Un pensiero voli in ciel, Qu’une pensée vole au ciel
se in cielo è quell’alma bella, si c’est au ciel que se trouve
che la pace m’involò. cette belle âme qui troubla ma paix.
Se in Averno è condannata. Si en enfer il est damné
per avermi disprezzata, pour m’avoir méprisée,
io dal regno delle pene. au royaume des douleurs
il mio bene rapirò. j’enlèverai celui qui fut mon aimé.
Haendel – Delirio amoroso – Première aria
Affligeante banalité, certes, de dire une fois de plus combien la mythologie gréco-latine a inspiré les musiciens et librettistes depuis la Dafné (première femme aimée d’Apollon) de Jacopo Peri en 1598, opéra perdu et reconnu comme le tout premier de l’histoire.
Emboitant le pas de l’Orfeo de Monteverdi, de 1607, ils ne cesseront plus, jusqu’à nos temps modernes, de faire de ces personnages mythiques les héros et les héroïnes de leurs créations. Sur les scènes des théâtres lyriques Rameau convoquera Hippolyte et Aricie, Lully et César Franck, chacun à son tour, inviteront Psyché, Purcell redonnera vie à Didon et Énée, Mozart, jeune prodige de 11 ans en état de grâce, flattera les amours homophiles d’Apollon et Hyacinthe et Berlioz, devenu lui-même démiurge, offrira en cinq actes et neuf tableaux flamboyants et tragiques, Les Troyens à son public. Il faut arrêter la liste.

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Parmi ces héros de la mythologie incarnés dans les œuvres musicales, ceux, ou celles, qui, à l’instar d’Orphée ont fait leur catabase, semblent toutefois provoquer un regain d’intérêt. Mystères et fascination du voyage aux Enfers, au « royaume des douleurs », pour reprendre l’expression de la tendre Chloris.
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C’est à travers un songe inventé pour elle par le cardinal Pamphili que cette nymphe des fleurs et des plantes, va faire sa catabase, dans l’exubérante cantate profane – en forme d’opera seria – Delirio Amoroso, que compose, en 1707, le jeune Haendel fraichement arrivé à Rome.

Cantate « Delirio Amoroso »
Après une ouverture orchestrale conduite par le plus bucolique des instruments, le hautbois, donnant le ton pastoral du sujet, la soprano, pour l’instant récitante, introduit l’histoire : Thyrsis, son bienaimé est mort. Et comme il méprisait son amour elle imagine – là est son « délire » – qu’il est désormais en enfer où il paie son indifférence. Avec la première aria « Qu’une pensée vole au ciel… », devenue Chloris éplorée par le deuil, elle décide d’aller le sauver du feu éternel. Voyage infructueux, Thyrsis continue de lui échapper. Pourtant, dans un ultime élan compassionnel elle l’éloigne malgré lui des sévices de l’enfer et l’accompagne jusqu’aux Champs Élysées qu’elle illustre par un dernier menuet délicieux :
« Sur ces rives douces et sereines chaque fleur nait d’elle-même avec le sourire ».
Et la soprano redevient narratrice pour une évidente conclusion : tout cela n’était qu’imaginaire !
Et si elle ne voyait plus la belle lumière
D’un soleil qui s’était éteint
Elle l’aura au moins vu dans ses rêves
Quel beau rêve partagé entre les délices et les broderies d’une voix d’exception et les brillants solos d’instruments dont Haendel se souviendra dans ses futures compositions.
Kateryna Kasper (soprano)
Freiburger Barockorchester
René Jacobs (direction)
