Un cœur en automne /9 : Keats – « To Autumn »

* Ici repose celui dont le nom était écrit dans l’eau. (Épitaphe gravée sur la tombe de John Keats, conformément à son désir, et telle qu’il l’a lui-même composée.)
 "John Keats fut le poète de l’effacement, l’amoureux de l’obscur. Celui d’une étrange alchimie entre une douce mélancolie et l’attrait de la douce mort. Il fut aussi un poète profondément épris d’éthique et de morale, d’affects romantiques et de visions transcendantes. [...]

Comme tout poète lyrique anglais romantique, il aura aimé célébrer la solitude, et la nuit, la nature immuable, le sommeil et le pays d’or à jamais perdu de la Grèce, ses dieux et ses titans ombrageux, ses amants de la Lune et ses légendes.

Pourtant sa voix, longtemps méconnue de son vivant, est unique et singulière, admirée presque à l’égal de Shakespeare. Il reste celui que l’on aime tendrement, tant il semble fragile et évanescent, une sorte de frère cadet en poésie. [...]

Ses vers semblent s’évaporer et il nous parle souvent entre rêverie et effacement.

D’une voix douce venant des bords de l’oubli il nous donne à boire une eau de mémoire puisée dans les ruisseaux de l’innocence. [...]

[Sa poésie] est gorgée d’images et de désirs, de formules magiques d’un autre temps et de deuils jamais cicatrisés. Comme brume monte de ses mots une profonde mélancolie.

Elle est une alchimie des regrets et des espérances.

Ses odes, partie centrale de son œuvre, sortent de la terre et flottent dans la fumée."

— Extraits de l'article "John Keats - Les rêveries de l'effacement" publié sur le site "Esprits Nomades." 

Des six odes écrites par John Keats en 1819, la dernière, l’Ode à l’Automne, considérée par beaucoup comme un sommet de la poésie romantique de langue anglaise, fait figure de testament poétique du grand écrivain, tant elle précède de peu sa disparition.

Depuis la fin de l’été jusqu’aux premiers frimas de l’hiver, l’automne, traversé comme un long jour crépusculaire, offre au poète son foisonnement de largesses et de beautés ; mais jamais cette maturité féconde de la nature ne manque d’évoquer l’inévitable déclin dont elle est le vivant symbole.

TO AUTUMN

Ode à l’automne

Traduction : Robert Davreu

I

Saison de brumes et de moelleuse profusion,
Tendre amie du soleil qui porte la maturité,
Avec lui conspirant à bénir d’une charge de fruit
Les treilles qui vont courant le long des toits de chaume ;
A courber sous les pommes les arbres moussus des fermettes
Et à gorger de suc tous les fruits jusqu’au cœur ;
A boursouffler la courge et grossir les coques des noisettes
D’un succulent noyau ; à faire éclore plus
Et toujours plus encore de fleurs tardives en pâture aux abeilles,
Au point qu’elles croient que les chaudes journées jamais ne cesseront,
Tant l’été à pleins bords a rempli leurs visqueux rayons.

II

Qui ne t’a vue souvent parmi tes trésors ?
Parfois qui va te chercher loin, il se peut qu’il te trouve
Assise nonchalante sur une aire de grange.
Les cheveux doucement soulevés par le vent du vannage ;
Ou gagnée d’un sommeil profond sur un sillon à demi moissonné,
Somnolente aux vapeurs des pavots, tandis que ta faucille
Épargne le prochain andain et tout son entrelacs de fleurs ;
Et parfois telle une glaneuse, tu gardes bien droite
Ta tête sous sa charge en passant un ruisseau ;
Ou bien, près d’un pressoir à cidre, d’un regard patient
Tu surveilles les dernières coulées des heures et des heures durant.

III

Où sont les chansons du Printemps ? Oui, où sont-elles ?
N’y pense plus, tu as toi aussi ta musique,
Tandis que les stries des nuages fleurissent le jour qui doucement se meurt
Et teintent les plaines d’éteules d’une touche rosée ;
Alors, en un chœur plaintif, les petits moucherons se lamentent
Parmi les saules de la rivière, et montent
Ou retombent selon que le vent vit ou meurt ;
Et les agneaux déjà grands bêlent haut depuis les confins des collines ;
Les grillons des haies chantent ; et voici qu’en doux trilles
Le rouge-gorge siffle dans un jardin clos,
Et que les hirondelles qui s’assemblent gazouillent dans les cieux.

In « John Keats – Seul dans la splendeur » 1990
Éditions Points 2009

John Keats (1795-1821) – portraitiste inconnu

Ode à l’automne

Traduction : Albert Laffay

I

Saison des brumes et de la moelleuse abondance,
La plus tendre compagne du soleil qui fait mûrir,
Toi qui complotes avec lui pour dispenser tes bienfaits
Aux treilles qui courent au bord des toits de chaume,
Pour faire ployer sous les pommes les arbres moussus des enclos,
Et combler tous les fruits de maturité jusqu’au cœur,
Pour gonfler la courge et arrondir la coque des noisettes
D’une savoureuse amande ; pour prodiguer
Et prodiguer encore les promesses de fleurs tardives aux abeilles,
Au point qu’elles croient les tièdes journées éternelles,
Car l’Été a gorgé leurs alvéoles sirupeux.

II

Qui ne t’a vue maintes fois parmi tes trésors ?
Parfois celui qui va te chercher te découvre
Nonchalamment assise sur l’aire d’une grange,
Les cheveux soulevés en caresse par le souffle du vannage,
Ou profondément endormie sur un sillon à demi moissonné,
Assoupie aux vapeurs des pavots, tandis que ta faucille
Épargne l’andin suivant et toutes les fleurs entrelacées ;
Quelquefois, telle une glaneuse, tu portes droite
Ta tête chargée de gerbes en passant un ruisseau,
Ou encore, près d’un pressoir à cidre, tes yeux patients
Regardent suinter les dernières gouttes pendant des heures et des heures.

III

Où sont les chants du printemps ? Oui, où sont-ils ?
N’y pense plus, tu as aussi tes harmonies :
Pendant que de longues nuées fleurissent le jour qui mollement se meurt,
Et nuancent d’une teinte vermeille les chaumes de la plaine,
Alors, en un chœur plaintif, les frêles éphémères se lamentent
Parmi les saules de la rivière, soulevés
Ou retombant, selon que le vent léger s’anime ou meurt ;
Et les agneaux déjà grands bêlent à pleine voix là-bas sur les collines ;
Les grillons des haies chantent ; et voici qu’en notes hautes et douces
Le rouge-gorge siffle dans un jardin
Et que les hirondelles qui s’assemblent trissent dans les cieux.

John Keats – « Les Odes »

Publié par

Lelius

La musique et la poésie : des voies vers les êtres... Un chemin vers soi !

6 réflexions au sujet de “Un cœur en automne /9 : Keats – « To Autumn »”

    1. Oh ! Non ! Je ne pouvais pas passer à côté de « Bright Star »… J’aime tellement le cinéma de Jane Campion. Après avoir été enthousiasmé par « La leçon de piano », j’ai adoré « Portrait de femme », si juste, si beau, si émouvant. Aurais-je pu manquer les amours de Keats, au bout de sa courte vie, et de Fanny Brawne, mises en scène par une telle réalisatrice ?
      J’ai lu que son prochain film, « The power of the dog », était programmé pour 2020…!?

      Aimé par 1 personne

      1. Je suis heureuse que vous connaissiez et aimiez « Bright Star » ! Je m’aperçois que je n’ai pas vu par contre « Portrait de femme », un oubli à réparer ! Quant au « power of the dog » je vais suivre de très près sa sortie 🙂 Bonne soirée Lelius !

        Aimé par 1 personne

    1. Grand merci pour l’intérêt que vous accordez à mes billets. Soyez la bienvenue sur les pages de ce blog. Je ne manquerai pas de vous rendre visite à mon tour.
      A bientôt !

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