Fulgurances – XXXVII – Éclats

‘Le miroir brisé’

Le petit homme qui chantait sans cesse
le petit homme qui dansait dans ma tête
le petit homme de la jeunesse
a cassé son lacet de soulier
et toutes les baraques de la fête
tout d’un coup se sont écroulées
et dans le silence de cette fête
dans le désert de cette fête
j’ai entendu ta voix heureuse
ta voix déchirée et fragile
enfantine et désolée
venant de loin et qui m’appelait
et j’ai mis ma main sur mon coeur
où remuaient
ensanglantés
les sept éclats de glace de ton rire étoilé.

Jacques Prévert 1900-1977

 

 

in Paroles

‘Confins’

Confine

Parla a lungo con me la mia compagna
di cose tristi, gravi, che sul cuore
pesano come una pietra; viluppo
di mali inestricabile, che alcuna
mano, e la mia, non può sciogliere.

                           Un passero
della casa di faccia sulla gronda
posa un attimo, al sol brilla, ritorna
al cielo azzurro che gli è sopra.

                           Oh lui,
tra i beati beato! Ha l’ali, ignora
la mia pena secreta, il mio dolore
d’uomo giunto a un confine: alla certezza
di non poter soccorrere chi s’ama.

Confins

Longuement me parle ma compagne
de choses tristes, graves, qui pèsent
comme une pierre sur mon cœur ; enchevêtrement inextricable
de douleurs, qu’aucune main, pas plus la mienne, n’annulera.

                                  Un moineau
sur la pente de la maison d’en face
un instant se pose, brille au soleil, retourne
au ciel d’azur par–dessus lui.

                                   O lui
heureux bienheureux ! Des ailes il a, il ignore
ma peine secrète, ma douleur
d’homme venu à une limite : toute la certitude
de ne pouvoir porter secours à ceux que l’on aime.

Umberto Saba 1883-1957

 

Extrait de « Parole » (Paroles)
Traduction : Bernard Simeone

 

 

 

Peut-être est-ce parce qu'à Trieste on était en partie italien, en partie autrichien et en partie slovène, qu'Umberto Saba est demeuré le moins connu des immortels de la poésie italienne tels que Pasolini, Ungaretti et Montale, ses contemporains et amis.

Peut-être qu'une enfance difficile, sans père, et une vie d'homme en fuite permanente pour échapper aux persécutions des "lois raciales" et préserver la vie des siens, ont conduit la parole du poète sensible et mélancolique sur le chemin discret de la simplicité plutôt que vers les buissons épais de l'hermétisme du temps.