La pièce et la porte

Les historiettes de comptoir qui n’ont généralement pas d’autre prétention que de faire rire ou sourire, portent en elles parfois toutes les composantes d’un conte philosophique. C’est sans doute pour cela qu’elles ne s’échappent pas facilement de notre mémoire.

Celle-ci trouve son origine à une époque où – progrès oblige – les toilettes des cafés parisiens troquaient leurs « dames pipi » contre des serrures à monnayeur. La voici :

Un homme d’âge mûr qui avait particulièrement bien réussi dans la vie avait coutume de se produire régulièrement dans des conférences publiques ou des émissions de télévision pour raconter l’histoire de ses succès ou, autrement dit, comment il avait acquis une aussi grande fortune partant de rien.

Glorieuse vespasienne de Paris

Il raconte, à ces occasions, que le jeune homme bien peu argenté qu’il était jadis se trouva un jour – affaire banale au demeurant – pris, au beau milieu d’une avenue parisienne, d’une envie pressante de soulager sa vessie. Mais, sans vespasienne aux alentours comment répondre à l’urgence ? Il trouverait bien, pensa-t-il, le moyen de s’arranger avec la « dame pipi » de la brasserie d’en face. Il entra donc dans ce célèbre café parisien et d’un bond se retrouva au sous-sol de l’établissement.
Là, il découvrit avec surprise une petite salle à demi éclairée, dont les murs étaient tapissés d’une série de portes sombres qui toutes exigeaient pour s’ouvrir qu’on introduisît dans leurs serrures aménagées à cet effet une pièce de 10 centimes (de Franc). Il ne possédait évidemment pas le moindre sou.
Un aimable client, sur le point de quitter les lieux, le dépanna d’une aussi modeste pièce, sans mesurer l’importance que pouvait revêtir pareil don en pareil instant.

Alors que notre jeune homme s’apprêtait à l’insérer dans la serrure de la porte qu’il avait choisie, celle-ci s’ouvrit pour laisser sortir son prédécesseur qui poliment la lui tint ouverte. Il mit donc la pièce dans sa poche avant de savourer, ô miracle, l’instant ultime de sa libération.

Au pied de l’escalier qui devait le ramener à la surface, un bandit manchot qu’il n’avait pas remarqué en arrivant – et pour cause – lui tendait, si l’on peut dire, les bras. Il décida de tenter sa chance. Et c’est dans la fente de la machine à sous qu’il glissa la pièce de 10 centimes, toute sa fortune du moment.
Tentative heureuse : le Jackpot.

Cette somme rondelette lui permit de prétendre à un prêt pour acheter un petit commerce qui très vite devint prospère, qu’il développa au cours des années jusqu’à en faire une entreprise de premier plan, nationale puis internationale. Fortune, hautes responsabilités, médiatisation… etc… etc… 

Chacune de ses interventions sur les plateaux de télévision ou en face du public se terminait systématiquement par l’expression de son vœu – sincère, n’en doutons pas – de pouvoir retrouver « ce type à qui je dois d’être devenu ce que je suis, et que je voudrais bien pouvoir récompenser ».

Un jour – de très nombreuses années s’étaient écoulées depuis l’épisode de la pièce de 10 centimes –, alors qu’il concluait comme toujours son intervention par sa phrase finale habituelle, un homme d’un âge certain se leva au milieu de l’assistance et dans un large sourire lui dit :

–  Je m’en souviens parfaitement, Monsieur, c’est moi qui vous ai donné la pièce de 10 centimes pour les toilettes ce jour-là ! 

Ce à quoi notre conférencier répondit du haut de la scène où il était perché : 

–  Merci Monsieur,  merci, mais, en vérité, celui que je cherche, c’est l’homme qui ce jour-là m’a tenu la porte ouverte !

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Lelius

La musique et la poésie : des voies vers les êtres... Un chemin vers soi !

3 commentaires sur “La pièce et la porte”

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