Droit au cœur !

Que demain vous relisiez le Freischütz, ayant entendu hier Tannhäuser, vous aimerez encore la beauté des choses après celle des âmes ; dans la simplicité de la vie naturelle, vous en qui la vie intérieure et morale aura surabondé, vous goûterez une sensation délicieuse de rafraîchissement et de repos.

Camille Bellaigue – Revue des Deux Mondes, 4e période, tome 129 –

Coup de feu, coup de foudre, une seule destination : le cœur !

Coup de feu :
Le fatidique septième coup de feu sorti du fusil du jeune et naïf Max, par chance, et surtout par magie, n’a pas atteint le cœur de l’innocente colombe désignée, ni celui de la douce fiancée du malheureux tireur, Agathe, inopinément sortie du buisson qui la cachait. Un ermite passant par-là avait dévié la balle meurtrière vers Kaspar, complice de Samiel, l’envoyé du Diable qui s’était vainement réservé tout pouvoir sur la trajectoire de cette septième balle.

Coup de foudre :
C’est par la voix d’Agathe qu’il nous parvient, droit au cœur, alors qu’inquiétée par de sombres pressentiments, peu avant le satanique coup de feu, la future épouse de Max, déjà prête pour la cérémonie, implorait la protection du ciel.
Une prière parmi les plus émouvantes entendues sur les scènes d’opéra, composée par Carl Maria von Weber pour son célèbre « Freischütz », cavatine qui réunit au sommet une ferveur et un legato qui bouleversèrent le jeune Wagner lui-même, au point, dit-on, d’avoir influencé sa sensibilité artistique.

Der Freischütz – Acte III – scène 2 – Cavatine
Jeanine De Bique
(soprano)
Konzerthausorchester Berlin
Christoph Eschenbach
(direction)

AGATHE

Et même lorsque les nuages le cachent,
Le soleil demeure dans le ciel ;
Une volonté sainte régit le monde,
Et non point un hasard aveugle !
L’œil du Père, que rien ne saurait troubler,
Veille éternellement à toute créature !

Moi aussi qui me suis confiée à lui,
Je sais qu’il veille sur moi,
Et même si c’était là ma dernière journée,
Si sa parole m’appelait comme fiancée :
Son œil, éternellement pur et clair,
Me considère aussi avec amour !

Musiques à l’ombre

La musique, ce qu’elle est : respiration. Marée. Longue caresse d’une main de sable.

Christian BobinSouveraineté du vide – Gallimard / Folio

Avant propos

Voici une petite série de billets estivaux consacrés à la musique. Qui, connaissant ces pages, s’en étonnerait ? Mais, puisque nos emplois du temps d’été sont plus tolérants, j’ai choisi de ne pas l’enfermer dans des extraits, de la laisser être ce qu’elle est selon la définition poétique, bien en accord avec la saison, qu’en donne Christian Bobin : « une longue caresse d’une main de sable ».

Longue, cela veut dire que, contrairement à l’accoutumé, je me suis ici autorisé le plaisir de diffuser dans leur intégralité les œuvres choisies, en m’imposant toutefois de sélectionner celles qui ne dépassent pas les 30 minutes, ou si peu – confort d’écoute oblige. Ainsi savons-nous déjà que nous serons privés des symphonies de Bruckner et de Chostakovitch ou autres Gurre-Lieder, mais, par bonheur, l’intensité du souffle n’est pas proportionnelle à sa longueur.

C’est dans la jeunesse, jeune âge du compositeur ou de l’interprète, fraîcheur juvénile du thème, que j’ai naturellement cherché cette intensité.

Et puis, comme toujours, c’est le cœur, au final, qui aura guidé mes choix.

A très vite, sous la tonnelle ou le figuier… ! Oreilles ouvertes et yeux mi-clos.

Heureux été !

Musiques à l’ombre – 1 – Carnaval

Au carnaval tout le monde est jeune, même les vieillards. Au carnaval tout le monde est beau, même les laids.

Nicolaï Evreïnov (dramaturge russe – début XXème)

Colombine et Arlequin  (c.1740) par Giovanni Domenico Ferretti

– Pour Robert Schumann qui compose le « Carnaval » op.9 à 23 ans, sûr désormais qu’il ne sera pas, après avoir mutilé son annulaire, le pianiste virtuose qu’il aurait voulu être,

– Pour la Commedia del’arte qui l’inspire tant et sa galerie de personnages fantasques et fantastiques qui ne quittent jamais l’enfant qui rêve et rêvera toujours en lui,

– Pour Estrella (Ernestine von Fricken) l’amoureuse qu’il abandonne et pour Chiarina (Clara Wieck) qu’il adorera sa vie durant,

– Pour le rêveur mélancolique, Eusebius, et pour Florestan, vaillant et passionné, ses deux autres lui-même qui peuplent son imaginaire,

– Pour Paganini et pour Chopin que Robert admire et qui lui inspirent ici deux petites perles musicales scintillant au milieu de cet écrin de variations romantiques.

– Pour les retrouvailles de Schumann avec lui-même, militant en chef de sa confrérie imaginaire des Compagnons de David, en marche contre les Philistins,

– Pour Eva Gevorgyan, ravissante jeune pianiste russe de 20 ans, finaliste et lauréate d’une mention spéciale au 18ème redoutable Concours International de Piano Frédéric Chopin, en 2021, qui nous gratifie d’une splendide version du « Carnaval » Opus 9, animant autour de ses doigts délicats, sous nos yeux aussi éblouis que nos oreilles sont enchantées, tous les personnages de ces « Scènes mignonnes sur quatre notes », selon le sous-titre de l’œuvre.

I. Préambule
II. Pierrot
III. Arlequin
IV. Valse noble
V. Eusebius
VI. Florestan
VII. Coquette
VIII. Réplique
IX. Sphinx (non numérotée dans la partition originale)
X. Papillons
XI. Asch, Scha, lettres dansantes
XII. Chiarina
XIII. Chopin
XIV. Estrella
XV. Reconnaissance
XVI. Pantalon et Colombine
XVII. Valse allemande
XVIII. Paganini (non numérotée dans la partition originale)
XIX. Aveu
XX. Promenade
XXI. Pause
XXII. Marche des Davidsbündler contre les Philistins