Je vous propose une citation de Saint-Augustin. Elle me paraît très appropriée.
Il a écrit :
— … Qu’est-ce que le temps ? Si l’on ne me pose pas la question, je sais ce qu’est le temps. Si l’on me pose la question, je ne le sais plus.
J’éprouve un sentiment identique en ce qui concerne la poésie.

in « L’Art de la poésie »
(Six conférences à Harvard -1967)
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Art poétique
Voir que le fleuve est fait de temps et d’eau,
Penser du temps qu’il est un autre fleuve,
Savoir que nous nous perdons comme un fleuve
Et que les destins s’effacent comme l’eau.
Voir que la veille est un autre sommeil
Qui se croit veille, et savoir que la mort
Que notre chair redoute est cette mort
De chaque nuit, que nous nommons sommeil.
Voir dans le jour, dans l’année, un symbole
De l’homme, avec ses jours et ses années ;
Et transmuer l’outrage des années
En musique, en rumeur, en symbole.
Faire de mort sommeil, du crépuscule
Un or plaintif, voilà la poésie
Pauvre et sans fin. Revient la poésie
Comme chaque aube et chaque crépuscule.
Parfois le soir, il émerge un visage
Qui nous épie de l’ombre d’un miroir ;
J’imagine que l’art ressemble à ce miroir
Qui nous révèle notre propre visage.
On nous dit qu’Ulysse, fatigué de merveilles,
Sanglota de tendresse en voyant son Ithaque
Modeste et verte. L’art est cette Ithaque,
Verte d’éternité et non pas de merveilles.
Il est aussi le fleuve sans fin
Qui passe et demeure, et reflète le même
Inconstant Héraclite, le même
Mais autre, tel le fleuve sans fin.
Jorge Luis Borges – 1960 –
traduit par Nestor Ibarra
Arte poética
Mirar el río hecho de tiempo y agua
y recordar que el tiempo es otro río,
saber que nos perdemos como el río
y que los rostros pasan como el agua.
Sentir que la vigilia es otro sueño
que sueña no soñar y que la muerte
que teme nuestra carne es esa muerte
de cada noche, que se llama sueño.
Ver en el día o en el año un símbolo
de los días del hombre y de sus años,
convertir el ultraje de los años
en una música, un rumor y un símbolo,
Ver en la muerte el sueño, en el ocaso
un triste oro, tal es la poesía
que es inmortal y pobre. La poesía
vuelve como la aurora y el ocaso.
A veces en las tardes una cara
nos mira desde el fondo de un espejo;
el arte debe ser como ese espejo
que nos revela nuestra propia cara.
Cuentan que Ulises, harto de prodigios,
lloró de amor al divisar su Itaca
verde y humilde. El arte es esa Itaca
de verde eternidad, no de prodigios.
También es como el río interminable
que pasa y queda y es cristal de un mismo
Heráclito inconstante, que es el mismo
y es otro, como el río interminable.
Jorge Luis Borges (1899-1986) – El Hacedor (1960)
Quel beau choix en ce temps qui s’étire interminablement…
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… Et quelle meilleure compagnie que la poésie, n’est-ce pas, pour s’enivrer de la plénitude de l’instant…
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