‘Entre doute et ferveur’

Combien de fois aurai-je dit ou écrit, empruntant l’expression à mon cher Cioran, que j’étais poète par tous les vers que je n’avais jamais écrits ?
Combien de fois, l’âme bouleversée, aurai-je rêvé, le temps d’une lecture – et d’une relecture, pour faire durer et l’illusion et le plaisir –, être l’auteur des vers qui m’emportaient vers un ailleurs dont je ne supposais même pas l’existence ?
A l’heure même où je franchis une énième dizaine de mes années, me croyant enfin hors d’atteinte, je découvre la poésie de Colette Gibelin.
Qui au bout des ans resterait sourd à son exhortation ? 

Que faire maintenant ?
N’attends pas le soleil, invente-le
N’attends pas que la vie s’épanouisse
étreins-la

Fais simplement ta part de colibri
avec ténacité
Accueille en toi les lumières du silence
Continue le chemin
même si raboteux
Une source neuve jaillit à chacun de tes pas

Touché ! En plein coeur.

Entre doute et ferveur   (extrait)

Au-delà de la mer,
disais-tu,
quelles lumières ?
Vers quel destin de pierre et de sable
tourner des visages creusés
par la brûlure d’exister ?
Le vent tournoie.
Le vent fait vibrer l’impossible,
violon pour la soif,
jungle verte dans l’ocre désert.

Au-delà, je répète au-delà,
pour savourer le mot dans ses contours d’eau pure,
Au-delà,
c’est déjà dire le grand saut dans l’aube libre
aux senteurs d’oasis.
Et le rêve revient
s’accroche comme lierre
aspire la sève
pour la pulpe à venir
Toujours, la pulpe est à venir.
Demain sera de menthe et de jasmin
Demain peut-être ?

La mer, franchir la mer,
la mémoire et l’exil.
Le jour palpite comme une île,
minuscule cœur de l’immensité.

Depuis longtemps les grands oiseaux ont pris le large,
aile sauvage et magnifique envol.
Atteindront-ils l’Eldorado
qui danse, feu follet,
danse dans le regard chargé de tant de brume
et se perd au lointain ?

Au-delà de la mer
comme un mirage à l’infini,
cette terre brûlée
en attente de pluie.
Interminable combat des vivants
pour que s’installe une clarté vivace.
Lancinante espérance.

Dans l’ombre de tes yeux
j’ai vu passer tous les instants du vivre,
noires blessures, éclats du soleil,
chemins d’herbes et de poussière,
Et tu rayonnais malgré la détresse.

Si la mort est au bout du chemin,
qu’elle soit l’estuaire
où la rivière abandonne ses boues
pour entrer, nue, dans l’océan.

Au-delà des mers, disais-tu,
Quelles sources nouvelles ?

Colette Gibelin

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Lelius

La musique et la poésie : des voies vers les êtres... Un chemin vers soi !

15 commentaires sur “‘Entre doute et ferveur’”

  1. Bel anniversaire à toi cher Lelius…
    Tu ne fais pas ton âge je dois dire…
    Je découvre grâce à toi cette poésie aussi forte que tremblante qui contient décidément tout ce que j’aime en poésie , la belle humilité du vivant…
    Touchée en plein coeur moi aussi.
    Merci à toi
    Je t’embrasse.

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    1. Merci !

      Faire son âge ou pas est une chose, l’avoir est une autre chose, une nouvelle dimension du peu d’existence à venir que la statistique nous permet d’imaginer… ou pas.

      Quelle belle poésie, forte, touchante, que celle de Colette Gibelin. Je ne suis évidemment pas étonnée qu’elle te séduise. Vous prenez racine, toi, Colette et Ile, dans cette même veine poétique nourrie d’humanité vraie…

      Le vieux t’embrasse aussi.

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  2. « Combien de fois aurai-je dit ou écrit, empruntant l’expression à mon cher Cioran, que j’étais poète par tous les vers que je n’avais jamais écrits ? » Oh ! nous le sommes tous … entre les mots, apnée et effacement !

    Effectivement, ici, le souffle gracieux est posé. Il n’est plus rien à dire que d’écouter et d’aller !
    Merci à vous pour ce partage.

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    1. Comme c’est facile, mais comme c’est bon d’être poète par procuration ! Mais comme c’est frustrant parfois quand on lit les vers qui ne sont ni ne seraient jamais sortis de notre encrier !…

      Merci de m’avoir rejoint au-delà des mers par le souffle de Colette Gibelin !

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      1. Être sensible et réceptif au beau sont aussi une certaine ferveur poétique. Ne pas désirer, ne pas être frustré, s’asseoir et simplement être touché…
        L’autre est un autre nous.
        Quand je visite un ami permaculteur qui, en plus de dix ans, a créé un jardin d’Eden, je lui dis : « Merci. ! Tu le fais aussi pour moi. C’est une joie que tu le fasses. »

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        1. Oh ! Je partage chaque mot de votre commentaire.

          « L’autre est un autre nous » : voilà bien longtemps que je suis persuadé que si ce message était gravé sur tous les établissements d’éducation de notre pays, au moins, notre monde serait différent, plus humain, plus tolérant, plus vivable.

          Ce voeux pieux ayant peu de chance de se réaliser, hélas, je garantis un bel avenir à ma misanthropie…

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