Manon inoubliable

Manon, Manon Lescaut !
N’aurions-nous lu qu’un seul livre, qu’un seul roman, qu’une seule histoire tragique de passion amoureuse, n’aurions-nous vu et entendu qu’un seul opéra, de Massenet ou de Puccini, n’aurions-nous assisté qu’à une unique pièce de théâtre, de Marivaux, de Marcel Aymé ou autre Jean-Paul Sartre, n’aurions-nous visionné qu’un seul film, de Jean Delannoy ou peut-être de Clouzot, n’aurions-nous applaudi debout qu’une seule ballerine mourant en scène, chaussons aux pieds, sous les tendres caresses de son malheureux amant, nous aurions très probablement, d’une manière ou d’une autre, traversé quelques pages, sauvées des flammes, de l’oeuvre mythique de ce cher Abbé Prévost.

Pascal Dagnan-BouveretL’enterrement de Manon Lescaut

Pourrions-nous oublier ces tristes héros, Manon et Des Grieux – aussi jeunes que nous l’étions nous-mêmes jadis les découvrant – dont nous devions alors doctement analyser les comportements et qui faisaient couler plus de sueur sur nos fronts contraints à l’érudition que d’encre sur nos copies ou de larmes dans nos yeux pétillants d’insouciance ?

Manon, énigmatique Manon, sensuelle et fourbe, innocente et manipulatrice, ange et catin, qui n’est jamais aussi vivante dans nos souvenirs qu’à l’ultime instant de son tragique destin.

— Chante Manon, « seule, perdue, abandonnée », depuis ce lointain désert, la désespérance de ton dernier souffle ! Puccini lui-même a composé ta musique.

Asmik Grigorian (soprano)
« Sola, perduta, abbandonata »
Air final de l’opéra de Puccini « Manon Lescaut »

Maintenant, tout mon horrible passé ressurgit,
et il repose vivant devant mon regard.
Ah, il est taché de sang !
Ah, tout est fini !
Asile de paix, maintenant j’invoque la tombe.
Non, je ne veux pas mourir !
Amour, aide-moi ! Non !

— Danse Manon, avec ton compagnon d’infortune, les derniers sursauts de votre impossible amour ! Kenneth MacMillan a chorégraphié vos pas ; Jules Massenet avait mis le drame en musique.

Le Chevalier Des Grieux se confie ; l’Abbé Prévost ouvre les guillemets :

« Pardonnez, si j’achève en peu de mots un récit qui me tue. Je vous raconte un malheur qui n’eut jamais d’exemple. Toute ma vie est destinée à le pleurer. Mais, quoique je le porte sans cesse dans ma mémoire, mon âme semble reculer d’horreur, chaque fois que j’entreprends de l’exprimer.
Nous avions passé tranquillement une partie de la nuit. Je croyais ma chère maîtresse endormie et je n’osais pousser le moindre souffle, dans la crainte de troubler son sommeil. Je m’aperçus dès le point du jour, en touchant ses mains, qu’elle les avait froides et tremblantes. Je les approchai de mon sein, pour les échauffer. Elle sentit ce mouvement, et, faisant un effort pour saisir les miennes, elle me dit, d’une voix faible, qu’elle se croyait à sa dernière heure. Je ne pris d’abord ce discours que pour un langage ordinaire dans l’infortune, et je n’y répondis que par les tendres consolations de l’amour. Mais, ses soupirs fréquents, son silence à mes interrogations, le serrement de ses mains, dans lesquelles elle continuait de tenir les miennes me firent connaître que la fin de ses malheurs approchait. N’exigez point de moi que je vous décrive mes sentiments, ni que je vous rapporte ses dernières expressions. Je la perdis ; je reçus d’elle des marques d’amour, au moment même qu’elle expirait. C’est tout ce que j’ai la force de vous apprendre de ce fatal et déplorable événement. »  

♥♥♥

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Lelius

La musique et la poésie : des voies vers les êtres... Un chemin vers soi !

5 commentaires sur “Manon inoubliable”

    1. L’adolescent que j’étais avait également ressenti une certaine émotion… mais je dois avouer qu’elle n’avait rien de littéraire. J’ai le souvenir que cette émotion-là était largement partagée par mes copains d’alors…

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