Flâner entre le rêve et le poème… Ouvrir la cage aux arpèges… Se noyer dans un mot… S'évaporer dans les ciels d'un tableau… Prendre plaisir ou parfois en souffrir… Sentir et ressentir… Et puis le dire – S'enivrer de beauté pour se forcer à croire !
Metropolitan Opera saison 2018-2019
Mise en scène John Dexter
Direction Yannick Nézet-Seguin
Mère Marie :Karen Cargill – mezzo soprano
Ave Maria(Acte II – premier tableau)
Mère Marie de l’Incarnation – Mes sœurs, Sa Révérence vient de vous dire que notre premier devoir est la prière. Conformons-nous donc, non seulement de bouche, mais de cœur, aux volontés de Sa Révérence. (Un signe de tête et les moniales s’agenouillent.) – «Ave Maria.»
Les Religieuses – «Gratia plena.»
Mère Marie – «Dominus tecum. Benedicta tu in mulieribus et benedictus fructus ventris tui Jesu.»
Les Religieuses – «Dominus tecum. Benedicta tu in mulieribus et benedictus fructus ventris tui Jesu.»
La Prieure – «Sancta Maria, ora pro nobis peccatoribus.»
Les Religieuses (en murmurant) – «Mater Dei, ora pro nobis peccatoribus nunc et in hora mortis nostrae. Amen.»
La paix est un chant, la guerre est un long hurlement parmi des cris.
Robert Sabatier – Le livre de la déraison souriante (1991)
… Au milieu desquels, s’élevant des ruines encore fumantes, entre corps déchirés et âmes dévastées, la triste prière – qui se rêverait hymne – d’une humanité cherchant désespérément le chemin du ciel.
Léa Grundig – « Mères, la guerre est imminente ! » 1936
Dans un livre gnostique du deuxième siècle de notre ère, il est dit : « La prière de l’homme triste n’a jamais la force de monter jusqu’à Dieu »… Comme on ne prie que dans l’abattement, on en déduira qu’aucune prière jamais n’est parvenue à destination.
Cioran – De l’inconvénient d’être né (Gallimard)
Mais, aussi vaine soit-elle, quand la prière est portée par l’ineffable beauté de la musique, on pourrait bien se surprendre à croire…
Claude Vignon – Les larmes de Saint-Pierre
L’univers sonore : onomatopée de l’indicible, énigme déployée, infini perçu, et insaisissable… Lorsqu’on vient d’en éprouver la séduction, on ne forme plus que le projet de se faire embaumer dans un soupir.
Cioran – Syllogismes de l’amertume (Gallimard)
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Johannes Kammler (baryton) sur la scène du Dutch National Opera & Ballet
« Qui tollis peccata mundi » « Missa in tempore belli » en Ut majeur de Joseph Haydn
Qui tollis peccata mundi, miserere nobis. Qui tollis peccata mundi, suscipe deprecationem nostram. Qui sedes ad dexteram Patris, miserere nobis. Quoniam tu solus sanctus, tu solus Dominus, Tu solus Altissimus, Jesu Christe. Cum Sancto Spiritu, in gloria Dei Patris,
Toi qui effaces les péchés du monde, aie pitié de nous. Toi qui effaces les péchés du monde, entends notre prière. Toi qui sièges à la droite du Père, aie pitié de nous. Car Toi seul es sacré, Toi seul es le Seigneur, Toi seul es le Très-Haut Jésus-Christ. Avec le Saint-Esprit, dans la gloire de Dieu le Père.
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Joseph Haydn, en cette fin d'année 1796, voit approcher à la fois son soixante-cinquième anniversaire et une possible invasion de l'Autriche par les troupes d'un impétueux général français, un certain Bonaparte. Aussi, exerçant sa mission de Maître de Chapelle des Esterhazy, va-t-il multiplier ses efforts pour exprimer dans la messe annuelle qui lui est commandée les tensions dominantes du moment.
Dans cette messe "latine" qu'il nommera lui-même "Missa in tempore belli", il évoque tout autant le fracas des batailles - avec une puissance et une ardeur que seul Beethoven atteindra, vingt-cinq ans plus tard, dans sa "Missa solemnis" - , que la profondeur de sa foi chrétienne.
Et si les premiers mouvements de cette "Messe en temps de guerre" affichent sobrement le classicisme de l'époque dans le respect de la tradition de musique sacrée autrichienne, Haydn, en maître de la composition, façonne avec simplicité la matière sonore de chacun d'eux afin que solistes et chœur nous ouvrent les chemins de l'extase.
« Dans le vrai rapport de la prière, ce n’est pas Dieu qui entend ce qu’on lui demande, mais celui qui prie, qui continue de prier jusqu’à être lui-même celui qui entend ce que Dieu veut. »
Émile Cioran (1911-1995)
« Il n’y a qu’un remède au désespoir : c’est la prière – la prière qui peut tout, qui peut même créer Dieu… »
in « Cahiers »
Albert-Marie Besnard* (1926-1978)
« Il y a des chants qui, lorsqu’ils se taisent, obligent à écouter un certain silence plus précieux qu’eux-mêmes. »
in « Propos intempestifs sur la prière »
*Directeur des Cahiers Saint-Dominique, prieur du couvent Saint-Dominique à Paris (1973)
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[Le tableau —« L’Occhio Occidentale » — illustrant la vidéo est du peintre italien né en 1977 – Nicola Samori]