L’herbe écoute (4) – Le Grillon / II

Malin le grillon qui désensibilise son système auditif pour ne pas être assourdi par ses propres stridulations dont il gratifie généreusement les nuits d’été.

Les musiciens, nombreux et de toutes les époques, ont, au contraire, tendu leurs oreilles affûtées en direction de ce chant répétitif et rythmé, modulé pour tantôt persuader la femelle, tantôt dissuader un rival. Et le plus souvent, il est vrai, en considérant ce peuple de l’herbe sous l’angle du risible.

Ainsi cette heureuse symbolique de persévérance têtue et d’énergie vitale, associée au caractère « sautillant » et « folâtre » du grillon, a-t-elle inspiré l’humour musical de l’immense compositeur du XVIIIème siècle Georg Philipp Telemann, pour l’écriture de sa fantasque et raffinée « Grillen-Symphonie » (Symphonie des Grillons).

La qualifierait-on de « capricieuse », sachant que, si en allemand moderne « grillen » signifie « grillons », en 1765, le mot se traduisait également par « bizarreries » ou « caprices » ? Et, à en juger par le caractère de la composition et l’instrumentation colorée, particulière pour l’époque chalumeau et deux contrebasses solistes , il apparaît bien probable que Telemann ait voulu jouer avec ce double sens pour ajouter une part supplémentaire d’ironie à l’esprit « fantasque » de l’œuvre.

Georg Philipp Telemann (1681 – 1767)

« Grillen-Symphonie » -– « Concert à 9 Parties »
(Symphonie des Grillons) en Sol majeur – TWV 50:1.

Ensemble « Le Jardin de Montéclair »

L’herbe écoute (1) – Le Grillon / I

Grillon champêtre (Gryllus campestris)

Chaque pulsation du cœur bat en harmonie avec le chant du grillon. Allez à contretemps si vous le pouvez.

S’il en est un qui ne nous reprochera pas de réchauffer la Terre, c’est bien lui, le ténor des herbes de nos champs roussis par le soleil d’été, le grillon. Mais n’imaginons pas que ses stridulations, choisies dans un répertoire mélodique aussi varié soit-il, nous sont adressées comme un chant de louanges, leur motivation est partagée entre sexe et pouvoir. Nature oblige.

Josquin des Prés             1450/55 – 1521

C’est la fidélité, la constance, disons plutôt la sédentarité, de ce troubadour champêtre, que célèbre, à la fin du XVème siècle, le grand musicien de la Renaissance, Josquin des Prés, quand il compose « El Grillo ». Une stridulente « frottola »* pour quatre voix.
Comme tous les succès musicaux  cette composition a connu au fil du temps un foisonnement de transcriptions et d’adaptations. Celle-ci, pour flûtes, cordes, tambourins et voix, au rythme vif et entraînant, s’offre comme une invite à partager quelques pas d’une danse joyeuse après les durs labeurs d’une journée à la ferme.

* musique rustique et populaire, ancêtre du madrigal.

Josquin des Prés (vers 1450/1455 – 1521)

« El Grillo »

Ensemble Voices of Music

Qui sait si, l’hiver venu, longues antennes déployées, au plus près de nos fours et de nos cheminées, notre orthoptère-ménestrel devenu témoin discret de la vie du foyer – n’est-ce pas cher Monsieur Dickens ? –, n’est pas là pour nous protéger ?

Sait-il au fond de sa mémoire, comme le chante Jean Ferrat, que c’est du cœur de la nuit noire qu’on peut voir l’aube se lever ?