Droit au cœur !

Que demain vous relisiez le Freischütz, ayant entendu hier Tannhäuser, vous aimerez encore la beauté des choses après celle des âmes ; dans la simplicité de la vie naturelle, vous en qui la vie intérieure et morale aura surabondé, vous goûterez une sensation délicieuse de rafraîchissement et de repos.

Camille Bellaigue – Revue des Deux Mondes, 4e période, tome 129 –

Coup de feu, coup de foudre, une seule destination : le cœur !

Coup de feu :
Le fatidique septième coup de feu sorti du fusil du jeune et naïf Max, par chance, et surtout par magie, n’a pas atteint le cœur de l’innocente colombe désignée, ni celui de la douce fiancée du malheureux tireur, Agathe, inopinément sortie du buisson qui la cachait. Un ermite passant par-là avait dévié la balle meurtrière vers Kaspar, complice de Samiel, l’envoyé du Diable qui s’était vainement réservé tout pouvoir sur la trajectoire de cette septième balle.

Coup de foudre :
C’est par la voix d’Agathe qu’il nous parvient, droit au cœur, alors qu’inquiétée par de sombres pressentiments, peu avant le satanique coup de feu, la future épouse de Max, déjà prête pour la cérémonie, implorait la protection du ciel.
Une prière parmi les plus émouvantes entendues sur les scènes d’opéra, composée par Carl Maria von Weber pour son célèbre « Freischütz », cavatine qui réunit au sommet une ferveur et un legato qui bouleversèrent le jeune Wagner lui-même, au point, dit-on, d’avoir influencé sa sensibilité artistique.

Der Freischütz – Acte III – scène 2 – Cavatine
Jeanine De Bique
(soprano)
Konzerthausorchester Berlin
Christoph Eschenbach
(direction)

AGATHE

Et même lorsque les nuages le cachent,
Le soleil demeure dans le ciel ;
Une volonté sainte régit le monde,
Et non point un hasard aveugle !
L’œil du Père, que rien ne saurait troubler,
Veille éternellement à toute créature !

Moi aussi qui me suis confiée à lui,
Je sais qu’il veille sur moi,
Et même si c’était là ma dernière journée,
Si sa parole m’appelait comme fiancée :
Son œil, éternellement pur et clair,
Me considère aussi avec amour !

Deidamia triste et furieuse

Joseph-Michel-Ange Pollet (1854) – Achille et Deidamie

Même si elle l’a rencontré au gynécée de son père, roi de Skyros, déguisé en fillette, et courtisé par Ulysse cherchant à le démasquer, Deidamie n’ignore pas que son amant est bien Achille, le héros destiné à sauver Troie assiégée.

Comment ne pas compatir à la tristesse de cette jeune princesse meurtrie lorsqu’elle apprend qu’il va la quitter pour défendre sa patrie alors que les oracles ont prédit la mort du héros au combat ? Comment ne pas partager la véhémence de sa colère, s’imaginant ainsi trahie ?

La voici justement, au comble de l’émotion, convaincante à l’extrême, sous les traits charmants et par la voix exceptionnelle de Jeanine de Bique, à cet instant de l’Acte III du dernier opéra italien de Haendel (1741), exprimant, et de quelle merveilleuse manière, son désespoir (largo) et son courroux (allegro).

N’en doutons pas, touché au coeur, Achille l’épousera avant son départ pour Troie.

M’hai resa infelice:
che vanto n’avrai?
Oppressi, dirai,
un’alma fedel.

Le vele se darai
de’ flutti al seno infido,
sconvolga orribil vento
l’instabil elemento,
e innanzi al patrio lido
sommèrgati, crudel.

Tu m’as rendue malheureuse
t’en vanteras-tu ?
Persécuteur
d’une âme fidèle.

Quand vers un traître sein
te porteront tes voiles,
que d’horribles tempêtes
déchainent les flots houleux,
et près de tes rivages
qu’ils te submergent, cruel !