Publiée (version audio) sur "Perles d'Orphée" le 18/05/2013
sous le titre "Le rythme du silence"
Supervielle semble à jamais mal déplié dans son temps, hors d‘âge, hors des tumultes. Indifférent aux mouvements qui secouent la poésie contemporaine, surréalisme ou autre, il demeure classique, définitivement peu curieux de la modernité. Des échos de sa voix se retrouvent pourtant chez Philippe Jaccottet, et Yves Bonnefoy.
Son petit hublot de ciel donnait sur lui-même et ses fantômes intérieurs. Mais il avait choisi de vivre suivant sa devise :
« Et si nous regardions la vie par les interstices de la mort ? ».
Gil Pressnitzer
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Sous la chétive pesée de nos regards, le ciel nocturne est là, avec ses profondeurs, creusant nuit et jour de nouveaux abîmes, avec ses étincelants secrets, sa coupole de vertiges. Et nous vivrions dans la terreur de milliards d’épées de Damoclès si nous ne sentions au-dessus de nos têtes l’ordre, la beauté, le calme — et l’indifférence — d’un invulnérable chef-d’œuvre. L’aérienne, l’élastique architecture du ciel semble d’autant plus faite pour nous rassurer qu’elle n’emprunte rien aux humaines maçonneries. Celles-ci, même toutes neuves, ne songent déjà qu’à leurs ruines. L’édifice céleste est construit pour un temps sans fin ni commencement, pour un espace infini. Et rien n’est plus fait pour nous donner confiance que tout ce grave cérémonial dans l’avance et le rythme des autres, cette suprême dignité, et infaillible sens de la hiérarchie. Étoiles et planètes, gouvernées par l’attraction universelle, gardent leurs distances dans la plus haute sérénité.
Je crois aux anges musiciens mais je les vois jouer d’un archet muet sur un violon de silence. La plus belle musique — disons Bach — tend elle-même au silence. Jamais elle ne le ride, ne le trouble. Elle se contente de nous en donner des variantes qui s’inscrivent à jamais dans la mémoire.
Tout ce qu’il y a de grand au monde est rythmé par le silence : la naissance de l’amour, la descente de la grâce, la montée de la sève, la lumière de l’aube filtrant par les volets clos dans la demeure des hommes. Et que dire d’une page de Lucrèce, de Dante ou de d’Aubigné, du mutisme bien ordonné de la mise en page et des caractères d’imprimerie. Tout cela ne fait pas plus de bruit que la gravitation des galaxies ni que le double mouvement de la Terre autour de son axe et autour du Soleil… Le silence, c’est l’accueil, l’acceptation, le rythme parfaitement intégré. (…)

(in Prose et proses – Rythmes célestes)
Ah cette dernière phrase…et comme je suis sensible à cette notion d’accueil…
Merci Lelius…
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Merci à toi d’avoir reçu ce partage avec bonheur !
Le voyage me paraît être un juste symbole de l’acceptation et de l’accueil, de la rencontre avec l’autre et avec soi-même. Le véhicule de ce voyage : le silence.
Mais le voyage n’est-il pas aussi la forme allégorique du passage de la vie à la mort ? Supervielle aimait à dire de lui-même qu’il était « né sous les signes jumeaux du voyage et de la mort. »
L’école qui aujourd’hui n’apprend plus grand chose à personne gagnerait un jour à faire découvrir Supervielle à quelques élèves de bonne volonté… Et, peut-être à quelques enseignants. – On a le droit de rêver !
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Je fais ça, toujours, obstinément…
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Les instruments se reposent.
Tu crois aux anges musiciens,
mais ils gardent leur distance :
c’est bien peu de chose.
Une vibration dans le silence,
…. presque rien.
Des interstices qui sont comblés
par quelques notes hors de portée,
petits symboles porteurs de son
qui attendent le violon
la contrebasse, le clavecin
– et le retour des musiciens –
La composition s’éclaire
avec un peu de lumière
dès que les premières notes se posent
Oh, c’est quelque chose
que l’on ne peut saisir ,
car la musique en improvisation
se passe de partition.
Elle est en devenir…
les anges ont saisi leur violon…
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Jolie composition !
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