Enchantements du dialogue

Joaquin Turina
Espagne 1882-1949

Je suis un pur Sévillan qui ne connut Séville que lorsqu’il en fut parti. Effet d’ailleurs mathématique, car il est aussi nécessaire pour un artiste de s’expatrier pour bien connaître son pays que, pour un peintre, de reculer de quelques pas afin d’embrasser la totalité de son tableau.

 

‘Rapsodia sinfonica’ (1931)

– Pour le dialogue entre deux cultures, hispanique et française, qui se rejoignent dans le parcours de Joaquin Turina, partagé entre sa ville natale, Séville, et Paris, la ville de ses études musicales à la Schola Cantorum de Vincent d’Indy et de ses rencontres – inoubliables évidemment – avec Debussy et Ravel…

– Pour l’entente heureuse entre rythmes populaires enlevés et mélodies sensuelles tout droit venus du Flamenco andalou, et orchestration raffinée inspirée des compositions classiques européennes…

– Pour la relation intime qu’instaure entre le piano et l’orchestre la partition d’un concerto – qui, pour conserver toute sa liberté d’expression, ne dit pas son nom -, véritable chorégraphie sonore d’un pas de deux symphonique…

– Pour la qualité du dialogue subtile entre les musiciens de la Camerata Filarmónica Latinoamericana et leur cheffe Grace Echauri

– Pour le mariage enchanteur, aristocratique, de l’élégante virtuosité de Maria Dolores Gaitán avec l’incomparable distinction des sonorités de son piano Bösendorfer.

Les Nations, pour raviver leur « concert », ne devraient-elles pas pratiquer plus assidument le dialogue musical ?

Zambra Mora

Las seis cuerdas

La guitarra
hace llorar a los sueños.
El sollozo de las almas
perdidas
se escapa por su boca
redonda.
Y como la tarántula,
teje una gran estrella
para cazar suspiros,
que flotan en su negro
aljibe de madera.


    Federico Garcia Lorca – 1924 – « Poème du Cante jondo »

Les six cordes

La guitare fait pleurer les songes.
Le sanglot des âmes perdues
s’échappe par sa bouche ronde.
Et comme la tarentule,
elle tisse une grande étoile
pour chasser les soupirs
qui flottent dans sa noire
citerne de bois.

Traduction : Pierre Darmangeat

§

Restée interdite pendant des siècles, la Zambra (traduction : "fête") est une tradition de danse et de musique espagnole aux racines multiples, maures, séfarades et gitanes. Espagnole à l'origine, la Zambra reçoit son qualificatif de "mora" (maure) lorsque les arabes et les berbères l'adoptent, entre le IXème et le XVème siècles, à l'occasion des festivités – plus particulièrement les mariages – qu'ils organisent. Les populations juives séfarades, souvent de langue arabe, et partageant avec les maures la même fuite vers les campagnes et les montagnes devant la conversion du pays au christianisme, l'adoptent également.
Les gitans, persécutés eux aussi, réinventent cette tradition musicale lors de leur arrivée en Andalousie, à la fin du XVème siècle.

La Zambra Mora (ancêtre du Flamenco) se danse habituellement les pieds nus avec une jupe souple et généreuse, à volants, exprimant par des mouvements très proches de la danse du ventre, la sensualité passionnée de ces peuples opprimés dont elle est, d'une certaine manière, devenue un emblème.