Parlez-moi d’amour – 11 – ‘Il passa’

Fulgurances – LIII – Parler, partir

Le bruit des arbres

Je me suis toujours demandé 

Pourquoi nous aimons supporter

Plus que tout autre bruit

Le bruit que font les arbres, sans répit,

Si près de nos demeures.

Nous les souffrons heure après heure

Et nous en perdons notre sens

Du mouvement et de la permanence

Des joies ; nous écoutons et nous semblons autre part.

Ils parlent de départ

Et ne partent jamais,

Ils parlent, bien qu’ils sachent,

Devenus vieux et sages,

Qu’ils sont là à jamais.

Mes pieds se cramponnent au sol

Et ma tête oscille sur mes épaules,

Quelques fois, quand, de la fenêtre ou de la porte,

Je vois les arbres osciller.

Je partirai pour quelque part,

Je ferai témérairement ce choix

Un jour où ils seront en voix

Et s’agiteront au point d’effrayer

Et de faire se sauver

Les grands nuages blancs.

Je parlerai moins qu’eux,

Mais moi je partirai.

Traduction : Roger Asselinau

The sound of trees

I wonder about the trees.
Why do we wish to bear
Forever the noise of these
More than another noise
So close to our dwelling place ?
We suffer them by the day
Till we lose all measure of pace,
And fixity in our joys,
And acquire a listening air.
They are that that talks of going
But never gets away ;
And that talks no less for knowing,
As it grows wiser and older,
That now it means to stay.
My feet tug at the floor
And my head sways to my shoulder
Sometimes when I watch trees sway,
From the window or the door.
I shall set forth for somewhere,
I shall make the reckless choice
Some day when they are in voice
And tossing so as to scare
The white clouds over them on.
I shall have less to say,
But I shall be gone.

‘A bouche perdue’

A bouche perdue

Je voudrais te parler à bouche perdue
Comme on parle sans fin dans les rêves
Te parler des derniers jours à vivre
Dans la vérité tremblante de l’amour
Te parler de toi, de moi, toujours de toi
De ceux qui vont demeurer après nous
Qui ne connaîtront pas l’odeur de notre monde
Le labyrinthe de nos idées mêlées
Qui ne comprendront rien à nos songes
A nos frayeurs d’enfants égarés dans les guerres
Je voudrais te parler, ma bouche contre ta bouche
Non de ce qui survit ni de ce qui va mourir
Avec la nuit qui déjà commence en nous
De nos vieilles blessures ni de nos défaites
Mais des étés qui fleuriront nos derniers jours
J’ai tant de choses à te dire encore
Que ce ne serait pas assez long ce qui reste de mon âge
Pour raconter de notre amour les sortilèges
Je voudrais retrouver les mots de l’espoir ivre
Pour te parler de toi, de tes yeux, de tes lèvres
Et je ne trouve plus que les mots amers de la déroute
Je voudrais te parler, te parler, te parler

Albert Ayguesparse 1900-1996

 

Les armes de la guérison – Éditions André De Rache / 1973