Flâner entre le rêve et le poème… Ouvrir la cage aux arpèges… Se noyer dans un mot… S'évaporer dans les ciels d'un tableau… Prendre plaisir ou parfois en souffrir… Sentir et ressentir… Et puis le dire – S'enivrer de beauté pour se forcer à croire !
Fais comme le lanceur de couteaux, qui tire autour du corps. Écris sur l’amour sans le nommer, la précision consiste à éviter. Détourne-toi du mot solennel, déjà ripaillé, vise le bord, longe, le lanceur de couteaux touche de loin, l’erreur est d’atteindre la cible, la grâce est de la rater
Consiglio
Fai come il lanciatore di coltelli, che tira intorno al corpo. Scrivi di amore, senza nominarlo, la precisione sta nell’evitare. Distràiti dal vocabolo solenne, già abbuffato, punta al bordo, costeggia, il lanciatore di coltelli tocca da lontano, l’errore è di raggiungere il bersaglio, la grazia è di mancarlo.
[…] Ne joue pas avec l’eau, ne l’enferme pas, ne la freine pas, c’est elle qui joue dans les gouttières, turbines, ponts, rizières, moulins et bassins de salines. C’est l’alliée du ciel et du sous-sol, elle a des catapultes, des machines d’assaut, elle a la patience et le temps : tu passeras toi aussi, espèce de vice-roi du monde, bipède sans ailes, épouvanté à mort par la mort jusqu’à la hâter.
Erri De Luca « Digue » in « Œuvre sur l’eau » (traduction Danièle Valin)
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Et nous avons fait de l’eau toute chose vivante.
Coran (21-30)
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Ah ! L’inégalable délice d’un verre d’eau fraîche quand l’herbe cuit sous le puissant soleil d’été ! L’exquise caresse d’une vague venue du bout de l’océan offrir à nos chevilles sa dernière seconde d’écume. La vivifiante grâce pour nos pommettes saumonées d’un nuage d’embruns né, dans le lit défait d’un torrent, des tumultes de l’impossible amour de l’onde et du rocher.
Ah l’incommensurable bonheur de l’eau !…
Peder Severin Krøyer – 1899 – « Soir d’été sur la plage de Skagen » (le peintre et son épouse)
Pour ma part, cet été, calfeutré derrière mes persiennes closes, ces douces sensations je les aurais ressenties au travers d’un incessant voyage entre le goulot d’une bouteille d’eau minérale et le pommeau de ma douche bienfaisante. Mais pas que…
Loin — autant que Gaston Bachelard me le permit — de la méditation philosophique sur la force et les formes du symbole, loin des considérations interminables sur le génie et le pouvoir de l’élément, loin des réflexions écologiques modernes sur les problématiques de la raréfaction programmée d’un aussi fondamental constituant de la vie, j’ai choisi, pendant la canicule, de faire le voyage sensuel de l’eau avec les rêveurs, les contemplatifs, j’ai nommé — la précision est-elle nécessaire ? — les artistes : peintres, musiciens, cinéastes, danseurs et autres poètes, si nombreux à avoir trempé leur sensibilité dans l’onde inspirante… Sans eux, mon âme, cet été, aurait vraiment souffert de sécheresse.
C’est le plaisir des moments d’intense et fraîche rêverie qu’ils m’ont offerts que j’ai souhaité ici partager, fidèle, comme toujours, à l’esprit de cet espace, recueil intime de mes émotions esthétiques.
Viendrez-vous vous baigner dans les eaux de mon été ?
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Une flaque contient un univers.
Un instant de rêve contient une âme entière.
Gaston Bachelard
« L’eau et les rêves – Essai sur l’imagination de la matière » (1942) – Partie 3 – Chap. 2