Flâner entre le rêve et le poème… Ouvrir la cage aux arpèges… Se noyer dans un mot… S'évaporer dans les ciels d'un tableau… Prendre plaisir ou parfois en souffrir… Sentir et ressentir… Et puis le dire – S'enivrer de beauté pour se forcer à croire !
Devenue reine d’Écosse après avoir tant exhorté son époux à commettre l’odieux régicide qui les a conduits tous deux sur le trône, Lady Macbeth, hantée par le remords et la culpabilité vient de se donner la mort.
Très affecté par cette nouvelle, le roi Macbeth délivre ces quelques réflexions intimes sur le sens de la vie dans un célèbre soliloque.
Roi et criminel, on n’en est pas moins homme :
MACBETH :
She should have died hereafter ; There would have been a time for such a word.— Tomorrow, and tomorrow, and tomorrow, Creeps in this petty pace from day to day, To the last syllable of recorded time ; And all our yesterdays have lighted fools The way to dusty death. Out, out, brief candle ! Life’s but a walking shadow ; a poor player, That struts and frets his hour upon the stage, And then is heard no more. It is a tale Told by an idiot, full of sound and fury, Signifying nothing.
Acte V, Scène 5.
MACBETH
Elle aurait dû attendre pour mourir ; Le moment serait toujours venu de prononcer ces mots. Demain, et puis demain, et puis demain, Glisse à petits pas de jour en jour, Jusqu’à la dernière syllabe du registre du temps ; Et tous nos hiers n’ont fait qu’éclairer pour des fous Le chemin de la mort poussiéreuse.
Éteins-toi, éteins-toi, courte flamme ! La vie n’est qu’une ombre errante ; un pauvre acteur Qui s’agite et se pavane son heure durant sur la scène Et puis qu’on n’entend plus ; c’est une fable Dite par un idiot, pleine de fracas et de fureur, Et qui ne signifie rien.
William Edward Frost (1810-1877) – Les trois sorcières de Macbeth
Écailles de dragon et dents de loup,
Momie de sorcière, estomac et gosier
Du vorace requin des mers salées,
Racine de ciguë arrachée dans la nuit,
Foie de juif blasphémateur,
Fiel de bouc, branches d’if
Coupées pendant une éclipse de lune,
Nez de Turc et lèvres de Tartare,
Doigt de l’enfant d’une fille de joie
Mis au monde dans un fossé et étranglé en naissant…
Shakespeare – Macbeth – Acte IV-Scène 1 – Troisième sorcière
Mais, faudra-t-il encore, jeune pianiste, ajouter dans ton chaudron bouillant crapaud macéré trente-et-un jours, fils de serpent des marais, œil de lézard, pied de grenouille, duvet de chauve-souris et langue de chien – j’en passe, et des meilleurs -, si tu veux que ton philtre, bouillon d’enfer, infuse jusque dans tes doigts la virtuosité indispensable à l’expression des débordements lyriques échevelés et de la luxuriance sonore dont l’autre sourd de la musique, Bedrich Smetana, fervent admirateur du grand Franz Liszt, para jadis sa fantaisie concertante :
« Macbeth et les sorcières ».
Bedrich Smetana 1824-1884
Redoublons, redoublons de travail et de soins : Feu, brûle ; et chaudron, bouillonne.
Shakespeare – Macbeth – Acte IV-Scène 1 – Trois sorcières
Redoublant de travail, à l’instar des sorcières que Shakespeare mit, au début de l’acte IV, sur le chemin de Macbeth, tu n’oublieras pas, ô scrupuleuse pianiste, ni le trouble intérieur du héros dramatique, ni la perversité de ses actions, ni la fragilité de son pouvoir. Et toujours devras-tu percevoir, vaporeux inquiétant filigrane, l’impalpable mystère des mondes surnaturels.
Car c’est bien la représentation musicale de cette scène de l’illustre pièce du plus admiré des dramaturges que, fidèle au choix inspiré du compositeur, tu devras offrir à notre écoute imaginative.
Affute ta technique sur les dents d’un requin, égruge tes doigts sur l’ivoire du clavier, et que soufflent les puissances occultes à travers tes cadences ! Fais trembler le théâtre, et fais rugir Macbeth !
Marta Czech
jeune pianiste polonaise,
lauréate en 2019 du Concours des Jeunesses Musicales de Belgrade
« Macbeth et les sorcières » – op. posthume (composée en 1859)
Remarque à l’attention des pianistes : sorcellerie de compositeur, Smetana n’a pas joint la recette complète du chaudron magique à sa partition.
ƒƒƒ
Bedrich Smetana, compositeur Bohémien, né en 1824, est surtout connu aujourd'hui par la plus célèbre de ses oeuvres : La Moldau, poème symphonique écrit à la gloire de la rivière qui traverse Prague.Son admiration pour Franz Liszt et sa rencontre avec l'immense pianiste apparaissent comme un évènement central dans son évolution musicale, particulièrement depuis l'intensification de leur relation au cours de la période 1856-1861.À partir de 1857, Smetana répond aux poèmes symphoniques de Liszt par ses propres compositions telles que Richard III, Wallenstein's Camp ou Haakon Jarl. Ce travail aura un effet significatif sur son écriture pour le piano, ainsi que le démontrent, entre 1858 et 1861, ces Etudes de concert et le poème Macbeth et les sorcières. S'éloignant des critères habituels du piano tchèque, Smetana, sous l'influence de Liszt, innove, donne plus d'importance à la variété des textures musicales et aux éléments de virtuosité. Une manière d'annoncer la décennie musicale suivante...