Un arc-en-ciel en enfer / II – La musique

« Quatuor pour la fin du temps »

Tenture de l’Apocalypse – Angers XIVème –  Ange montrant la Jérusalem céleste

Je vis un ange plein de force, descendant le ciel, revêtu d’une nuée, ayant un arc-en-ciel sur la tête. Son visage était comme le soleil, ses pieds comme des colonnes de feu. Il posa son pied droit sur la mer, son pied gauche sur la terre, et, se tenant debout sur la mer et la terre, il leva la main vers le Ciel et jura par celui qui vit dans les siècles des siècles, disant : il n’y aura plus de temps ; mais au jour de la trompette du septième ange, le mystère de Dieu se consommera.

Apocalypse de Jean – Chapitre X

C’est la citation tirée du « Livre de la Révélation » que Messiaen met en exergue de sa préface tant l’Apocalypse de Jean a inspiré sa composition. (Apocalypse étant reçue ici, comme il se doit, dans son acception originelle de révélation).

Inspiration biblique jusque dans la constitution de l’œuvre en 8 mouvements. Messiaen l’explique ainsi :

Sept est le nombre parfait, la création de 6 jours sanctifiée par le sabbat divin ; le 7 de ce repos se prolonge dans l’éternité et devient le 8 de la lumière indéfectible, de l’inaltérable paix.

Ces 8 parties ne se ressemblent guère, ni par leur durée, ni par leur caractère, ni même par leur instrumentation ; si cette hétérogénéité reflète la difficulté de composition qui a dû faire autant appel à des reprises qu’à des créations pures, elle traduit aussi ce balancement du compositeur, chercheur lucide d’absolu, entre langage classique et innovation, cet « éclectisme » de Messiaen, comme dit Pierre Boulez.

En outre, les musiciens ne jouent tous les quatre ensemble que deux mouvements dans leur intégralité, certains mouvements ne demandant la présence que de un ou deux instruments.

Tapisserie de l’Apocalypse – Angers – Envers pièce 2 scène 25

Messiaen précise que le langage musical de cette pièce est « essentiellement immatériel, spirituel, catholique. » Et, délicieuse ironie de l’histoire, les trois autres musiciens qui vont servir avec lui l’œuvre pour la première fois, au stalag, mus et émus par la communion que l’on suppose, ne partagent pas les convictions religieuses du compositeur, Akoka est juif, Pasquier est agnostique et Le Boulaire athée…

Par les modes musicaux qu’il utilise dans ce quatuor, Olivier Messiaen propose à l’auditeur un voyage hors du temps, vers un éternel infini qui prive la temporalité de toute signifiance : « La fin du temps » !

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« Quatuor pour la fin du temps »

Guidés par les seuls commentaires du compositeur, laissons-nous, par l’écoute, transporter vers « la lumière indéfectible de l’inaltérable paix » !

  • I – Liturgie de cristal

« Entre trois et quatre heures du matin, le réveil des oiseaux : un merle ou un rossignol improvise en solo, entouré par un chatoiement de sons, d’un halo de trilles perdus très haut dans les arbres. Transposer cela sur un plan religieux et vous avez le silence harmonieux du Ciel. »

  • II – Vocalise pour l’ange qui annonce la fin du temps

« La 1ère et la 3ème partie (très courtes) évoquent la puissance de cet ange fort, coiffé d’un arc en ciel et revêtu de nuée, qui pose un pied sur la mer et un pied sur la terre. Le « milieu », ce sont les harmonies impalpables du ciel. Au piano, cascades douces d’accords bleu-orange, entourant de leur carillon lointain la mélopée quasi plain-chantesque des violon et violoncelle. »

  • III – Abîme des oiseaux

« L’abîme, c’est le Temps, avec ses tristesses, ses lassitudes. Les oiseaux, c’est le contraire du Temps : c’est notre désir de lumière, d’étoiles, d’arc en ciel et de jubilantes vocalises ! »

  • IV – Intermède

« Scherzo, de caractère plus extérieur que les autres mouvements, mais rattaché à eux, cependant, par quelques « rappels » mélodiques. »

  • V – Louange à l’Éternité de Jésus

« […] une grande phrase, infiniment lente, du violoncelle, magnifie avec amour et révérence l’éternité de ce verbe puissant et doux « dont les années ne s’épuiseront point ». Majestueusement, la mélodie s’étale, en une sorte de lointain et tendre souverain […]. »

  • VI – Danse de la fureur, pour les sept trompettes

« Rythmiquement, le morceau le plus caractéristique de la série. Les quatre instruments à l’unisson affectent des allures de gongs et trompettes (les six premières trompettes de l’Apocalypse suivies de catastrophes diverses, la trompette du septième ange annonçant consommation du mystère de Dieu) […]. Musique de pierre, formidable granit sonore ; irrésistible mouvement d’acier, d’énormes blocs de fureur pourpre, d’ivresse glacée. »

  • VII – Fouillis d’arcs-en-ciel pour l’ange qui annonce la fin du temps

« Reviennent ici certains passages du second mouvement. L’Ange plein de force apparaît, et surtout l’arc-en-ciel qui le couvre (l’arc-en-ciel, symbole de paix, de sagesse et de toute vibration lumineuse et sonore). — Dans mes rêves, j’entends et vois accords et mélodies classés, couleurs et formes connues ; puis, après ce stade transitoire, je passe dans l’irréel et subis avec extase un tournoiement, une compénétration giratoire de sons et couleurs surhumains. Ces épées de feu, ces coulées de lave bleu-orange, ces brusques étoiles : voilà le fouillis, voilà les arcs-en-ciel ! »

  • VIII – Louange à l’immortalité de Jésus

« Large solo de violon, faisant pendant au solo de violoncelle du 5ème mouvement. Pourquoi cette 2ième louange ? Elle s’adresse plus spécialement au second aspect de Jésus, à Jésus-homme, au Verbe fait chair, ressuscité immortel pour nous communiquer sa vie. Elle est tout amour. Sa lente montée vers l’extrême aigu, c’est l’ascension de l’homme vers son Dieu, de l’enfant de Dieu vers son père, de la créature divinisée vers le Paradis. »

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Interprétation : Playground Ensemble

Sarah Johnson : violon
Richard von Foerster : violoncelle
Brian Ebert : clarinette
Heidi Leathwood : piano

Merci à ces formidables musiciens en résidence à la Metro State University de Denver (Colorado) qui ont eu la bonne idée de découper par mouvement la vidéo de leur interprétation. Cette option didactique s’inscrit complètement dans leur mission qu’ils définissent ainsi :

« Faire la promotion de la musique de notre temps par le biais de la performance, de nouvelles commandes de musique, de l’éducation et de la sensibilisation de la communauté. Notre objectif est de fournir des performances stimulantes, d’élargir les perceptions communes de la musique contemporaine et de l’ensemble de chambre et de nourrir une communauté autour de cette musique que nous aimons. »

Ils ont toutes les qualités et plus encore pour la réussir brillamment.

Bonne chance à eux !

Pour que les amateurs retrouvent l’atmosphère recueillie du concert, une magnifique version, très spirituelle, captée en 2016 au Festival de Solsberg, interprétée par de formidables virtuoses de réputation internationale et mieux connus de nous :

Antje Weithaas : Violon
Sol Gabetta : Violoncelle
Sabine Meyer : Clarinette
Bertrand Chamayou : Piano

Première partie :

Un arc-en-ciel en enfer / I – L’histoire