Flâner entre le rêve et le poème… Ouvrir la cage aux arpèges… Se noyer dans un mot… S'évaporer dans les ciels d'un tableau… Prendre plaisir ou parfois en souffrir… Sentir et ressentir… Et puis le dire – S'enivrer de beauté pour se forcer à croire !
J’écoute le bruit de l’eau qui tombe dans mon sommeil. Les mots tombent comme l’eau moi je tombe. Je dessine dans mes yeux la forme de mes yeux, je nage dans mes eaux, je me dis mes silences. Toute la nuit j’attends que mon langage parvienne à me configurer. Et je pense au vent qui vient à moi, qui demeure en moi. Toute la nuit, j’ai marché sous la pluie inconnue. On m’a donné un silence plein de formes et de visions (dis-tu). Et tu cours désolée comme l’unique oiseau dans le vent.
in L’Enfer musical, – Ypsilon éditeur – 10/2012. – Traduction : Jacques Ancet.
Au centre du poème il y a un autre poème, au centre du centre il y a une absence, au centre de l’absence il y a mon ombre.
Alejandra Pizarnik
Cendres
Nous avons dit des paroles, des paroles pour réveiller les morts, des paroles pour faire un feu, des paroles pour pouvoir nous asseoir et sourire.
Nous avons créé le sermon de l’oiseau et de la mer, le sermon de l’eau, le sermon de l’amour.
Nous nous sommes agenouillés et avons adoré de longues phrases comme le soupir de l’étoile, des phrases comme des vagues des phrases comme des ailes.
Nous avons inventé de nouveaux noms pour le vin et pour le rire, pour les regards et leurs terribles chemins.
Moi à présent je suis seul(e) – comme l’avare délirant(e) sur sa montagne d’or – et je lance des paroles vers le ciel mais je suis seul(e) et je ne peux dire à mon aimée ces paroles qui me font vivre.
Alejandra Pizarnik 1936-1972
Las aventuras perdidas (1958) – Œuvres (Ypsilon, 2022) – Traduit de l’espagnol (Argentine) par Jacques Ancet
Quand bien même je parviendrais à définir la poésie (aspiration stupide, par ailleurs), quand bien même je découvrirais son essence, quand bien même je dévoilerais son origine la plus profonde, quand bien même je connaîtrais la poésie tout entière et tous les poètes comme mon propre nom, l’instant venu d’écrire un poème, je ne suis plus qu’une humble jeune femme nue qui attend que l’Autre lui dicte des mots beaux et pleins de sens, avec un pouvoir suffisant pour hisser ses pauvres tribulations et donner de la valeur à ce qui autrement ne serait que divagations.
Dehors, du soleil.
Ce n’est qu’un soleil
mais les hommes le regardent
et ensuite ils chantent.
Je ne sais rien du soleil.
Je sais la mélodie de l’ange
et le sermon brûlant
du dernier vent.
Je sais crier jusqu’à l’aube
quand la mort se pose nue
sur mon ombre.
Je pleure sous mon nom.
J’agite des mouchoirs dans la nuit
et des bateaux assoiffés de réalité
dansent avec moi.
Je cache des clous
pour maltraiter mes rêves malades.
Dehors, du soleil.
Je m’habille de cendres.
Alejandra Pizarnik – Argentine 1936-1972
Las aventuras perdidas (1958) – Œuvres (Ypsilon, 2022) Traduit de l’espagnol (Argentine) par Jacques Ancet.
Elle habitait un appartement minuscule au cœur de Buenos-Aires. Elle avait fait un voyage à Paris (voyage qui allait nourrir son imagination longtemps après son retour et au cours duquel elle rencontre Julio Cortazar et André Pieyre de Mandiargues, deux figures-clés dans sa vie) et par la suite elle ne sortit quasiment plus de l’espace clos de ses quatre murs, où elle écrivait, dormait (mal) et recevait ses amis. Près de son bureau, elle avait épinglé une phrase d’Artaud : «Il fallait d’abord avoir envie de vivre ».
[…] Dans son journal, le 30 octobre 1962, après avoir cité Don Quichotte (« Mais ce qui fit le plus plaisir à Don Quichotte fut le silence merveilleux qui régnait dans toute la maison… »), elle a écrit : « Ne pas oublier de me suicider. » Le 25 septembre 1972, elle s’en est souvenue.
Alberto Manguel – extrait de sa postface dans « Alejandra Pizarnik – Oeuvres poétiques » – Acte Sud (2005)