
Chaque pulsation du cœur bat en harmonie avec le chant du grillon. Allez à contretemps si vous le pouvez.
Henry David Thoreau
S’il en est un qui ne nous reprochera pas de réchauffer la Terre, c’est bien lui, le ténor des herbes de nos champs roussis par le soleil d’été, le grillon. Mais n’imaginons pas que ses stridulations, choisies dans un répertoire mélodique aussi varié soit-il, nous sont adressées comme un chant de louanges, leur motivation est partagée entre sexe et pouvoir. Nature oblige.

C’est la fidélité, la constance, disons plutôt la sédentarité, de ce troubadour champêtre, que célèbre, à la fin du XVème siècle, le grand musicien de la Renaissance, Josquin des Prés, quand il compose « El Grillo ». Une stridulente « frottola »* pour quatre voix.
Comme tous les succès musicaux cette composition a connu au fil du temps un foisonnement de transcriptions et d’adaptations. Celle-ci, pour flûtes, cordes, tambourins et voix, au rythme vif et entraînant, s’offre comme une invite à partager quelques pas d’une danse joyeuse après les durs labeurs d’une journée à la ferme.
* musique rustique et populaire, ancêtre du madrigal.
Josquin des Prés (vers 1450/1455 – 1521)
« El Grillo »
Ensemble Voices of Music
| El grillo è buon cantore Che tiene longo verso. Dalle beve grillo canta. Ma non fa come gli altri uccelli Come li han cantato un poco, Van de fatto in altro loco Sempre el grillo sta pur saldo, Quando la maggior el caldo Alhor canta sol per amore. | Le grillon est bon chanteur. Il chante et tient longtemps. Donnez à boire et grillon chante. Il n’est pas comme les oiseaux Qui ont chanté un peu Puis s’envolent ailleurs. Le grillon reste ou il est. Et quand la chaleur est très forte Il ne chante que pour l’amour. |

Qui sait si, l’hiver venu, longues antennes déployées, au plus près de nos fours et de nos cheminées, notre orthoptère-ménestrel devenu témoin discret de la vie du foyer – n’est-ce pas cher Monsieur Dickens ? –, n’est pas là pour nous protéger ?
Sait-il au fond de sa mémoire, comme le chante Jean Ferrat, que c’est du cœur de la nuit noire qu’on peut voir l’aube se lever ?
Jean Ferrat (1930 – 2010)
« Le Grillon »
Quand l’hiver a pris sa besace
Que tout s’endort et tout se glace dans mon jardin abandonné
Quand les jours soudain rapetissent
Que les fantômes envahissent la solitude des allées
Quand la burle secoue les portes
En balayant les feuilles mortes aux quatre coins de la vallée
Un grillon, un grillon, un grillon dans ma cheminée
Un grillon, un grillon, un grillon se met à chanter
Il n’a pourtant dans son assiette
Pas la plus petite herbe verte, la plus fragile graminée
À se mettre sous la luette
Quand le vent souffle la tempête et qu’il est l’heure de dîner
Que peut-il bien manger ou boire ?
À quoi peut-il rêver ou croire ? Quel espoir encore l’habiter ?
Un grillon, un grillon, un grillon dans ma cheminée
Un grillon, un grillon, un grillon se met à chanter
Son cri n’a d’autre raison d’être
Que son refus de disparaître de cet univers désolé
Pour le meilleur et pour le pire
Il chante comme je respire pour ne pas être asphyxié
Sait-il au fond de sa mémoire
Que c’est du cœur de la nuit noire qu’on peut voir l’aube se lever ?
Un grillon, un grillon, un grillon dans ma cheminée
Un grillon, un grillon, un grillon se met à chanter.
