La dette de Dieu : humble outrecuidance

Bach a été pour moi une espèce de religion.

Cioran (propos enregistré par la RTBF en 1973)

Dieu serait-il autre chose que la tentative de combler mon infini besoin de Musique ?

Cioran – « Le crépuscule des pensées » VII

Quand vous écoutez Bach, vous voyez germer Dieu. Son œuvre est génératrice de divinité.
Après un oratorio, une cantate ou une « Passion », il faut qu’Il existe. Autrement toute l’œuvre du Cantor serait une illusion déchirante.

… Penser que tant de théologiens et de philosophes ont perdu des nuits et des jours à chercher des preuves de l’existence de Dieu, oubliant la seule…

Cioran – « Des larmes et des Saints  »

Même si l’on sait pertinemment qu’il ne paiera pas sa dette, il est bon parfois de rappeler à celui qui doit tant, fût-il Dieu lui-même, de combien il est redevable… Peut-être alors…?

Amis croyants, parce que vous savez, chacun, que « tout chez [lui] commence par les entrailles et finit par la formule », vous me pardonnerez, j’en suis sûr, mon inaltérable proximité avec Cioran.
J’ai l’outrecuidance de ne pas croire que Dieu rembourse ses dettes. Mais, à supposer qu’il y soit soudain enclin, comment s’acquitterait-il de celle qui l’engage, depuis et pour longtemps, vis à vis de Jean-Sébastien Bach, tant elle est immense, à la hauteur de l’incommensurable pouvoir qu’il exerça sur cet humble et zélé serviteur ?
Dieu, si l’on rejoint, une fois encore, l’observation cynique du philosophe insomniaque et solitaire, ne doit-il pas au génie dévoué du lumineux musicien de l’avoir promu bien au-delà de l’indigne qualification de « type de troisième ordre » ?

Tenir chacun, jusqu’à la fin du temps, dans la sereine équanimité de la musique du Cantor, serait assurément, de sa part, manière de justice magnanime… et, pourquoi pas, preuve tangible d’existence ?

Quelle âme douterait-elle encore quand la fragile suspension d’un soupir prend valeur d’éternité ?

Cantate BWV 127 :
« Herr Jesu Christ, wahr’ Mensch und Gott »
(Seigneur Jésus-Christ, véritable homme et dieu)
3éme mouvement : Aria

Orchestra of the J. S. Bach Foundation
Rudolf Lutz : directeur
Andreas Helm : hautbois – Julia Doyle : soprano

Die Seele ruht in Jesu Händen,
Wenn Erde diesen Leib bedeckt.
Ach ruft mich bald, ihr Sterbeglocken,
Ich bin zum Sterben unerschrocken,
Weil mich mein Jesus wieder weckt.

L’âme repose entre les mains de Jésus
Lorsque la terre recouvre ce corps.
O glas funèbre, ne tarde pas à sonner pour moi,
Impavide je ne crains pas de mourir
Puisque mon Jésus me réveillera.