’admirable monologue de Deburau exaltant le métier de comédien à travers les conseils qu’il prodigue à son fils s’apprêtant à entrer en scène pour lui succéder, que Sacha Guitry exprime en toute sincérité cet amour de la scène qui le représente tant.

Magnifique leçon d’un Pierrot à qui l’on pardonne volontiers de parler autant, et nouvelle occasion de regretter que sa voix se soit tue.