Flâner entre le rêve et le poème… Ouvrir la cage aux arpèges… Se noyer dans un mot… S'évaporer dans les ciels d'un tableau… Prendre plaisir ou parfois en souffrir… Sentir et ressentir… Et puis le dire – S'enivrer de beauté pour se forcer à croire !
Peu de risque, dans l’intimité des salons de musique, de se faire mordre par une tarentule, et partant, d’y surprendre quelques danseurs aux pieds nus sautillant jusqu’à la transe. Cela ne signifie nullement pourtant que la Tarentelle n’aura pas trouvé sa place dans l’atmosphère feutrée des lieux ni qu’elle y aura perdu son entrain et sa bonne humeur, en abandonnant un peu de sa mythologie.
Tarentelle à la chambre
William Henry Squire 1871-1963 « Tarantella » Op. 23 Susanne Beer (violoncelle) Frederic Bager (piano)
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Camille Saint-Saëns 1835-1921 « Tarentelle en La mineur » Op. 6 Pour flûte, clarinette et piano Trio Dobona
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David Popper 1843-1913 « Tarantella » Amit Peled violoncelle) Noreen Polera (piano)
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À quoi la musique fait appel en nous, il est difficile de le savoir. Ce qui est certain, c’est qu’elle touche une zone si profonde que la folie elle-même n’y saurait pénétrer.
La musique, les rythmes, la danse et ses sources multiples, la légende, tout dans la tarentelle des villages était fait pour séduire les compositeurs et chorégraphes. Ils ne tarderont pas à l’intégrer dans leurs créations. Et voilà que, grâce à Tchaïkovski, Rossini, Chopin, Balanchine, entre autres, cette joyeuse exultation populaire va conquérir les scènes des grands théâtres, pour le bonheur de tous :
Tarentelle en scène
George Balanchine 1904-1983 (chorégraphie) « Tarantella » Musique de Louis Mauro Gottschalk 1829-1869 Maia Makhateli & Remi Wortmeyer (danseurs)
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Vladimir Vassiliev18 avril 1940 (chorégraphie) « Tarentelle » du Ballet « Anyuta » (1982) Musique de Valeri Gavrilin 1939-1999 Amanda Gomes (danseuse)
« Anyuta » est un ballet en deux actes d’abord créé pour la télévision soviétique en 1982 avant d’être adapté pour la scène. L’œuvre est une fusion réussie de la danse classique et d’une narration théâtrale émouvante, inspirée d’une nouvelle de Tchekhov, « Anne au cou ».
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Gioacchino Rossini 1792-1868 « La Danza » Joyce Di Donato (soprano) Antonio Pappano (piano)
Rossini écrit cette pièce en 1835 sur des paroles du librettiste Carlo Pepoli, pour un cycle de mélodies inspirées de thèmes folkloriques, « Soirées musicales ». Les transcriptions pour orchestre d’abord, pour piano seul par Franz Liszt ensuite, et l’intégration de l’œuvre par Ottorino Respighi dans un de ses ballets provoquent l’immense succès de « La Danza », qui ne s’arrêtera pas avec le temps – en témoigne notre cinéma.
Già la Luna è in mezzo al mare, Mamma mia si salterà: L’ora è bella per danzare; Chi è in amor non mancherà!
Presto in danza a tondo a tondo… Donne mie venite quà: Un garzon bello e giocondo A ciascuna toccherà.
Fin che in ciel brilla una stella, E la luna splenderà; Il più bel con la più bella Tutta notte danzerà.
Mamma mia, mamma mia, già la luna è in mezzo al mare, mamma mia, mamma mia, mamma mia si salterà. Frinche frinche frinche frinche mamma mia, si salterà, La la ra la ra…
Salta, salta, gira, gira, Ogni coppia a cerchio va, Già s’avvanza, si ritira, E all’ assalto tornerà.
Serra, serra colla bionda, Colla bruna va quà e là, Colla rossa va a seconda, Colla smorta fermo sta.
Viva il Ballo a tondo, a tondo Sono un Rè, sono un Bascià, È il più bel piacer del mondo, La più cara voluttà!
Mamma mia, mamma mia, già la luna è in mezzo al mare, mamma mia, mamma mia, mamma mia si salterà. Frinche frinche frinche frinche mamma mia, si salterà, La la ra la ra…
Déjà la lune est sur la mer, Mamma mia, on sautera ! L’heure est belle pour danser, qui est amoureux n’y manquera.
Vite dansons en rond, en rond, Toutes mes femmes venez là, Un garçon beau et joyeux Pour chacune il y aura,
Tant qu’au ciel brille une étoile Et que la lune resplendira. Le plus beau avec la plus belle Toute la nuit dansera.
Mamma mia, mamma mia, Déjà la lune est sur la mer, Mamma mia, mamma mia, Mamma mia, on sautera. Frinche, frinche, frinche, Mamma mia, on sautera. La ! la ra la ra
Saute, saute, vire, vire, Chaque couple en cercle va, Il s’avance et il recule Et à l’assaut retournera.
Vite, vite, avec la blonde, Avec la brune va çà et là Avec la rousse va une seconde, Avec la pâle arrête-toi.
Vive le bal en rond en rond, Je suis un Roi, je suis un Pacha, C’est le plus beau plaisir du monde La plus chère volupté.
Mamma mia, mamma mia, Déjà la lune est sur la mer, Mamma mia, mamma mia, Mamma mia, on sautera. Frinche, frinche, frinche, Mamma mia, on sautera. La ! la ra la ra
Une injonction vitale née d’une d’une croyance populaire ancrée dans la peur. Au Moyen Âge, dans la région des Pouilles en Italie, les paysans pensaient que la morsure de l’araignée tarentule (Lycosa tarentula) provoquait une maladie, le tarentisme. Ses symptômes : prostration, anxiété, douleurs et convulsions, capables de provoquer la mort. La seule manière d’en guérir, selon la tradition, était de se livrer à une danse frénétique jusqu’à l’épuisement total. Mais encore fallait-il, selon la légende, pour que cesse l’effet du venin, que la danse plût à la grosse bête.
La Tarentelle était née. Et pour accompagner cette frénésie de piétinements et de soubresauts destinés à mimer jusqu’à la transe les mouvements désordonnés de l’araignée, la musique. Indispensable musique et son rythme effréné porté par les tambourins, accordéons, guitares, fifres et autres mandolines.
L’effrayante tarentule trouvait ainsi sa voie royale vers la postérité, la grande porte de la musique. Avec le temps, les tarentelles populaires et campagnardes, perdant leur intention mystique originelle, deviendront musiques de fêtes, ballades sentimentales, parfois mélancoliques, sur des rythmes moins endiablés. Cette danse entrainante, avec toutes ses variantes régionales, devenue l’expression de l’identité culturelle du sud de l’Italie, ne tardera pas à inspirer les compositeurs classiques – et chorégraphes – qui transporteront cette musique joviale et gaillarde des places de villages jusqu’aux salons huppés et aux scènes prestigieuses.
Tarentelle au village
– Tarentelles populaires –
Quelques exemples…
« Pizzica di San Vito dei Normanni » Vincenzo Capezzuto (voix) Anna Dego (danse) Ensemble L’Arpeggiata – Christina Pluhar
Jusqu’à la transe…
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« Pizzica di Aradeo » Claudia De Siato (voix) Marta Grazia (danse) Ensemble Terra Taranta
Dansez tous, dansez fort, car la tarentule est vivante, bien vivante.
Si c'est une tarentule, laissez-la danser, mais si c'est la mélancolie, chassez-la.
Où t'a-t-elle piqué pour que tu ne te sentes pas bien ? Tout au creux de la poitrine, prends la rose, porte-la sur ton cœur, au milieu du creux du cœur.
Si tu vois que ton pied bouge, c'est le signe qu'il veut danser.
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« Tarantella del Gargano » Lina Sastri Teatro Bellini di Napoli – 2012
Une forme moins agitée de Tarentelle, plus mélodique et poétique. Pièce emblématique du répertoire populaire. Ses paroles en dialecte local, racontent une histoire d’amour courtoise et passionnée. C’est un dialogue entre un homme qui exprime son amour et sa souffrance, et la femme qui lui répond. La musique cherche à créer une atmosphère à la fois joyeuse et mélancolique, oscillant entre l’ardeur du désir et la tristesse de l’éloignement.
Athanasius Kircher, un jésuite allemand du XVIIème siècle, est une figure importante et fascinante dans l’histoire du tarentisme et de la tarentelle. Bien qu’il n’ait pas directement assisté aux rituels de guérison, son travail a joué un rôle crucial dans la diffusion de la connaissance sur ce phénomène en Europe. Il a lui-même composé quelques tarentelles à partir des récits qu’il a recueillis durant ses séjours à Rome.
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Qu’on me laisse rêver qu’une immense armée de tarentules s’abattra sur le monde rugueux et irascible pour que toutes les places de tous ses villages s’animent enfin aussi joyeusement !