Quarante années plus tard (entre 1820 et 1821), un jeune musicien viennois au génie affirmé, Franz Schubert, après plusieurs ébauches, donne sa forme définitive au lied qu’il a composé sur les paroles du Maître du romantisme allemand qu’il admirait tant :
« Gesang der Geister über den Wassern »
(Chant des esprits au-dessus des eaux)
L’âme des hommes
Est comme l’eau :
Elle vient du ciel,
Et vers le ciel s’élève,
Pour à nouveau
Vers la terre redescendre,
Éternellement changeante.
Depuis les hautes et abruptes
Parois elle s’élance
Pure lumière
Qui gracieusement se pulvérise
En nuages humides
Sur les rochers lustrés.
Onde légèrement posée
Elle fuit, furtive
Dans un léger murmure
Vers la faille profonde.
Quand les rochers rebelles
S’opposent à sa chute,
Elle écume, grincheuse,
Et par niveaux subtils
S’enfonce dans l’abîme.
Dans son lit apaisé,
Elle paresse aux abords du vallon,
Et c’est dans l’onde unie d’un lac
Que tous les astres
Baignent leur face.
Le vent pour la vague
Est amant caressant ;
Il brasse profondément
Et le flot et l’écume.
Âme de l’homme,
Comme tu ressembles à l’eau !
Destin de l’homme,
Comme tu ressembles au vent.
&

Personne autant que Franz Schubert n’aura aussi généreusement flatté les poètes de son temps : plus de six cents lieder – dont 71 sur des poésies de Goethe – en quinze ans d’une courte vie, sans qu’aucun d’entre eux n’autorise encore aujourd’hui qu’on le qualifie de banal ou de superflu.
Avec « Gesang der Geister über den Wassern » D 714, Schubert atteint, une fois encore, au sublime, prenant ici – ainsi qu’il le fera souvent à cette période – le parti de traiter les voix de groupe comme la voix soliste du lied accompagnée au piano.
Confronté à la consistance du texte, et pour doter le chant d’une gamme plus étendue d’expression des affects, le compositeur a choisi de faire servir l’œuvre par un chœur d’hommes à 8 voix. accompagné d’une formation instrumentale constituée de 2 violons, 2 violoncelles et une contrebasse.

Dès le début, fidèle à la symbolique du poème, et en écho au parallèle qu’établit d’emblée Goethe entre l’eau et l’âme humaine, Schubert, par la très lente montée des premiers accords graves des cordes, souligne la réflexion thématique des premiers vers. Le tempo retenu et les basses sonorités qui introduisent les voix suggèrent déjà la spiritualité du propos. Le chœur conservera tout au long de cette strophe introductive le ton tranquille de l’évidence affirmée.
Puis le poème devient descriptif, suit les pérégrinations de l’eau dont la chute métamorphose les apparences, et la musique s’anime au rythme de ses mutations ; elle glisse avec l’onde ; la variation des contrastes et les changements d’intensité font miroir aux images. Et quand, à la fin de cette deuxième strophe, l’eau « murmure dans les profondeurs d’en bas », les violoncelles et la contrebasse accompagnent doucement, de façon mimétique, ce moment d’apaisement.
Pareille à l’âme humaine qui rage, aux prises avec ses passions, l’eau, précipitée du surplomb des falaises, colère contre la roche qu’elle martèle ; le tempo devient plus alerte, les cordes vibrent au rythme effréné de la chute. Et le repos survient qui offre à l’étoile de contempler son propre reflet ; la mélodie s’étire en douces harmonies qu’elle prolonge pour chanter l’union de la vague et du vent qui l’emportent.
Enfin, soutenu par les basses profondes des cordes, le chant retrouve son recueillement du début pour confirmer sereinement la pensée métaphorique du poète.
Seele des Menschen,
Wie gleichst du dem Wasser !
Schicksal des Menschen,
Wie gleichst du dem Wind
Âme de l’homme,
Comme tu ressembles à l’eau !
Destin de l’homme,
Comme tu ressembles au vent !
&
Chœur des solistes norvégiens & Oslo Camerata
Direction : Grete Pedersen
Concert d’ouverture
Oslo International Church Music Festival 2011
&&&
Une réflexion sur “Le chant des esprits au-dessus des eaux – 2/2 – Schubert”