Musiques à l’ombre – 16 – Dégustation

Les grands amateurs de vins disent avec juste raison qu’un simple et bon rôti est de loin le mets le mieux adapté à une dégustation, aucun goût d’aucune sorte ne venant altérer la sensibilité du palais et du nez, tout entiers dédiés aux crus proposés.

Nos oreilles obéissent aux mêmes lois, aussi rien de tel qu’une oeuvre connue et familière pour concentrer toute leur attention – et le plaisir de leur propriétaire – sur les vertus et qualités des musiciens qui l’interprètent.

Edvard Grieg  1843-1907

C’est pourquoi l’ombre de notre figuier accueillera pour la circonstance l’oeuvre la plus connue du plus nordique des compositeurs : Peer Gynt (suite N°1 – Op.46) de Edvard Grieg.
Ainsi serons-nous tout à la « dégustation » du Trondheim Symphony Orchestra (inconnu de votre serviteur jusqu’à ce jour) dirigé par leur formidable cheffe coréenne, Han-Na Chang, (violoncelliste prodige venue avec bonheur depuis quelques années à la direction d’orchestre), si expressive et si charismatique, et qui possède l’art magique de tenir en équilibre sur la pointe de sa baguette le souffle ténu de tout son orchestre. Les pianissimi qui concluent la mort de Aase sont prodigieux. – Ce n’est pas grande prophétie que d’imaginer cette jeune cheffe bientôt au pinacle des directeurs d’orchestre.

Manière ô combien agréable de redécouvrir le chef d’oeuvre que Grieg composa pour la pièce de théâtre éponyme de son compatriote Henrik Ibsen avant de reconsidérer ses partitions en deux suites orchestrales, conservant toutefois à chacun des tableaux musicaux l’expression programmatique qui était originellement la sienne.

Peer Gynt – Suite N°1 Op. 46 (1888)

1/ Au matinAllegro pastorale
Atmosphère douce et paisible pour ce lever du jour sur la campagne norvégienne sortant de sa torpeur nocturne.

2/ La mort de Aase  – Andante doloroso
Sombre mélodie pour accompagner le douloureux moment de la mort de Aase, la mère de Peer.

3/ Danse d’Anitra – Tempo di mazurka
Ambiance envoûtante et mystérieuse des danses orientales qui éloigne un temps l’auditeur des froideurs norvégiennes. Morceau le plus connu… et le plus « utilisé ».

4/ Dans l’antre du Roi de la Montagne – Alla marcia molto marcato, Più vivo, Stringendo al fine
Le pas lourd des créatures fantastiques martèle le sol de la caverne dans laquelle Peer Gynt s’est engagée. S’ensuivra  une course effrénée, dont la musique traduira la tension et l’excitation provoquées par le danger en rythmes emportés.

Trondheim Symphony Orchestra
Direction Han-Na Chang

La prise de vue est d’une rare qualité.
Comme il serait souhaitable d’avoir dans les mêmes conditions la Suite N°2 Op. 55

Peer Gynt ou les tribulations d’un vaurien plein d'imagination, passionné par les histoires fantastiques et qui rêvait de devenir roi.  
C'est le récit, tragique et drôle, du voyage allégorique et onirique d’un homme incapable de trouver dans sa vie le moindre motif de satisfaction, qui abandonne son village et celle qui pourrait le rendre heureux pour rejoindre ses chimères, espérant conquérir le monde. Il multipliera les conquêtes féminines, les contrées découvertes. il fera même fortune. Mais sa vie de débauche le ruinera. 
Vieux et seul, il reviendra vers sa terre natale, espérant y retrouver son amour abandonné et connaître, du moins l'espère-t-il, le véritable bonheur.
A l'instar des péripéties théâtrales du personnage, la musique de Grieg ne manque ni d'émotion ni de fantaisie.

Publié par

Avatar de Inconnu

Lelius

La musique et la poésie : des voies vers les êtres... Un chemin vers soi !

10 commentaires sur “Musiques à l’ombre – 16 – Dégustation”

    1. Volontiers, mais pas que… Un Château Yquem pour le velouté des timbres, un Côte-Rôtie pour le fruit et la richesse en tanin dans la caverne du roi, et puis un Château Pavie pour la profondeur de ses arômes et l’ivresse d’une danse…

      Bonne dégustation !

      Aimé par 1 personne

  1. L’histoire fatale de la plupart des hommes. N’est-ce pas ici la symbolique du rêve ?
    La musique est suave et exquise, tout en faisant jaillir une indéniable profondeur, celle de la tragédie ? …
    Merci pour ce beau billet.

    Aimé par 1 personne

    1. Merci à vous d’avoir apprécié mon choix !

      C’est en effet tout à la fois la symbolique du rêve par sa fantasmagorie, et l’histoire terrible des hommes confrontés à l’éternel besoin de conquête d’un ailleurs qui jamais ne leur donnera le bonheur du « séjour qu’ont bâti [leurs] aïeux ».

      Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.