Personne ne sait encore si tout ne vit que pour mourir ou ne meurt que pour revivre.
Marguerite Yourcenar – Anna, soror… (1981)
Borges a-t-il vraiment écrit ce poème inspiré par ses ultimes moments de vie ? Peut-être ! Ou peut-être pas !
Qu’importe ! Rien n’interdit d’imaginer notre vieux maître, si curieux, si sympathique, le dictant à un des étudiants qui remplissaient régulièrement auprès de lui – et avec délectation – la fonction de « lecteur ».
Tout invite à l’adopter celui qui, au même âge ou presque que l’auteur, trouve modestement à travers ses évocations un miroir où plonger son propre regard introspectif.
Instants
Si je pouvais de nouveau vivre ma vie,
dans la prochaine je tâcherais de commettre plus d’erreurs.
Je ne chercherais pas à être aussi méticuleux, je me relacherais plus.
Je serais plus bête que je ne l’ai été,
en fait je prendrais très peu de choses au sérieux.
Je mènerais une vie moins hygiénique.
Je courrais plus de risques,
je voyagerais plus,
je contemplerais plus de crépuscules,
j’escaladerais plus de montagnes, je nagerais dans plus de rivières.
J’irais dans plus de lieux où je ne suis jamais allé,
je mangerais plus de crèmes glacées et moins de fèves,
j’aurais plus de problèmes réels et moins d’imaginaires.
J’ai été, moi, l’une de ces personnes qui vivent sagement
et pleinement chaque minute de leur vie ;
bien sûr, j’ai eu des moments de joie.
Mais si je pouvais revenir en arrière, j’essaierais
de n’avoir que de bons moments.
Au cas où vous ne le sauriez pas, c’est de cela qu’est faite la vie,
seulement de moments ; ne laisse pas le présent t’échapper.
J’étais, moi, de ceux qui jamais
ne se déplacent sans un thermomètre,
un bol d’eau chaude,
un parapluie et un parachute ;
si je pouvais revivre ma vie, je voyagerais plus léger.
Si je pouvais revivre ma vie
je commencerais d’aller pieds nus au début
du printemps
et pieds nus je continuerais jusqu’au bout de l’automne.
Je ferais plus de tours de manège,
je contemplerais plus d’aurores,
et je jouerais avec plus d’enfants,
si j’avais encore une fois la vie devant moi.
Mais voyez-vous, j’ai 85 ans…
et je sais que je me meurs.

Voilà bien quelqu’un qui m’a toujours intimidée…
et je suis fascinée par la façon dont tu t’empares de ce poème là où je t’entends autant que je l’entends lui…
Merci Lelius pour ce cadeau…
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Merci à toi !
Phénomène de résonances me semble-t-il. J’ai beaucoup d’affinités avec Borges, que j’ai découvert assez tard et par à-coups….
Je n’ai jamais cessé depuis d’envier le plaisir que pouvaient ressentir ces jeunes lecteurs qui le côtoyaient régulièrement alors que sa déficience visuelle augmentait. L’écrivain argentino-canadien Alberto Manguel étaient de ceux-là ; il a publié il y a une vingtaine d’années un petit ouvrage plein d’affection qui raconte cette période. Le titre (de mémoire) : « Chez Borges ».
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Merci pour ce magnifique cadeau…
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Merci Dominique d’avoir apprécié !
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Merci à vous car je n’avais encore rien lu de cet auteur et vous m’avez donné l’envie de combler ce manque…
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Pas une minute à perdre : lisez Borges, lisez ceux qui parlent de Borges ! Pénétrez ses contes ! Poussez la porte de ses courtes nouvelles pour découvrir les miroirs de l’infini ! Enivrez-vous de sa poésie ! Traversez ses labyrinthes ! Poussez les pièces sur ses échiquiers au cœur du Temps ! Saluez son élégance ! Régalez-vous de son intelligence, goûtez aux douces acidités de son ironie qui ne manque jamais de références et d’érudition ! Laissez-vous emporter dans ses rêves ! Avec lui caressez le Tigre.
Dominique, vous qui avez un goût certain pour le livre, vous ne manquerez pas de lire « La bibliothèque de Babel », courte nouvelle de 1941, « témoignage » d’un narrateur qui vit dans ce lieu unique.
Et pour une quinzaine de petits échantillons bien modestes vous pourrez taper « Borges » dans la barre de recherche de ce blog.
J’envie le plaisir qui vous attend.
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Je vous remercie pour toutes ces références. Je vois que vous êtes un passionné de Borges. Ce sera un prochain achat. Merci encore pour votre fougue littéraire.
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Un beau texte, une belle voix, c’est tout simplement magnifique ! Merci Lelius !
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Merci pour cet aimable accueil à une interprétation très personnelle de cet émouvant poème !
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