Les voyages du papillon

Chine – 台灣
Notre lépidoptère trouve dans ce grand pays une terre d’accueil particulière. Il y est reçu, plus qu’ailleurs peut-être, comme un important symbole de la transformation, de l’immortalité, de la joie et du bonheur conjugal. Là, philosophie et poésie sont toujours promptes à lui ouvrir les portes des légendes populaires.
Aussi n’est-il pas rare de le voir souvent dans les salles de concert de Shanghai, Pékin ou autre province, agiter ses ailes près des erhus, pipas et guqins traditionnels réunis au sein d’un orchestre symphonique terriblement occidental. Le motif est connu, il porte un nom, un titre : « Les Amants Papillons » ou La romance de Liang Shanbo et de Zhu Yingtai, probablement l’histoire d’amour la plus populaire de Chine – « Roméo et Juliette » de l’Empire du Milieu, comme certains la surnomment -, et incontestablement l’œuvre musicale la plus connue du pays.

Ce concerto pour violon s’inscrit dans une belle histoire, qui trouve son origine dans un conte populaire du temps de la dynastie Jin orientaux au IIIème ou IVème siècle :
La légende :
Une jeune fille, Zhu Yingtai, doit se déguiser en garçon pour faire ses études dans une académie exclusivement masculine. Une amitié profonde empreinte d’une sexualité ambiguë se noue dans la durée entre elle (devenue provisoirement il) et Liang Shanbo, étudiant au noble cœur. Lorsque plus tard le jeune homme découvre la réalité, il s’empresse de déclarer sa flamme, mais la bienaimée est déjà promise par son père. Malade de chagrin Liang en meurt. Sa dernière volonté : que sa sépulture soit placée près du chemin que ne manquera pas d’emprunter Zhu le jour de son mariage. Ce jour venu, un violent orage contraint le cortège nuptial à s’arrêter. La jeune femme drapée dans sa robe de cérémonie apprend alors que la tombe au bord du chemin est celle de Liang ; elle abandonne les convives et rejoint tristement la stèle pour s’y recueillir. Quand elle voit le tombeau s’ouvrir à ses pieds elle s’y jette sans une hésitation. Le ciel s’éclaircit aussitôt et tous lèvent les yeux vers les deux papillons qui virevoltent amoureusement autour du tombeau refermé.
La musique :
En 1958, deux étudiants du Conservatoire de Shanghai, He Zhanhao et Chen Gang, écrivent un court concerto pour violon inspiré du destin tragique des deux amants. Les deux compositeurs choisissent la formation de l’orchestre occidental classique auquel ils adjoignent des instruments traditionnels chinois et combinent en une fusion heureuse les modes d’écriture musicale propres à chacune des cultures. Ils emprunteront également certaines mélodies soit à l’opéra chinois, soit à des chants folkloriques.
Le violon solo joue un rôle central, non pas seulement comme simple instrument concertant, mais comme narrateur de l’histoire. Il prend aussi la voix de l’héroïne Zhu Yingtai et exprime les émotions, les joies et les peines de la jeune fille, laissant au violoncelle le rôle de Liang Shanbo.
Concerto pour violon « Les Amants Papillons »
Compositeurs : He Zhanhao & Chen Gang
Violon soliste : Lu Siqing
Orchestre Symphonique de Suzhou
Direction : Peng Jiapeng
Un seul mouvement pour ce concerto mais une division des thèmes en sept tableaux :
1/ Adagio cantabile :
Introduite par la harpe et la flûte la charmante mélodie portée par le thème principal illustre la rencontre heureuse de Zhu et Liang.
Un nouveau thème toujours aussi mélodieux laisse imaginer la doucereuse complicité des deux amis à travers leurs jeux.
Une brève cadence au violon conclue le mouvement, expression pudique du bonheur de Zhu.
2/ Allegro :
Le violon lance une mélodie joyeuse au rythme soutenu : les années d'études se déroulent au fil des démonstrations virtuoses de l'instrument.
3/ Adagio assai doloroso :
Le temps est venu de se séparer, études terminées. On s'invite, on se promet...
4/ Pesante – Piu mosso – Duramente :
Zhu de retour chez son père se heurte au poids de ses décisions. Le violon seul lutte contre la puissance de l'orchestre.
5/ Lagrimoso :
Liang rejoint Zhu. Il découvre sa féminité. L'amour réciproque des deux jeunes gens peut s'exprimer. Un tendre duo violon-violoncelle s'en charge.
6/ Presto resoluto :
Introduites par une répétition de violents tutti la colère et la douleur de Liang qui apprend que Zhu est engagée par son père dans un mariage non désiré s'expriment à travers l'exultation brillante du violon soliste. La douce mélodie réapparaît, l'amour reste le maître. Liang meurt. Un solo de flûte suivi de quelques accords glissés à la harpe accompagnent son âme légère.
7/ Adagio cantabile :
Dans cette section finale l'orchestre et le violon solo retrouvent le thème principal. Le violon évoque la paix revenue conduisant le souffle de l'orchestre jusqu'à une apothéose théâtrale. Enfin, par une ultime phrase empruntée au thème principal, saluant l'amour éternel, le soliste accompagne l'envol délicat de la harpe et de la flûte, deux amants devenus inséparables papillons.

